Chapitre 23

Avachie contre le sol en pierre de ma cellule, je me retenais de crier pour ne pas exprimer la souffrance qui m'assaillait en continu. J'avais déjà entendu parler des douleurs fantômes lors d'une amputation, ne pensant pas la ressentir un jour. Pourtant chaque journée qui passait était une torture, ressentant une brûlure permanente pour le membre qui m'avait été arraché et qui m'irradiait de l'intérieur. Je ne savais même pas ce qu'ils en avaient fait, mais les chances de le récupérer un jour étaient minces. Jetant un œil vers mon épaule dont un morceau manquait, j'aurais fondu en larmes si j'étais encore capable de pleurer, envahie par une sévère nausée que je ne pouvais pas évacuer, et je passais douloureusement ma main gauche dessus avant de serrer les lèvres. On ne m'avait pas juste retiré un bras, on m'avait pris quelque chose d'essentiel, une part de moi. Qui plus est, celui avec lequel j'étais le plus à l'aise.

Assommée en permanence par le don radioactif d'Alexei, j'avais à peine percuté sur le coup quand Aznar était venu l'arracher avec l'aide d'un grand costaud d'un gabarit similaire à celui de Félix. Je ne m'en étais rendue compte qu'une fois que j'en avais été dépouillé, la douleur m'ayant envahi seulement après, le temps que le cerveau percute, me faisant hurler et les faisant ricaner. J'avais ensuite entendu les gémissements de douleur de Didyme qui avait subi le même sort dans la foulée. J'avais vite perdu la notion du temps, ignorant combien de temps j'avais passé entre les mains de l'ennemi, et combien de temps il me restait à vivre. Je savais juste que l'anniversaire de Demetri avait sûrement dû passer sans que je ne puisse y assister. Il n'avait probablement pas à la tête à ça, mais j'espérais que mon cadeau lui plairait, si Jane le lui avait transmis. J'avais passé un certain nombre d'heures à le retrouver, avec l'aide de l'anglaise qui avait besoin de s'occuper l'esprit pour oublier qu'Alec passait tout son temps avec Beth. J'avais dû éplucher son passé humain et Amun m'avait beaucoup aidé même s'il ignorait exactement ce que je cherchais. Quand j'avais découvert qu'un musée faisait des fouilles sous-marines pour proposer de nouveaux objets, j'avais récupéré le précieux bouclier qui devait être exposé à Naples avant de le ramener à Volterra pour le remettre en état avec l'aide du don d'Afton qui l'avait dissimulé à la vue des autres.

On avait beau être seules dans les souterrains, les autres vampires étant trop occupés à préparer leur guerre contre les Volturi, le quotidien n'en restait pas moins infernal. Certains avaient bien essayés de se divertir en essayant de nous approcher, mais mon don toujours en veille avait réagi immédiatement pour les tenir à distance en créant une flamme qui les fit changer d'avis. Mais le reste du temps, mon pouvoir restait en sommeil, et pourtant j'avais essayé de remettre en application les conseils de l'égyptien. Mais le taux d'humidité élevé l'empêchait de se manifester autrement que pour nous protéger des pensées salaces de nos geôliers. L'ancienne souveraine n'en menait pas large non plus même si elle gérait la situation beaucoup mieux que moi, avec un visage impassible, ne montrant jamais à Aznar ses faiblesses et je l'admirais pour ça, parce que j'en étais très loin. Didyme faisait de son mieux pour que je ne sombre pas dans le désespoir et la désolation, me parlant souvent pour me maintenir en alerte sans se préoccuper de ses propres états d'âmes. Elle devait me trouver tellement égoïste et immature en comparaison... pourtant elle continuait de me parler d'anecdotes sur des moments de sa vie avec un ton maternel et bienveillant, me témoignant une telle affection dont j'avais été privée durant ma vie que si je n'avais pas été retenue par les barreaux, je l'aurais prise dans mes bras. Si Demetri me manquait effroyablement, je n'avais même idée du vide qui devait l'envahir après avoir passé toutes ces décennies éloignée de Marcus. C'était d'ailleurs un des rares sujets que nous n'évoquions pas même si on y pensait en permanence, parler de nos compagnons n'aurait fait que rendre leur absence encore plus insupportable.

