13. Au coin de la rue...


Sarah retombe sur le siège de la voiture. Sa poitrine se soulève et s'abaisse à un rythme rapide. Elle se penche, attrape sa culotte et la remonte le long de ses jambes. Ses cheveux blonds, coupés en carré, sont totalement décoiffés sur sa jolie tête d'ange. Cette coupe de cheveux la rend plus vieille, mature, bien que cette scène se soit déroulée il y a environ 1 an. Elle se rhabille comme elle le peut, et se tourne enfin vers l'homme assis sur le siège d'à côté. Celui-ci a des cheveux bruns et une barbe virile. Il est beaucoup plus vieux qu'elle. Tandis qu'elle a 18 ans, lui en parait 35. Mais il est bel homme, il dégage quelque chose de puissant, sensuel et sauvage auquel Sarah ne peut pas résister. Sarah, la tentatrice, lui sourit.

- Quand est-ce que tu m'emmèneras chez toi, A ? demande-t-elle.

L'homme pose la main sur sa joue.

- Bientôt mon ange, bientôt.

Sarah se retire alors, croise et les bras et boude comme une enfant.

- Bientôt. C'est ce que tu dis tout le temps.

- C'est parce que je veux attendre le moment idéal pour que tout soit parfait.

Il regarde sa montre, qui a sans doute dû lui coûter très cher.

- Je dois y aller, c'est important. Je te ramène chez toi.

Il dépose un baiser sur ses lèvres et la voiture démarre.


Ce souvenir m'était revenu tandis que je fouillais dans la boîte à bijoux de Sarah. Il y avait de belles bagues, des colliers et un magnifique bracelet. La grande majorité avait été offerte par A. A, c'était l'homme de mon souvenir, l'homme que Sarah avait aimé. Mais A, c'était surtout un mystère, un secret, un bout de lettre auquel se raccrocher.

Je pris les bijoux et les mis dans un sac, en songeant que décidemment, Sarah avait tout fait. A 18 ans, sortir avec un riche homme d'affaire, mais pour qui se prenait-elle ? C'était moi qui récoltait tout ce qu'elle avait semé. Je me demandais s'il avait un lien avec ma situation actuelle. Après tout, je me disais que les souvenirs que j'avais ne devaient pas être inutiles, ils devaient sûrement être une piste à suivre pour percer le mystère de Sarah.

Je ne savais pas comment cette relation avait commencé, ni même comment elle s'était terminé, tout ce que je possédais, c'était ce fragment d'histoire d'amour, et l'or et les pierres qui brillaient dans mon sac. Très bientôt, d'ailleurs, je ne possèderais que le bout d'histoire que mes souvenirs m'avaient laissé. Zéphyr, avec qui j'avais gardé contact depuis une semaine, m'avait inscrite à un vide-grenier, afin que je récolte un peu d'argent. Je pensais vendre tous mes bijoux. J'avais tout mis dans un sac, mais il restait quelque chose dont je ne pouvais me séparer : le collier que m'avais offert Shade. Il avait beau n'être composé que d'une ficelle et d'une pierre qui ne valait rien, il était beaucoup plus précieux à mes yeux que tous l'or des bijoux de A. Je le détachai de mon cou et sentit la petite pierre refroidir ma main. Je regardai fixement cet objet singulier, si simple mais si riche en souvenirs. Non, je ne pouvais pas le vendre. Et puis, de toute façon, personne ne payerait pour un bijou de cet ordre. Je regardai un instant le visage de Shade miroiter dans la pierre, puis j'attachai de nouveau la cordelette à mon cou.

Quelques temps après, je me retrouvai dans le Blue District en compagnie de Zéphyr. Nous faisions la conversation tandis que nous installions notre stand. Il sortit un des tee-shirts de Sarah d'un carton que j'avais amené et pouffa.

- Mon dieu, mais qui va vouloir de cette horreur ?

En effet, à la vue de ce qu'il me tendait, je me demandai ce qui était passé par la tête de Sarah quand elle avait fait son achat. C'était un top zébré avec une étoile en strass sur la poitrine. Quelle horreur.

- Je n'en sais rien. Avouai-je.

Il le plia malgré tout, très soigneusement, et le posa sur la table sur laquelle était exposé ce que nous vendions.

- Mon dieu Sarah, heureusement que je suis revenu dans ta vie pour te remettre sur le chemin de la mode. Parce que d'après ce que je vois, tu t'en étais bien éloignée.

J'essayai de garder mon sérieux sans y parvenir, et donnai une tape à mon ami retrouvé.

- Tais-toi, tu vas faire fuir les clients.

Il continua de me lancer des vannes tandis que nous disposions les affaires sur la table.

- C'est fou tout ce que tu vends quand même. Tu es sûre que ça ne va pas te manquer ?

- Oui. Il faut bien faire abstraction du passé, non ?

Il se stoppa dans son mouvement, et un rictus crispa son visage.

- Tu as des choses que tu veux oublier ?

