Chapitre 5
Etonnamment, non seulement je n'avais pas été mise à la porte, mais en plus je n'avais vu personne venir me parler de l'incident au cours de la semaine qui s'était écoulée. J'avais tendance à croire que les deux vampires n'en avaient simplement pas parler autour d'eux bien que je sois toujours à la recherche de réponse qui pourrait expliquer mon drôle de comportement. Je n'en revenais pas que Félix ne me dise rien alors qu'il semblait avoir des pistes. D'ailleurs je l'avais très peu vu ces derniers jours, le retour de son meilleur ami semblait l'occuper, ce qui m'arrangeait.
Parce que cet épisode avait éveillé chez moi une frustration que je n'avais pas réussi à évacuer jusqu'à présent, et ce malgré mes vaines tentatives de l'assouvir quand j'étais dans ma chambre. Probablement parce que les paroles du colosse résonnaient dans mon esprit et que l'idée que l'ouïe ou l'odorat de Demetri puissent intercepter mes séances nocturnes solitaires m'avait perturbé et m'avait rendu incapable d'aller bien loin. Au lieu de ça, j'avais concentré mes efforts à devenir discrète afin que ma présence ne soit pas perceptible, ou presque, pour le traqueur. Si je n'en avais pas conscience à mon arrivée, les gestes les plus banaux du quotidien pouvaient produire des nuisances alors je prenais soin de fermer la porte de la cuisine quand je faisais à manger, ou mettre une serviette sur la machine à laver pour atténuer les sons produits lors d'un cycle. Et plus je faisais des efforts et plus j'avais l'impression d'être bruyante.
J'espérais que ma présence serait camouflée et absorbée par les ajouts que j'avais mis dans la bibliothèque. En plus des livres, j'avais glissé deux trois jeux, convaincue qu'ils seraient utiles à ceux qui s'ennuyaient. L'étagère du bas était donc maintenant occupée par une boîte de Monopoly édition italienne, un Uno et un Cluedo. Je n'avais pas la moindre idée de si j'avais bien fait, mais en m'installant sur ma chaise après le déjeuner, je remarquais que le jeu de cartes avait été pris, me faisant légèrement sourire.
Aussi étonnant que ça puisse l'être, je m'étais surprise à apprécier ce travail même si c'était mon tour de m'ennuyer maintenant que Félix avait oublié mon existence. Je voyais peu les résidents, la plupart se contentait de m'ignorer quand ils passaient devant moi et j'avais réussi le miracle de ne pas m'évanouir lors du deuxième festin. J'avais pris sur moi au point que je sentais que j'allais vite y devenir insensible aussi cruel soit ma réaction. Le troupeau de vaches menait à l'abattoir pour ravir mes papilles trottaient en permanence dans ma tête, comme un rappel régulier que j'agissais pareillement que les vampires à l'égard des animaux. Que j'adorais malgré tout, soyons clair ! Ils n'étaient pas si différents des humains sur certains points, et pour des créatures qui semblaient mépriser mes semblables, ils me traitaient bien. C'était des paroles que je tenais de Caïus. Quand j'allais voir de temps en temps les maîtres pour leur demander s'ils avaient besoin de quelque chose, oui j'étais folle, cherchant à occuper mon temps maintenant que presque tous les documents étaient classés, je l'avais entendu dire que je n'étais pas aussi méprisable que les autres, et vu la personnalité volcanique du personnage, je l'avais pris comme un compliment... tout ça pour dire que malgré tout, j'avais le droit à un espace privé sur lequel je ne payais aucun loyer, de plus j'étais pratiquement sûre qu'ils prenaient les frais alimentaires des employées à leur charge. Et visiblement, la garde se préoccupait tellement peu des secrétaires que je n'avais reçu aucune visite intempestive dans ma chambre qui était d'ailleurs verrouillée à clef, que je m'y trouve ou non. Ça n'arrêterait pas un vampire qui n'aurait qu'à casser la poignée mais c'était psychologique, c'était mon espace personnel, comme n'importe quel logement, ça me paraissait logique de le verrouiller. Tous les employés d'autres entreprises n'avaient pas autant de privilèges, je ne pouvais pas nier que j'étais bien traitée.