Je n'avais pas revu Charlotte depuis qu'elle avait demandé à l'ukrainien de me torturer, mais je savais que ma mère était bien là, parce que je recevais régulièrement un jet d'eau au visage pour me rappeler son existence. Et dans le fond, la douleur émotionnelle que je ressentais était bien plus violente que celle qui venait de mon bras manquant. Pourtant j'avais appris à me détacher de mes parents depuis mon adolescence parce que nous n'étions jamais d'accord sur rien, et quand j'avais quitté le nid familial, jamais je ne m'étais sentie aussi libre et épanouie. Mais une mère restait une mère, et malgré que notre entente n'était plus cordiale depuis longtemps, son changement de comportement complet me détruisait de l'intérieur. Elle était unie à l'un des pires vampires qui devaient exister, elle était prête à réduire en esclavage l'humanité après avoir l'avoir aidé à éliminer les Volturi, leurs alliés et même sa propre fille qu'elle avait fait torturer sans le moindre remord, j'avais forcément manqué quelque chose pour qu'elle sombre ainsi. Didyme avait essayé de me réconforter dessus aussi, assurant que le fait d'être un obstacle au projet d'avenir de son compagnon était suffisant, mais ce monde était encore nouveau pour moi et il allait me falloir du temps pour accepter une chose pareille pour une raison aussi simple.

La vie à la forteresse me manquait alors que je n'y avais pas vécu longtemps, mais j'y avais des amis, principalement Jane, aussi dingue que ça puisse être. Il y avait bien entendu Demetri que j'aimais plus que tout, il y avait Félix qui s'était comporté comme un parent aimant avec plus d'investissement que ceux qui m'avaient mis au monde... je m'y sentais chez moi, j'y avais vite trouver ma place que je n'avais pas réussi à trouver ailleurs, et maintenant que j'en étais loin, j'avais envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. Si j'avais cru au début que manger serait la chose qui me manquerait le plus de mon humanité, je m'étais fourvoyée, parce qu'en vérité, je regrettais surtout de ne plus pouvoir évacuer toutes mes émotions négatives en pleurant. Je me souvenais du bien-être que je ressentais quand j'étais humaine, de la sensation de calme et de sérénité qui m'envahissait après. Depuis mon réveil en vampire, je n'avais pas encore trouvé une autre manière de me sentir mieux avec moi-même, et c'était bien la chose la plus difficile à gérer de ma nouvelle vie en vérité.

Jetant un œil au travers des barreaux de ma voisine tout aussi silencieuse, je la vis assise dans le fond de la cellule avec un port altier fier, digne d'une reine, pourtant son regard vide montrait qu'elle était tout aussi perdue dans ses pensées. C'était quelque chose que je respectais, nous gérions toutes les deux notre captivité à notre façon, mais le silence restait la meilleure, il nous évitait notamment de dire quelque chose qui pourrait être utile à l'adversaire en nous confiant trop. Les avoir laissé nous démembrer nous avait affaibli et pas seulement physiquement et cela prenait du temps à s'en remettre. De mon côté je réfléchissais désormais à une façon de sortir d'ici, ce qui devait être aussi le cas de la compagne de Marcus. J'avais entendu certains des dons qu'Aznar possédaient, et l'ukrainien ne serait pas le seul problème que les Volturi allaient devoir affronter. Il détenait toute une panoplie de pouvoirs inquiétants, et parmi les pires, je ne savais pas lequel devait me faire le plus peur : le chronokinèse ou l'atmokinèse... le premier était flippant mais comme je ne connaissais pas les limites du second, il serait dangereux de le négliger, et ce n'était que des exemples sur une longue liste.

En parlant de dons, Alexei, qui s'était absenté pour se nourrir vu le changement de teinte de ses pupilles, sachant très bien qu'on était incapable de s'enfuir, venait de revenir. Le jeune ukrainien ne nous parlait jamais, pourtant j'étais presque certaine d'avoir décelé chez lui une faille à exploiter. Et c'était à Demetri que je le devais comme il m'avait raconté son histoire. Il avait bien insisté sur le fait que c'était parfois difficile de trouver un équilibre lorsqu'un vampire trouvait chez quelqu'un un don qui l'obsédait et de concilier sa vie avec son compagnon, ou inversement. Ma mère avait dit elle-même qu'Alexei était le protégé de son compagnon depuis plus de vingt ans. Pourtant, je voyais un certain agacement quand elle lui donnait des ordres, et ce, autant chez elle que chez l'ukrainien. Probablement parce que son arrivée avait bouleversé cet équilibre en obtenant toute l'attention de l'espagnol au dépens du jeune homme, qui n'avait peut-être que son créateur comme véritable repaire. Devoir le partager avec quelqu'un qui aurait désormais la priorité ne devait pas être très simple, et j'espérais pouvoir l'utiliser à notre profit.

