Chapitre 9 - Souvenir
Prune,
Robion, Décembre 2016
À mes yeux, le 25 décembre est le plus beau jour de l'année. Ce matin-là, Mira et moi nous réveillons à l'aube, avant mes parents, pour descendre dans le salon vérifier que le père noël est bien passé durant la nuit.
— Chut ! Fais pas de bruit.
— T'as la lampe de poche ?
— Oui.
Nos pas font grincer le plancher, nous nous faufilons dans les escaliers jusqu'à apercevoir l'étoile brillante au-dessus du sapin, les boules de toutes les couleurs, les guirlandes, et puis...
— Les cadeaux ! chuchote Mira, surexcitée. Ils sont là.
— Où ça ?
— Là ! Enfin ! Où tu veux qu'ils soient ?
Il y en a plein. De nombreux paquets, de toutes les formes et les couleurs, s'alignent sous les branches de l'épicéa ramené du marché par Papa. Et sur la table de la salle à manger, j'aperçois aussi les treize desserts, bien alignés, prêts à être dégustés. C'est une tradition provençale, un rituel vieux de plusieurs siècles que mes parents s'efforcent de perpétuer. Douze desserts pour les apôtres, et un treizième pour Jésus Christ et on les mange juste après la messe de minuit. Notre famille n'étant pas très croyante, on a délaissé la partie église pour se concentrer sur la dégustation et Maman a tout préparé pour le déjeuner de ce midi (même si j'espère que nous pourrons goûter quelques nougats au petit déjeuner).
Je me demande si Cyprien connaît cette tradition.
— Et si on allait voir Cyp' ? propose Mira.
— Maintenant ? Il fait à peine jour.
Ma sœur hausse les épaules, c'est vrai que c'est tentant, il suffirait de traverser le jardin, et de passer entre les cyprès donnant accès à son chez lui. On l'a déjà fait pour le rejoindre dans la cabane sur l'olivier, les après-midis, mais jamais encore le matin. J'hésite, mais contrairement à moi qui prend toujours un loooooong moment pour réfléchir, Mira fonce tête baissée.
— Allez quoi ! T'as peur ?
— Bah non. C'est juste qu'il est tôt.
— Oh, mais c'est pas grave ça. On a qu'à lui emmener des desserts ! Ça lui fera une surprise de Noël.
— Bon, bon...
Comme toujours, je capitule face à ma jumelle.
Aussitôt dit, aussitôt fait, nous voilà en train de chaparder un sac en tissu cousu par Mamie et de glisser un échantillon des treize desserts à l'intérieur : noix et noisettes, amande, raisins secs, figues séchées, dattes, nougats blanc et nougats noirs, pompe à l'huile, calissons, pâtes de coings, fruits confits. La liste s'allonge encore, comme si Maman avait voulu nourrir non seulement les apôtres, Jésus, mais aussi tout le village. Elle a ajouté des clémentines, oranges, mandarines, de la fougasse, un gibassié, des sablés et chocolats faits maisons que nous l'avons aidé à préparer.
Nous avons fêté le réveillon en petit comité hier soir, avant d'aller nous coucher juste avant minuit. Évidemment, à notre âge, Mira et moi savons pertinemment que le père noël n'existe pas. Toutefois, et afin de préserver la magie, mes parents ont décidé de rester dans le déni. Avant minuit, nous partons donc au lit, afin de laisser au(x) père et à la mère noël le temps de passer. On a coutume de dire que le Père Noël entre par la baie vitrée, parce que nous n'avons pas de cheminée, juste un vieux poêle dans lequel je déconseillerai à quiconque d'entrer.
— C'est bon ?
— Oui oui, c'est bon.
Mira me montre le sac ficelé, tout sourire, puis me désigne la porte donnant sur le jardin. Je passe la première pour lui ouvrir tandis qu'elle transporte son butin, et nous nous retrouvons dans le silence du début de matinée. Le jardinet donne sur un terrain composé d'un puits et d'un petit olivier planté cette année. Une cordelette le traverse, où pendent des vêtements en train de sécher (oui, le 25 décembre, il fait chaud dans la journée, c'est limite si on ne sortirait pas le barbecue à la place de la dinde farcie). Nous nous faufilons sous les draps, atteignons les lauriers et nous glissons dessous, ni vue, ni connue.
Une seconde plus tard, nos pieds foulent le jardin des Escoffier. C'est là que Mira me fait remarquer :
— On est toujours en pyjama.
— Ah oui. Mince !
