Chapitre 8
Le lendemain matin, il me fallut un moment pour trouver la force de sortir de mon lit. Demetri était resté une partie de la nuit sans que je ne demande rien après m'avoir assuré que j'aurais une journée de repos pour me remettre du choc. Et comme je n'arrivais pas à trouver le sommeil, il avait continué à me parler de son passé, me racontant par exemple comment vivaient les peuples antiques, ainsi que le début de sa nouvelle vie auprès d'Amun. Si bien que j'avais fini par m'endormir sans m'en rendre compte. Quand je m'étais réveillée en sursaut au matin après un cauchemar avec le visage d'Aznar dedans, il était parti. Il s'était montré tellement patient et attentionné que j'avais la sensation de m'être laissée séduire un peu trop facilement sans que cela ne semble me déranger. J'ignorais ce qu'il se passait mais quelque chose me poussait à en vouloir plus et le traqueur semblait disposé à ne pas me repousser.
Essayant de penser à autre chose, je me levais pour prendre une douche brûlante alors que je regardais mon poignet meurtri. Il y avait bien une douleur semblable à un gros hématome, mais j'avais beau le regarder sous tous les angles, il était intact, comme s'il n'avait jamais été cassé. Sentant des larmes me monter aux yeux en y repensant, je montais encore la température de l'eau alors que je regardais l'autre main. Je ne savais pas si mon attrait pour la chaleur était lié à ce que j'avais fait, mais je n'arrivais pas à oublier cette petite flamme qui s'était échappée. Quand je m'étais retrouvée face à ce... monstre... je m'étais sentie humiliée comme je ne l'avais jamais été. Si Demetri m'avait fait des avances explicites, il était resté courtois, ce qui n'était pas le cas de cet Aznar... les propos salaces et dégradants avec lesquels il m'avait gratifié m'avait tellement choqué que j'avais été incapable de faire autre chose que pleurer. Quand il m'avait attrapé par la main pour m'attirer à lui, probablement pour me vider de mon sang, avec les mains baladeuses, j'avais essayé de m'échapper avec tellement de virulence que j'étais tombée à la renverse après avoir entendu le craquement sinistre. Et après, en voyant les deux vampires tenter de m'atteindre alors que les Volturi étaient venus à mon secours, j'avais senti un drôle de fourmillement au niveau de mon cerveau. Et en croisant le regard du traqueur, c'était comme s'il y avait eu un déclic.
Quant à cette histoire de guerre des clans, j'avais conscience que ça voulait dire revoir cet individu abject. Moi qui avais toujours été trop gentille pour me défendre, je ne voulais plus revivre cette humiliation. Et si je devais devenir un vampire à mon tour pour y parvenir, alors soit. Quand Demetri avait mentionné cette possibilité la veille, au début j'avais été horrifiée. Mais au fur et à mesure, je m'étais imaginée, capable de me battre seule, et protégée par ce don, et doucement l'idée était devenue presque plaisante. Et ce alors qu'il y avait encore quelques semaines, j'espérais juste rester en vie derrière mon petit bureau. Non c'était décidée, je ne voulais plus me laisser faire. Je ne voulais plus être passive mais vraiment vivre ma vie comme je l'entendais, à un ou deux détails près. Est-ce que je serais capable de participer à cette guerre ? Aucune idée, mais je voulais me donner les moyens d'y arriver, terminée la petite Charlie terrifiée. Peut-être que je me faisais des films et que j'avais pris la confiance en découvrant que j'avais un don, mais j'avais envie de croire que je pourrais être heureuse ici. Je voulais croire que le traqueur s'intéressait suffisamment à moi, petite secrétaire humaine, pour espérer que ça débouche sur quelque chose. Et il n'était pas le seul à occuper mes pensées. Etais-je vraiment une descendante de Félix ? J'avais cru comprendre que les vampires pouvaient procréer avec l'histoire des Cullen, mais ça ne coïncidait pas... bien décidée à obtenir des réponses, je quittais finalement le réconfort bouillant du jet d'eau pour m'habiller, enfilant un pull jaune moutarde par-dessus mon jeans. Je pris ensuite quelques minutes pour m'observer dans le miroir. Je remontais mes longs cheveux blonds ondulants dans mon dos en queue de cheval au moment où quelqu'un toquait à ma porte. Retournant dans la chambre, j'appuyais sur la poignée pour tomber nez-à-nez avec celui que je comptais voir aujourd'hui.
- Félix, le saluais-je maladroitement alors qu'il m'accueillit avec un sourire.
- Il faut qu'on parle chaton, répondit-il d'une voix posée alors que je le laissais entrer. Sympa les guirlandes, ajouta-t-il en souriant même s'il ne semblait pas surpris, il avait dû l'apprendre de son meilleur ami.
- Je t'aurais bien offert quelque chose à boire mais...
- Et dire que je t'avais trouvé marrante au début, maintenant je sais pourquoi. C'est fou ce que la génétique peut faire ! S'amusa-t-il en riant doucement et j'esquissais un sourire timide en réponse.
- Alors c'est vrai ?