Au moment où je me lançais dans une trace informatique des récents achats effectués par Chelsea, je vis un visage aux traits angéliques se jeter sur mon bureau, l'innocence de ses traits déformée par une colère qui j'espérais ne m'était pas destinée.
- Bonjour Jane, fis-je poliment en regardant l'adolescente blonde que j'avais vaguement aperçue ses derniers jours.
C'était la première fois que je lui adressais la parole et je n'avais pas envie de perdre bêtement la vie. J'avais cru comprendre que Félix avait continué à lui lancer des blagues plus ou moins drôles et qu'il serait suicidaire de ma part de ne pas faire attention. C'est alors que je remarquais dans ses mains la notice du Uno qu'elle me colla sous le nez de si près que les paragraphes étaient floutés.
- Félix ose affirmer qu'il a le droit de poser plusieurs cartes d'un coup... il m'a mis tous les +4, ça fait une heure que je perds toutes les parties ! S'emporta la blondinette qui donna un coup de poing colérique sur un coin du bureau qui chancela. Mais qui, par je ne sais quel miracle, réussit à tenir sur ses pieds, me faisant fermer les yeux un bref instant pour ne pas voir ma mort arriver. Répond ! Renchérit-elle agacée de me voir silencieuse.
En tout cas, pour ce qui était de Jane, ses expressions faciales étaient faciles à déchiffrer et malgré la situation, je devais lutter pour ne pas rire. Oui j'avais envie de rire même à deux doigts de mourir. Imaginer une adolescente immortelle faire une crise pour un jeu était assez marrant. Bien qu'il y ait un règlement, certains se faisaient leurs propres règles et visiblement Félix avait décidé de tourmenter la garde. A croire que Demetri avait raison, il devait apprécier le don redoutable de la vampirette.
- Hum... non techniquement et officiellement, ce n'est pas autorisé de mettre plusieurs cartes d'un coup, y compris les +4. Et au passage, les changements de couleur ne sont autorisés que si le joueur ne peut poser aucune autre carte... commençais-je à expliquer avant d'être interrompue par le cri de rage de l'adolescente.
- Je le savais ! Je vais le tuer ! Je vais les tuer tous les deux ! Lança-t-elle en repartant comme une furie vers les étages supérieurs, si absorbée par le jeu que je n'eus à subir aucunes conséquences, pour le moment.
Essayant de contenir un rire maintenant que j'étais seule, je me replongeais dans mon tableur durant deux bonnes heures malgré ma perplexité sur certains achats que faisait le clan. J'étais encore en train d'essayer de comprendre ce qu'ils pouvaient faire avec autant de sommiers quand les deux acolytes apparurent devant moi. Je les trouvais un peu trop joyeux après le départ précipité de Jane, les observant d'un œil suspect alors qu'ils s'accoudaient l'un et l'autre sur le bois qui grinça à nouveau. Ne voulant pas être virée pour avoir obligé les Volturi à racheter un bureau, je me mis sur mes pieds d'un bond.
- Arrêtez de malmener mon poste de travail ! Pestais-je en essayant de les faire reculer en les poussant, ce qui déclencha une crise de fou rire chez Félix.
- En fait, c'est moi qui ai été malmené aujourd'hui, dit-il en essayant de me faire culpabiliser.
- Soit tu n'as pris la peine de lire le règlement avant de jouer, soit tu l'as fait exprès, dans tous les cas je n'y suis pour rien... osais-je répondre sans me dégonfler avant de jeter une œillade à son comparse en essayant de paraître totalement impassible. Non il ne sait absolument rien de mon programme nocturne de ces derniers jours, essayais-je de me convaincre. Mais apparemment, j'ai cru comprendre que tu as été aidé... ajoutais-je sous le sourire énigmatique du blond qui m'avait certainement entendu aussi parler avec Jane.
- Elle a toujours été mauvaise perdante, répondit le traqueur sous les rires de Félix qui reposait la boîte rouge sur la bibliothèque.