J'ai répondu oui, car au fond de moi, je savais que Sarah tentait d'enfouir de sombres secrets.

Zéphyr reprit son activité, nous plongeant dans un silence pesant.

- Comment va Shade ? demandai-je.

Il se stoppa encore une fois et leva les yeux au ciel.

- Tu vas me le demander à chaque fois ?

J'haussai les épaules et me rembrunis.

- C'était juste histoire de faire la conversation...

Je m'attachai à indiquer le prix de chaque pièce pour éviter de me sentir mal à l'aise. Etonnamment, les affaires de Sarah se vendirent bien. Les gens allaient et venaient à mon stand, fouinaient, négociaient les prix et repartaient satisfaits. Entre deux clients, Zéphyr et moi discutions et nous lancions mutuellement de gentils piques. C'était une journée normale pour une vie normale. Exactement comme je l'aimais.

Cependant, tandis que je riais avec Zéphyr, mon regard fut attiré par une chevelure brune. Ma journée normale risquait d'être gâchée. Je me ratatinais sur moi-même et fut prise par l'envie de me cacher.

- Qu'est-ce qui te prends ? Pourquoi tu te figes soudainement ?

Je me raclai la gorge et essayai d'avoir l'air normal.

- Rien du tout. Tout est normal.

Je me baissai et plongeai la tête dans un carton (vide) dans l'espoir qu'il me dissimulerait du regard du garçon qui avançait tout droit vers moi.

- Mais qu'est-ce que tu fiches ?

- Rien, rien. Répondis-je, toujours dans mon carton.

J'étais actuellement en train de faire comme si je cherchais quelque chose de très important à l'intérieur. Sous la table, je vis les baskets de mon assaillant apparaître. Elles s'arrêtèrent un instant devant moi, puis reprirent leur route. J'étais sauvée. Je me relevai enfin et poussai un soupir de soulagement en époussetant mon jean. Malheureusement pour moi, j'avais agi trop vite. Celui que je cherchais à tout prix à éviter se retourna, m'aperçut et sourit. C'était fini, j'étais grillée.

Elias, visiblement beaucoup plus heureux que moi à l'idée de notre rencontre, revint sur ses pas et s'approcha de moi.

- Sarah ! Je savais bien que je t'avais vue de loin.

Je ne voulais vraiment pas le voir, surtout dans ces circonstances. Je savais pertinemment que j'allais agir bizarrement et que j'allais perdre toutes mes (maigres) chances avec lui. De qui avais-je l'air ? Dans un geste brusque et désespéré, j'essayai de remettre en place mes cheveux ébouriffés. A peine quelques mots sortis de sa bouche que je perdais déjà le contrôle de moi-même.

- Salut Elias ! répondis-je en forçant un sourire.

Mes mains étaient devenues moites. Que pouvais-je y faire ? Comment pouvais-je lutter contre une créature au sourire charmant et aux cheveux en batailles ? Il s'avança, posa une main sur la table et baissa les yeux vers les vêtements de Sarah.

- Je ne m'attendais pas à te voir ici. Pas dans le Blue District.

Une sensation étrange m'envahit. Celle de ne pas être à ma place. Pourtant, c'était ici que j'étais née et avait grandie.

Je regagnai un semblant de calme et me tournai vers Zéphyr qui, jusqu'ici, était resté dans l'ombre.

- En fait, j'avais quelques bricoles dont je ne me servais plus, donc mon ami Zéphyr m'a proposé un vide grenier ici. Pourquoi tu ne t'attendais pas à me voir ? Les gens du Red District n'ont pas le droit de venir souiller vos beaux quartiers ?

La dernière phrase, c'était du Sarah tout craché. Je sentais que je commençais à saisir le personnage.

Elias eut un mouvement de recul, et sourit de plus bel.

- Bien sûr que non. Je suis très heureux de te croiser ici.

Une alarme retentit dans mon cerveau pour me prévenir que d'une seconde à l'autre, j'allais me transformer en tomate cramoisie. Je me raclai la gorge pour masquer ma gêne.

- Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ?

- Je cherche un cadeau d'anniversaire pour ma sœur.

Julie. J'étais tellement accaparée par ma vie de Sarah que j'en venais à oublier ma meilleure amie. J'esquissai un pâle sourire.

- C'est super.

Il regarda ces pieds, puis revint à moi.

- D'ailleurs, je crois que je ferai mieux de me dépêcher si je veux trouver quelque chose d'à peu près bien. Salut, à la prochaine !

- Oui, à la prochaine !

Ma voix semblait lointaine, comme sortie de quelqu'un d'autre que moi. Quand Elias s'éloigna, Zéphyr attrapa mon bras.

- C'était qui ? Tu le connais ?

- Une vieille connaissance. Répondis-je évasivement.

A ces mots, je me remis au travail. Zéphyr, lui, se pencha au-dessus de la table pour mieux suivre du regard le trajet de mon Elias.

- Il est vachement beau gosse ! s'exclama-t-il.

- Oh ça, oui. Soupirai-je.