- En effet, et j'aurais dû m'en rendre compte avant, affirma le colosse en s'asseyant sur mon matelas exactement au même endroit que le traqueur la veille.
- Mais comment est-ce possible ?
- Je ne pense pas avoir besoin de t'expliquer comment d'un point de vue biologique, continua-t-il sous mes rougissements qui le firent rire. Comme je te l'ai dit la dernière fois, je suis originaire également de la ville de Reims. A l'époque où j'étais encore humain, c'était les débuts de ce qu'on appelle la période médiévale, il y avait beaucoup de conflits. Et donc beaucoup de vampires, parce que les guerres fournissent des quantités de nourriture sur lesquelles on peut se servir sans attirer l'attention. Cette année-là, la ville a complètement été mise à sac par Charles Martel et ses hommes. J'étais forgeron sur la place du village, et lorsqu'on a été attaqué, j'ai pris une arme parmi mes outils de travail et je suis sorti pour me battre. Je ne sais plus exactement combien de temps ça a duré, nos souvenirs humains disparaissent généralement une fois transformé, à l'inverse de tout ce qu'on vit une fois vampire, même les détails les plus insignifiants. Je me souviens en revanche de mon réveil. C'est Aro qui m'a trouvé en sang parmi les autres cadavres, il a été impressionné par ma taille qu'il a dit à l'époque. Je n'avais pas encore conscience de ce que j'étais devenu, mais à ce moment-là, je me souvenais encore avoir une famille. J'avais une femme, Isabeau, je n'ai jamais oublié son prénom, et une petite fille Félicienne. Et la première chose à laquelle j'ai pensé, c'était de vérifier si elles allaient bien ou s'il leur était arrivé quelque chose durant le massacre. Alors je suis rentré chez moi... narra Félix en se perdant dans ses souvenirs, commençant à comprendre pourquoi il ne parlait pas de son passé alors que j'avais une idée de ce qui allait se produire, compatissant à sa peine en posant une main sur la sienne, mais le colosse semblait parti loin et ne remarqua rien. J'étais tellement obnubilé par ma famille que je n'ai pas ressenti la soif immédiatement malgré les corps qui jonchaient les ruelles. Mais en pénétrant dans notre foyer, en voyant Isabeau devant moi, tout ce que je fixais c'était son cou... et quand elle a voulu s'approcher de moi parce qu'elle avait senti que quelque chose n'allait pas, son odeur a réveillé ma soif. Sans que je comprenne pourquoi, j'avais la gorge qui me brûlait, et la seconde d'après, son corps chaud et bouillonnant de vie s'est éteint dans mes bras alors que j'étanchais ma soif sur la femme que j'avais aimée. Aro est arrivé pour m'arrêter mais le mal était déjà fait... Félicienne était en train de dormir donc elle n'a pas vu ce qu'il s'était passé et à ma demande, il l'a confié à une église parce qu'il était hors de question qu'elle soit également victime de mon besoin de sang. Il m'a fallu des années pour oublier ce que j'avais commis, et hormis Aro qui était là lors de mon réveil, personne n'a su, pas même Demetri, que j'avais anéanti ma famille. Et quand il l'a su des siècles plus tard, j'ai insisté sur le fait que je ne voulais pas savoir ce qu'il était advenu de ma descendance, si elle persistait toujours, mieux valait que je me tienne à distance. Je pense qu'il aurait pu retrouver sa trace mais il a respecté ma demande. Mais tu sais chaton, ce n'est pas si rare de croiser un vampire qui a procréé quand il était humain. Rien qu'ici, nous sommes deux à être concernés puisque Renata aussi a engendré une lignée avant de transmuter. En revanche la population mondiale a tellement explosé qu'il est devenu rare de tomber sur l'un des héritiers. Et puis une fois vampire, on se détourne tellement facilement de notre ancienne vie comme le venin affecte la mémoire, qu'en général, on ne se préoccupe plus de ce qui reste de notre humanité. Le fait que tu te sois retrouvée à Volterra relève totalement du hasard, mais je suis vraiment heureux de t'avoir rencontré Charlie, tu es la fille que j'aurais aimé avoir, m'assura Félix en se levant pour poser sa main sur mon épaule.
Il s'était exprimé de façon si paternelle que je fus touchée par ses paroles. Mon propre père ne m'avait jamais dit ce genre de choses mais l'entendre de la bouche du colosse était bien plus bénéfique et malgré son gabarit impressionnant, je le pris dans mes bras pour le réconforter autant que moi-même. J'étais peinée par ce qu'il lui était arrivé, n'ayant pas la volonté de le voir comme un monstre. Je sentis ses bras puissants m'étreindre doucement contre lui alors qu'une main caressait mes cheveux avec tendresse.
- Bien que j'adorerais m'en mêler et vous imposer une autorisation parentale rien que pour vous embêter, tu n'as pas à t'inquiéter pour Demetri. Je le connais depuis mon arrivée ici, il m'a pris de suite sous son aile et je ne l'ai jamais vu s'intéresser à qui que ce soit. Je te garantis qu'il n'est pas en train de jouer avec toi, et je t'assure qu'il n'y a jamais rien eu entre Heïdi et lui, commenta Félix qui mettait les pieds dans le plat alors que j'avais envie de croire ce qu'il disait.
