Partie unique

Le cœur serré, il la regardait s'éloigner toujours plus de lui. Sa démarche était assurée. Pourtant, il était persuadé qu'elle pleurait. Elle avait hurlé haut et fort qu'elle ne l'aimait plus. Elle avait hurlé qu'elle le détestait. Elle avait souhaité le voir mort. Pourtant, il restait persuadé qu'elle pleurait tandis qu'elle poursuivait sa route, loin de lui.

Chaque pas qu'elle effectuait agrandissait le regret dans sa poitrine. En acceptant de sortir avec elle, il savait que ce moment viendrait. Il savait que la rupture était inévitable. Il ne pouvait rester avec elle. Il ne pouvait lui confier son plus grand secret. Un secret qui lui pourrissait chaque jour un peu plus la vie.

Sa silhouette finit par disparaitre, pour ne plus jamais réapparaitre devant lui. Du moins, c'était ce qui aurait dû se passer.


Des années plus tard, alors qu'il revenait dans cette ville où l'image de son dos s'éloignant de lui ne pouvait le quitter, il la vit. Elle sortait d'un magasin, tenant des courses dans ses mains. Elle avait vieilli. Énormément vieilli. Ses cheveux étaient à présent gris et courts. Les rides ne se comptaient plus sur les doigts d'une main et sa démarche n'était plus aussi franche qu'auparavant. Elle avait beaucoup changé. Tellement changé. Alors que lui était toujours le même qu'il y avait soixante années. Pas une ride de plus.

Elle le vit aussi. Sans peine, elle le reconnut. Son visage ne s'était jamais totalement effacé de sa mémoire. Son nom résonnait encore parfois dans un recoin de sa tête. Il faisait partie de son passé. Un passé qu'elle avait chéri. Un passé auquel elle tenait toujours.

- Rose, tu viens ?

L'appel la fit cligner des yeux. Rien qu'une seule seconde. Mais cela suffit à ce qu'il disparaisse. Elle rejoignit son mari et ses deux petits-enfants. Rose monta dans la voiture et, même si cela n'avait duré qu'un bref instant, elle sut qu'elle n'avait pas rêvé. Il était resté le même après toutes ses années. Elle comprit soudain les raisons de son silence. Elle comprit la tristesse de ses paroles. De son obstination à ne rien dire. Elle comprit. Mais ne pleura pas comme cette nuit-là. Elle était d'un autre monde que lui. Leur amour était impossible. Il avait bien fait de partir.

L'idée qu'il soit toujours le jeune homme de vingt ans qu'elle avait connu ne l'angoissait pas tant que cela, peut-être était-ce en raison de son âge.


« Ainsi, elle est parvenue à faire sa vie. » pensa l'Immortel. Lui n'en était plus capable. Depuis combien de temps était-il là ? Depuis combien de temps voyait-il le monde changer sans que lui ne change ? Depuis bien trop longtemps. Son cœur se brisait encore et encore. Néanmoins, il fut heureux de constater qu'elle avait pu l'oublier et trouver un mari. Ses petits-enfants étaient mignons.

Le sourire aux lèvres, il leva ses yeux verts vers le ciel. Lentement, les larmes coulèrent. Rose n'avait pas pleuré ce jour-là, mais lui oui. Dans sa vie éternelle, il avait connu nombres de femmes, aucune ne l'égalait. Il ne l'oublierait sans doute jamais. Il avait l'éternité pour se souvenir d'elle et de son regard intense. D'elle et de ses « Je t'aime ». D'elle et de son amour.

A présent, la nuit était tombée. Il n'aimait pas regarder les étoiles, alors, il se détourna et courut. Toujours plus loin. Toujours plus longtemps. Les jours passaient. Les saisons défilaient. Les années s'écoulaient. Mais il était toujours là, s'occupant comme il le pouvait. N'oubliant jamais ses yeux bleus malgré les multiples conquêtes. Et puis, un soir, il tomba sur une femme laissée pour morte.

Il s'approcha, lui parla un peu pour savoir si elle était consciente et prit son pouls. Il avait eu une vie assez longue pour apprendre tous les métiers existants. Sauver une vie, il l'avait déjà fait plus d'une fois. Pour autant, ce cas lui semblait différent. Son pouls était rapide alors même qu'elle était mourante. Quelque chose clochait.

- I... Immortel... souffla la jeune femme.

Ses yeux s'écarquillèrent. Comment pouvait-elle avoir deviner ? Elle ne l'avait vu qu'une poignée de seconde ! Le temps d'un battement de cil !

- Comment le savez-vous ? questionna-t-il.

- Nous ne... débuta-t-elle avant de s'arrêter net, les yeux grands ouverts.

« Nous ne sommes pas d'ici. » avait-elle voulu lui dire. En le comprenant, lui aussi aurait pu quitter cette terre d'exil et recommencer une vie chez lui. Lui aussi aurait pu mourir. Elle n'avait cependant pas pu finir sa phrase et lui ne l'avait pas devinée.

Il lui baissa ses paupières, se leva et quitta la ruelle. Il aurait suffi qu'il se retourne pour la voir disparaitre. Il aurait suffi qu'il se retourne pour comprendre qu'elle n'était pas comme les autres. Il aurait suffi. Mais il était parti sans se retourner. Sans comprendre. Et sa vie vagabonde recommença. Une vie d'errance sans trouver sa place. Une vie de chagrin. D'attentes. Mais jamais de délivrance. Il ne mourrait pas.

Car tant qu'il ne comprenait pas que sa place était ailleurs, il devait errer sans trouver le repos. Tel était le châtiment réservé aux criminels sur sa planète natale. Tel était leur repenti. Seulement, il devait s'en souvenir. Et ce n'était pas évident. Peut-être ne s'en rendrait-il jamais compte. Même lorsque la planète de son exil disparaitrait.

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