Je finis par repartir dans la chaude fin d'après-midi, mes cartons presque vides dans les mains. Si Zéphyr avait l'apparence d'un prince charmant, il était loin d'en être un. A la fin de notre petite vente, il m'abandonna rapidement avec les vêtements qui me restaient, prétextant un rendez-vous urgent. Le connaissant bien, je savais qu'il s'agissait d'un mensonge.

J'étais donc là, debout, secouée par les mouvements du métro et portant seule mon lourd bagage. Une dame à l'aire stricte, assise sur un siège, me dévisageait. Etait-il marqué sur mon front que j'étais une pauvre fille du Red District ? Parce que cette femme m'en donnait l'impression. J'avais presque envie de me gratter la peau pour effacer les traces de ma classe inférieure. Ces gens riches, ils faisaient vraiment tout pour vous faire sentir comme une moins que rien, du haut de leur tour d'ivoire !

Mon dieu. Voilà que je me mettais à penser comme Sarah. Une question, innocente et simple, se fraya un passage dans mon esprit. Qui étais-je ?

Je ne trouvai pas la réponse, et un grand trouble m'envahit.

Quand mon arrêt vint, je sortis précipitamment du wagon. La dame stricte avait beau être descendue depuis longtemps, je sentais encore son regard condescendant sur ma nuque. Je montai les escaliers de la station (l'escalator était en panne, comme d'habitude) et arrivai à l'extérieur. Le ciel, orangé, était chaud et délavé. J'étais fatiguée, mes bras étaient endoloris, mes cheveux décoiffés et des auréoles étaient apparues sous mes bras. J'eus envie de m'asseoir sur un banc, juste pour regarder les gens passer et m'apitoyer sur mon sort. J'allais justement m'asseoir quand quelque chose m'arrêta. Je n'étais plus Serenity. J'étais Sarah, et Sarah n'était pas pathétique. Alors je remontai mes manches et me remis en marche.

Le trajet fut quelque peu éprouvant. La raison secondaire était qu'une longue marche m'attendait pour arriver chez moi, la principale était que je croisai Nick. Au coin d'une rue, des lunettes de soleil sur le nez, sifflotant et regardant son portable, Nick fonçait tout droit vers moi. Evidemment, je fis tout pour le fuir. Je fis demi-tour et partit d'une marche rapide, priant pour qu'il ne m'aperçoive pas. Le ciel ne m'écouta pas (il avait tendance à se la jouer sourde oreille avec moi). J'entendis quelqu'un courir derrière moi, et étant fatiguée, je ne cherchai pas à courir moi aussi. Une main forte empoigna mon bras. C'est triste à dire, mais ça me fit un drôle d'effet. Ca me faisait mal de l'admettre, mais Nick ne me rendait pas insensible. Malgré toute la haine que je lui portais, je sentais qu'il y avait quelque chose de spécial entre nous. Quelque chose contre lequel je luttais.

- Sarah, cela faisait si longtemps que je ne t'avais pas vue.

Je le foudroyai du regard et me dégageai de son étreinte.

- Normal. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais tu es un connard que je déteste et que je n'ai pas du tout envie de croiser.

- C'est faux.

- Qu'est-ce qui est faux ?

- Que tu me détestes. Tu m'aimes. Et je t'aime aussi Sarah. Rien n'est trop tard. On peut encore tout sauver. On peut encore se remettre ensemble.

Je ne laissai pas ses belles paroles atteindre mon cœur trop tendre pour une brute comme lui.

- Dans tes rêves, arrête de te bercer dans tes illusions. Maintenant, laisse-moi partir.

Je fis un pas mais il me retint.

- Tes cartons sont lourds, je peux au moins te raccompagner et t'aider à les porter ?

Je fus tentée d'accepter. En effet, je mourrais d'envie de léguer ma charge à quelqu'un. Mais à la place, je fronçai les sourcils et pris un air sévère.

- Tu me prends pour une demoiselle en détresse ? Je n'ai pas besoin de ton aide. Laisse-moi passer.

« Tu le regretteras, Sarah. Je sais que je te manque. Un jour ou l'autre, tu vas revenir vers moi, les bras grands ouverts et la bouche en cœur. Mais je ne t'attendrai pas éternellement. » cria-t-il dans mon dos.

Je ne l'écoutai pas et laissai la solitude me raccompagner à sa place.

Le soir, je reçus un appel de Queen. « Hey toi, tu vas m'adorer, du moins encore plus que tu ne le fais déjà ! Tu sais que c'est bientôt l'anniversaire de Julie, et qu'elle va organiser une soirée. En âme bonne et charitable, je me suis arrangée pour que tu sois invitée ! Vendredi soir, chez elle, 20 h. Je sais que tu m'adores ! De rien chérie, tu me connais, j'aime faire plaisir et aider les autres. Gros bisous ! A plus. »

Et elle a raccroché, ne me laissant pas placer un traître mot. Mais cela n'avait pas d'importance. Le temps d'une soirée, j'allais retrouver Julie. J'allais retrouver mon ancienne vie.


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