J'étais en train de m'attacher à quelqu'un que je connaissais à peine, et même s'il m'avait beaucoup parlé de lui hier, je trouvais ça précipité. Et pourtant oui il me plaisait. Physiquement, il était évidemment parfait, il ressemblait à toutes ces sculptures grecques. J'imaginais qu'il devait être l'idéal masculin de bien des femmes, en tout cas il était le mien. J'avais conscience qu'au vu de son âge, il avait dû connaître beaucoup de conquêtes, ce que je comprenais. Mais j'apprenais à apprécier sa personnalité, et il est vrai qu'avoir entendu son vécu ne l'avait rendu que plus attachant.
- Tu sais que les âmes-sœurs existent ? Souleva Félix alors que je me retenais de pouffer.
- Ne me dis pas que tu crois à ces trucs débiles... gloussais-je alors que je fus coupée dans mon élan par le regard noir du colosse.
- Ça n'a rien de débile. Et les vampires le prennent très au sérieux. Certains la trouvent rapidement, d'autres mettent des siècles pour la débusquer, quelques rares malchanceux ne réussiront jamais à la rencontrer pour tout un tas de raisons... mais elles sont bien réelles. Tu imagines devoir passer l'éternité seule ? Les âmes-sœurs sont ce que nous avons de plus précieux et nous nous battons pour les garder, elles sont à la fois différentes et similaires, elles se complètent l'une et l'autre. A la minute où nous la rencontrons, elle devient notre univers et il nous devient impensable de vivre sans. Et lorsque cela arrive, la rupture du lien est si brutale qu'elle anéantit celui qui demeure... tu as dû remarquer combien maître Marcus était distant... quand nous avons renversé les roumains il y a des siècles, Didyme, sa compagne, a péri lors du combat. Il ne s'en est jamais remis et n'y parviendra jamais parce que la solitude et le trou béant laissé par son absence rend chaque jour de son existence plus pénible que le précédent. Peu importe que les humains croient ou non à ce concept, il est bien réel Charlie.
- Et en quoi ça me concerne ? Quémandais-je alors que le colosse levait les yeux au ciel.
- A ton avis ?
- Tu plaisantes ? Réprouvais-je quand je compris où il essayait d'en venir, refusant de croire un truc pareil. Tu es en train de me dire que JE suis l'âme-sœur de Demetri ?
- Il va me tuer quand il saura que je t'en ai parlé. Il a bien insisté sur le fait qu'il voulait attendre que tu ressentes le lien sans être influencée mais je sais qu'au fond, tu le perçois déjà et je trouverais ça dommage de le repousser parce que tu ne vois pas les choses de la même façon. Tu es attirée depuis le début par sa présence, je te rappelle que je vous ai vu réagir mutuellement à la proximité de l'autre dès le premier jour. Si je n'étais pas intervenu, vous vous seriez envoyés en l'air dans le couloir. Quoique, tu aurais peut-être davantage senti ce qu'il représente pour toi ainsi.
- Donc tu sous-entends que nous sommes attirés par l'autre juste parce qu'on est des « âmes-sœurs » ?
- C'est plus compliqué que ça Charlie. Je sais qu'en tant qu'humaine, tu ne ressens pas le lien avec la même intensité que Demetri, mais vous n'avez été obligé à rien. Alors oui le fait d'être destiné à l'autre joue un rôle, mais je l'ai dit, les compagnons se complètent l'un l'autre, si vous aviez été tous les deux humains, l'attirance aurait quand même été là parce que l'autre aurait correspondu à tous les critères. Je voulais juste que tu comprennes que tu n'as pas à craindre Demetri ou ce qu'il provoque en toi, mais je me suis un peu emballé dans mes explications et il va me tuer quand il saura que je t'en ai parlé...
- Je vais avoir besoin d'un peu de temps pour digérer la nouvelle, avouais-je, n'arrivant toujours pas à croire que ce genre de choses puisse vraiment exister. Et les autres sont au courant de ça ?
- La plupart se doutait déjà de ce ça comme tu dis, et Dem l'a rendu officiel hier avant l'attaque. Ceux qui ne le savaient pas encore l'ont appris par le biais de Marcus. Personne n'osera te toucher au sein de la forteresse maintenant qu'ils savent. En revanche, et c'est la raison pour laquelle Demetri ne voulait pas que ça se sache au début, en devenant sa compagne, humaine de surcroît, tu deviens une cible pour toute personne qui aurait un différend à régler avec lui ou les Volturi en général. Tu es devenue sa priorité, il ne laissera personne t'approcher, me promit-il en me voyant pâlir avant de m'inciter à me rasseoir, ce que je fis volontiers pour s'enquérir de mon état émotionnel.
Parce qu'entre mon nouveau travail, la découverte de l'existence des vampires, l'attaque, ce soi-disant don, l'héritage de Félix et maintenant Demetri, ma vie s'était retrouvée complètement chamboulée en l'espace d'un mois.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top