- Tu comptes t'abaisser à suivre les ordres de ma mère pour l'éternité ? Fis-je en restant assise dans ma cellule mais en lui accordant toute mon attention alors que je vis du coin de l'œil la souveraine italienne tourner son visage vers nous. Tu as conscience que quoi tu fasses désormais, tu vas devoir partager ton créateur avec elle ?

Le brun, toujours silencieux, me lança un regard si sombre que j'eus un frisson à l'idée de subir à nouveau son don, mais s'il s'agissait d'une porte de sortie, et peut-être la seule dont nous disposions, il fallait la saisir. Il ne faisait aucun commentaire pourtant j'étais persuadée d'avoir touché un point sensible en évoquant ma génitrice, parce que son visage s'était immédiatement fermé à cette supposition.

- Et Aznar, tu crois qu'il se soucie de toi ? Il ne te voit certainement pas de la même façon que toi... tu n'es qu'un pion pour lui, un moyen de mettre à exécution son plan, si toi et Charlotte étiez blessés au combat, et qu'il ne devait en choisir qu'un à sauver, tu crois que son choix se porterait sur toi au détriment de son âme-sœur ? Avec la diversité de dons qu'il a réuni à rassembler, je ne crois pas qu'il regrettera la perte de l'un d'eux sur le champ de bataille tant que les autres sont toujours debout pour asservir sa cause... continuais-je en prenant soin d'employer un ton compatissant. C'était bien entendu une démarche hypocrite de ma part, mais je n'arriverais à rien en lui parlant de façon condescendante. Moi aussi j'ai un compagnon, et je peux te garantir que lorsqu'on rencontre sa moitié, elle seule compte. Ça m'a pris un peu de temps pour m'en souvenir à cause du venin, mais quand j'étais humaine, Demetri m'avait expliqué que pour avoir une ascendance totale sur un individu, il fallait en être le créateur, parce qu'il obtient une espèce d'autorité naturelle sur ceux qu'il a transformé, une emprise contre laquelle il est difficile de lutter. Et Aznar en profite pour utiliser cette autorité sur toi pour obtenir tout ce qu'il veut de toi avec la garantie que tu ne te rebelleras pas. Que tu lui obéisses à lui est donc compréhensible, mais que tu deviennes le larbin de celle qui obnubile le temps libre de celui que tu considères peut-être comme un père, je reconnais que ça me dépasse...

Je me tus quelques secondes pour lui laisser le temps d'assimiler ce que je venais de lui dire, la dernière chose à faire était de le submerger de tentatives au risque de le voir détaler et de perdre notre chance de sortir de ces cachots.

- Toi aussi tu as un ou une compagne quelque part qui t'attend, mais tu n'auras aucune chance de la trouver si vous éliminez la majorité des vampires de la planète pour assouvir les fantasmes tordus d'un homme qui ne se soucie même pas de son armée...

Je vis les yeux sombres de l'ukrainien se rétrécir si rapidement que je n'eus pas le temps de réagir, m'effondrant davantage au sol pour le poids des brûlures toxiques, m'appuyant tant bien que mal sur mon unique bras pour garder un semblant d'équilibre alors qu'un sifflement résonna dans les sous-sols du château qui était à l'origine de la légende du comte Dracula.

- Tais-toi ! Grogna le brun avec un fort accent de l'est en se rapprochant de ma cellule pour me regarder avec une sérieuse envie de me tuer. Pourtant je savais que je touchais quelque chose du bout du doigt parce que c'était la première fois que je le voyais perdre le contrôle de lui-même. Je suis son préféré de tous ! Il me fait tellement confiance qu'il m'a laissé l'honneur de supprimer ces affreux jumeaux, répliqua-t-il avec fierté alors qu'un déclic opéra en moi, l'ayant vu marquer une légère hésitation à son insu.