Ma sœur éclate de rire, et je la suis dans son éclat de voix. Les cris d'un bébé nous interrompent alors. Ils proviennent de l'intérieur, et vus les hurlements, l'enfant a sans doute réveillé toute la maisonnée. Mira me désigne l'olivier du doigt, et me fait signe de grimper. De là-haut, nous pourrons atteindre la fenêtre qui donne sur la chambre de Cyprien et Romaric, et s'il est réveillé, lui faire parvenir notre butin. Mira disparaît dans l'arbre, et je la rejoins une seconde après, juste au moment où la porte du rez-de-chaussée s'ouvre, laissant apparaître le père de notre meilleur ami.
— Sylvain ! Tu vas où ? lance la voix de Rosalie, la mère de notre meilleur ami.
— Fumer ! réplique-t-il. C'est interdit, ça aussi ?
— Je t'ai déjà dit que je voulais que tu arrêtes.
— Ouais bah si tu faisais taire ce gosse, j'y arriverais peut-être ! Sérieux Rose, s'il ne ferme pas sa bouche d'ici à ce que je revienne, je te jure que je m'en charge.
Ma sœur et moi nous figeons, un brin perturbées par l'altercation. Je n'aime pas trop le père de Cyprien, ses yeux sont toujours froids et il a constamment l'air énervé. Rien à voir avec son fils. Quant à sa mère, elle ne nous dit jamais bonjour, comme si elle ne nous aimait pas, ou que ça la dérangeait qu'on joue avec ses enfants.
Cachées dans l'olivier, nous attendons que Sylvain ait terminé sa cigarette, puis soit rentré, avant d'attraper un bâton abandonné sur notre planche de fortune pour le tendre vers la fenêtre de notre ami.
— Attention.
— Tiens le bien.
— Mais je le tiens !
Mira s'agrippe derrière moi pour me maintenir tandis que je frappe trois coups avec mon arme de fortune contre la fenêtre. C'est marrant, Cyprien dort toujours avec les volets ouverts et les rideaux tirés, comme s'il craignait le noir.
Personne ne vient. Je recommence.
J'espère qu'il ne dort pas, sinon je risque de le réveiller. Quoi que, les cris d'Anis n'ayant toujours pas diminué, j'imagine qu'on ne peut pas dormir avec un vacarme pareil. Et justement, sa frimousse finit par apparaître. Il colle son nez contre la fenêtre et sa bouche forme un « O », avant qu'il n'ouvre.
— Qu'est-ce que vous faites là ?
— Joyeux Noël.
— Si mes parents vous trouvent...
— On voulait t'apporter un cadeau !
Discrètement, je désigne le sac rempli de desserts. Il pèse lourd dans ma main, Mira l'a bien chargé.
— Et tu comptes faire comment pour me le donner ?
— On va l'accrocher au bâton, déclare Mira. Et hop !
Hop ? Oui, alors...
J'avise le sac, puis le bâton, et grimace.
Vu le poids, cela risque de s'avérer plus compliqué que prévu. Ma sœur a de l'ambition, mais elle n'a sûrement pas mesuré la difficulté. Si la branche craque, tout risque de tomber, et je doute que Papa Sylvain apprécie de voir des nougats étalés sur sa terrasse.
— C'est qui ? entendons-nous derrière Cyprien.
— Rien, retourne te coucher.
— Mais c'est qui ?
— Juste les jumelles.
Comment ça juste les jumelles ? On n'est pas juste quelqu'unes. On est ses meilleures amies. Il a d'autres visites qui passent à l'improviste un matin de Noël ?
— Y a quoi dans le sac ? demande-t-il en se penchant.
Une seconde, je crains qu'il tombe et lui fais signe de reculer.
— Des gourmandises, répond Mira à ma place. Tu veux pas venir dans la cabane ?
— J'peux pas, mes parents nous interdisent de sortir.
Il jette un regard en arrière, comme s'il avait peur de les voir surgir, puis reporte son attention sur nous.
— Vous pouvez les cacher dans l'olivier ? J'irai les chercher tout à l'heure.
L'espoir transperce sa voix, et mon cœur se gonfle de joie à l'idée qu'il trouve notre cadeau. Je hoche la tête, en écho à Mira qui effectue le même mouvement. Nous échangeons encore quelques minutes, avant que ma jumelle ne cache le sachet dans un trou de l'olivier, puis vérifie que la voie est libre pour redescendre.
Une fois en bas, Mira part la première, elle court vers les cyprès. Je reste une seconde en arrière, les yeux levés vers la maison. Les pleurs d'Anis ont cessé, la fenêtre s'est refermée, mais Cyprien a toujours le front contre la vitre. Je lève ma main et un sourire éclaire son visage lorsqu'il me répond, avant de m'envoyer un baiser.
Si j'étais Mira, je l'aurais attrapé et lui aurais renvoyé.
Moi, je me contente de serrer mon poing et le poser contre mon cœur. Ce bisou-là, c'est mon cadeau de Noël, et je ne veux pas le partager.
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