- Surtout après avoir mangé toutes les cartes supplémentaires à piocher, même Alec s'y est mis et c'est rare de le voir se liguer contre sa douce et charmante jumelle... ! Renchérit le colosse alors que je commençais à me poser des questions sur sa santé mentale.
- Tu subis souvent son don ? Demandais-je alors qu'il haussait les épaules.
- Oh tu sais, à force ça ressemble à des chatouilles, répondit-il le brun alors que son acolyte levait les yeux au ciel.
- Tant que tu es là, tu vas pouvoir m'aider à y voir plus clair. J'ai bien compris que vous n'aviez pas besoin de dormir, pourtant vous achetez une quantité effarante de lits, vous avez vraiment besoin d'en prendre autant ? Lui fis-je en réalisant qu'ils allaient participer à la déforestation s'ils continuaient comme ça alors que les deux vampires me regardèrent une demi-seconde avant de se mettre à rire.
- Tant d'innocence dans un si petit corps, s'amusa Félix en regardant le blond avec qui il semblait communiquer juste par le regard.
- Vous comptez me répondre ou vous allez continuer à vous foutre de moi ? M'impatientais-je alors que je voyais du coin de l'œil le traqueur contourner mon bureau pour me faire face.
- Ce n'est pas parce que nous ne dormons pas que nous n'avons pas besoin de lits, assura-t-il tout en restant prudemment à distance, son regard carmin rivé sur moi. Il n'y a pas que nos sens qui sont amplifiés, nos besoins aussi.
- Vos « besoins » ? Répétais-je alors qu'il finit par se rapprocher de façon à me dominer de toute sa hauteur, me faisant reculer pour ne pas revivre la scène de la semaine dernière alors que Demetri se remit à sourire d'une façon qui ne plaisait pas, enfin pas trop.
- Les mêmes que les tiens. Tu sais, cux que tu essaies désespérément de satisfaire depuis une semaine sous la douche en espérant que je n'entende rien avec l'eau, lâcha-t-il fier de lui alors que je rougissais violemment, choquée qu'il ose balancer un truc pareil en public, jetant un œil à Félix qui regardait le plafond pour faire comme si qu'il n'entendait rien alors que je le voyais se marrer en silence.
- Et vous avez besoin de déglinguer le matériel ? Enchaînais-je d'une voix plus aiguë.
- Vaut mieux le matériel que nos partenaires chaton, intervint le colosse tout sourire alors que je refusais de me laisser attendrir par un surnom.
- Tu as besoin d'une démonstration peut-être ? Proposa Demetri avec tellement de naturel que j'étais convaincue qu'il était sérieux.
- Non merci, répliquais-je plus rapidement que prévu. Non pas que sa proposition soit désagréable, ravivant d'ailleurs ma frustration, mais je n'étais pas certaine que me faire briser une côte me procurerait beaucoup de plaisir.
- Insinuerais-tu que je ne sais pas être doux ? Continua le blond imperturbable, me poussant légèrement au niveau de l'épaule, suffisamment fort pour faire atterrir mes fesses sur ma chaise roulante alors qu'il se penchait au-dessus de moi. Ses bras m'encadrèrent de part et d'autre en s'appuyant sur la porte de la réserve, provoquant une accélération de mon palpitant. Tu pourrais être surprise, souffla-t-il alors que ses prunelles avaient viré au noir. Son visage approcha dangereusement de mon cou pour respirer mon odeur, me faisant sursauter en sentant un ses dents se poser contre ma peau pour y exercer une légère pression sans incidence alors que mes mains agrippèrent sa cape sans que je ne puisse m'abstenir.
- Tu ne veux toujours pas entendre mes théories ? Intervint Félix sans chercher à s'interposer, faisant grogner le traqueur qui releva la tête vers son ami.
- Je t'ai déjà dit de garder tes théories pour toi, cingla-t-il calmement alors que je cherchais à reprendre mon souffle, relâchant le tissu gris si violemment que j'attirais à nouveau son regard sur moi. On n'a pas fini cette discussion, assura-t-il dans une promesse en se reculant, me laissant haletante. Tandis que les deux vampires disparaissaient dans les ténèbres de la forteresse, me laissant pantelante sur ma chaise. Seigneur...
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