Je ne savais pas d'où me venait une idée pareille, il n'y avait aucune garantit que j'ai visé juste, pourtant les similitudes étaient trop troublantes pour être ignorées. L'ukrainien avait été transformé personnellement par le chef de son clan lors d'une mort qui était déjà virulente, au point de développer un pouvoir d'une violence rare, devenant son don le plus précieux. Ça aurait pu concerner n'importe qui, mais j'avais croisé assez de couples dont les pouvoirs se rejoignaient ou se complétaient pour que je pense immédiatement à la petite anglaise. Et si le compagnon de Jane qu'elle redoutait tant de rencontrer était en vérité devant moi, œuvrant pour le camp ennemi ? J'observais Alexei un moment pour digérer cette hypothèse, mais en voyant son regard flamboyant et animé par le plaisir de faire souffrir, j'étais presque sûre d'avoir raison.

- Tu ne pourras pas tuer les jumeaux, tu ne te le pardonneras jamais, lui assurais-je doucement alors que ma voisine tendait l'oreille, intéressait par mes paroles, n'ayant apparemment pas encore fait le lien alors que le brun ricanait. Je n'imagine même pas le cataclysme émotionnel que tu vivras si tu supprimes de ta main ta propre compagne, parce qu'aussi fou que ça puisse paraître, je suis convaincue que Jane et toi êtes liés. Et jamais elle ne laissera celui qui aura tué son frère qu'elle aime plus que tout l'approcher...

- C'est tout ce que tu as trouvé ? Gronda Alexei qui allait sûrement me refaire goûter à son don, mais la compagne de Marcus vola à mon secours en employant le même ton maternel mais en plus prévenant encore, comme si elle s'adressait à un petit animal blessé.

- Ce que dit Charlie a de quoi soulever des questions... il suffit que tu prennes le temps d'étudier cet ordre. Qu'est-ce que tu as ressenti en évoquant le fait que tu devras tuer Jane ? Etait-ce aussi palpitant que d'imaginer tuer un autre Volturi, ou est-ce que cette pensée provoque en toi un malaise désagréable que tu n'arrives pas à expliquer ? Ce n'est pas grave si tu ne l'as jamais rencontré Alexei, quand un lien fort unie deux âmes, il suffit de peu de choses pour nous dissuader de faire quelque chose tu sais... alors dis-moi, maintenant que tu as la possibilité de réfléchir à ce que tu dois faire sans la pression d'Aznar, tuer Jane te semble-t-il être faisable pour toi ? Demanda Didyme qui s'était relevée dignement maintenant qu'elle avait aussi un espoir de s'échapper. Imaginons que ce soit vrai, tu crois qu'Aznar l'épargnera pour toi en sachant combien elle est vindicative et en n'oubliant pas que son jumeau lui aura été arraché ? Ou qu'il te laissera partir pour que tu puisses vivre heureux avec la petite protégée d'Aro ? Oh non... une fois qu'il nous aura supprimé toutes les deux pour affaiblir nos compagnons et le clan, c'est vous qu'il tuera sans remords, il préférera sacrifier ton don si incroyable soit-il, juste pour ne pas avoir à gérer cette troublante situation...

Je devais être vraiment suicidaire pour tenir à régler ce problème alors qu'il avait pris plaisir à me torturer. Mais Jane était devenue mon amie, et j'avais vu combien la possibilité de rester seule lui pesait. Même en trouvant son compagnon elle n'était pas certaine qu'il voudrait de lui, à cause de son don, de son âge, de son physique qu'elle jugeait trop jeune... si sa moitié avait un don similaire qui lui procurait le même plaisir, elle serait peut-être plus en confiance et se laisserait plus facilement aborder. Alors oui, pour mon amie, pour notre survie avec Didyme, pour la survie des Volturi... il fallait convaincre Alexei parce que tout reposait peut-être sur lui.

- Aznar ne me demanderait jamais de tuer ma compagne, assura-t-il pourtant en refusant mon hypothèse, mais on voyait que son assurance avait légèrement vacillé. Qui que ça puisse être, ce n'est pas elle.

- Je l'espère pour toi, mais réfléchis quand même à ça, parce qu'il sera peut-être trop tard quand tu t'en rendras compte, ajoutais-je en le regardant différemment, ou du moins en essayant, pour le moment, la saveur de la radioactivité était encore trop fraîche pour avoir autant d'audace. Mais si tu as un doute, je connais une personne qui pourra t'aider à y voir plus clair.

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