Chapitre 23


Prune,

La Ciotat, 14 août 2023

Cyprien m'a embrassé.

Je sais, je ne devrais pas m'emballer, ce baiser ne signifiait sûrement rien pour lui, mais pour moi, il était particulier. Vraiment particulier.

Parce que c'était mon premier baiser.

Oui, je sais. C'est triste de n'avoir encore jamais personne à mon âge, et en même temps, je ne regrette pas d'avoir attendu aussi longtemps. La réalité était plus belle que mes rêves, je trouve seulement qu'elle n'a pas assez duré. J'aurais aimé que ses lèvres s'attardent davantage sur les miennes et que cela se prolonge encore longtemps.

Et justement, j'ai eu une idée. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise idée, mais si je veux qu'il se passe vraiment quelque chose entre Cyprien et moi, je ne peux pas m'en tenir à ce baiser qui n'était sûrement qu'un jeu pour lui. Après tout, nous parlions de pénitence et il devait racheter sa faute d'avoir volé ce cadeau qu'il m'a fait, voilà bien des années. Cela ne signifiait sûrement rien.

Le problème, c'est que ça signifiait beaucoup pour moi.

— Papa ?

Je quitte les escaliers et pénètre dans la salle à manger. Il est neuf heures du matin, mais il fait déjà chaud. Ma mère est partie ranger la boutique et mon père est affalé sur le canapé où il regarde les infos à la télé, pendant que le ventilateur brasse de l'air chaud dans la pièce. Il est en congé pour quelques semaines et cela va lui faire du bien. Mon père est ingénieur et travaille à l'ITER, à Cadarache, en tant que chercheur. Un emploi qui nous fait toujours grincer des dents, moi et ma sœur, et qui ouvre souvent des débats à table entre lui et Maman sur l'utilité de mener des recherches dans le secteur du nucléaire quand on sait combien cela pollue la terre. À l'heure du réchauffement climatique, nous trouvons cela aberrant, mais mon père maintient qu'il s'agit d'un projet « révolutionnaire », voire écologique, car la fusion ne produit pas de déchets radioactifs, contrairement à la fission utilisée dans les centrales (j'avoue ne pas avoir tout compris à son charabia scientifique).

— Oui, ma chérie ?

Il me sourit et penche la tête légèrement sur le côté, comme il en a l'habitude, car son œil droit voit mieux que le gauche.

— Tu pourrais me prêter la voiture ?

Ses yeux se froncent, je maintiens mon regard déterminé et souris.

Comme j'ai eu dix-huit ans il y a quelques semaines, je peux enfin utiliser mon permis, et hier soir, j'ai proposé sur un coup de tête à Cyprien d'aller se baigner à la plage avec moi. Bon, OK, ce n'était pas totalement sur un coup de tête. Je savais que le lundi était son jour de repos.

— Euh... C'est pour aller où ?

— À la Ciotat.

— À la Ciotat ? répète-t-il. C'est loin.

— Une centaine de kilomètres, précisé-je. Mais c'est joli. Et ça me permettra de m'entraîner, je n'ai pas beaucoup l'occasion de conduire.

Je continue de sourire. Je vois le dilemme dans le regard de mon père, il craint qu'il m'arrive quelque chose en voiture. Mon père n'a pas encore accepté que j'ai dix-huit ans, que ma sœur et moi avons eu le bac et que nous serons dans d'autres villes l'année prochaine. Heureusement que nous rentrerons tous les soirs, car mes parents ne sont pas encore prêts à couper le cordon. Ça c'est sûr.

Moi non plus, cela dit.

— Allez ! Dis-oui, s'il te plaît.

— Tu y vas avec qui ?

— Le voisin.

Cette fois, ses sourcils se froncent si fort qu'ils forment un circonflexe. Je le vois méditer mes paroles, les analysant dans tous les angles, jusqu'à lâcher :

— Le fils Escoffier ?

— Voilà.

— Mmm... Je ne sais pas, Prune. Tu sais bien ce que je pense de cette famille.

Sauf qu'il n'a plus de famille.

Mais ça, je ne peux pas le lui dire.

— Ne t'en fais pas, c'est mon ami. On va juste déjeuner au bord de l'eau, se baigner et on rentre.

— C'est un garçon.

J'éclate de rire. Nous y voilà. C'est donc ce qui effraie tant mon père ? Voir sa petite fille grandir et partir se baigner avec un garçon ? Ses yeux se froncent encore – si tant est que cela soit possible -, et je manque de lâcher qu'il a bien laissé Mira partir avec Anaïs jeudi dernier pour assister à un festival à Marseille. Je me retiens au dernier moment, car ce n'est pas à moi de révéler à mon père que ma jumelle sort avec une fille. Je trouve juste la situation cocasse. Et un peu injuste, j'avoue, mais je ne suis pas la mieux placée pour parler de préjugés. Cela va d'ailleurs mieux avec ma sœur, même si on n'a jamais réellement été fâchée. C'est moi qui ai mal réagi, j'étais vexée et blessée qu'elle ne m'ait rien dit, mais j'ai compris qu'elle avait le droit à son jardin secret.

La preuve : elle est partie chez Marius ce matin, et je n'ai pas dit que je comptais aller à la plage avec Cyprien.

— On sera sages.

Si tu savais comme j'espère que non.

— Mmmm... Je ne sais pas... Je ne le connais pas vraiment...

— Papa ! Allez !

— Bon, OK. Mais fais attention, d'accord ? Et préviens-moi quand tu arriveras.

Je l'embrasse fort sur la joue, lui répète qu'il est le meilleur père du monde et m'éclipse pour aller récupérer mon sac que j'avais déjà préparé. Quand je redescends, les clefs et les papiers m'attendent sur le buffet, ainsi que mon père qui tient absolument à m'accompagner jusqu'à sa Mini pour me montrer les réglages que je connais déjà. Je crois que ça le rassure plus qu'autre chose, alors je le laisse faire, jusqu'à ce que Cyprien surgisse devant notre garage. Il porte une serviette sous le bras, un bermuda et surtout une casquette. Depuis son insolation, il sort toujours avec, et je trouve que ça lui va bien.

Je lui fais un petit signe de la main alors que mon père relève la tête et se tourne vers lui.

— Cyprien, donc ?

— Bonjour, Monsieur Rougier.

Ils se serrent la main. Façon hommes virils et se toisent. L'échange est solennel.

— Merci de nous prêter la voiture.

— Mouais... On verra si j'ai eu raison ou tort ce soir.

La menace est implicite, mais elle est là. Après les dernières recommandations d'usage, mon père m'embrasse sur la joue, rappelle à Cyprien qu'il le tuera de ses mains s'il m'arrive quoi que ce soit. Merci Papa. Cela dit, même s'il conserve son air de Papa-mécontent, il me glisse quand même un billet de cinquante euros dans la main en me disant « Pour le restaurant ». Un amour, mon père.

— Ouf ! m'écrié-je une fois assise derrière le volant.

— Flippant ton père.

— Il est juste protecteur.

Voire surprotecteur.

J'enclenche la pédale d'embrayage et l'accélérateur, faisant gronder le moteur et nous quittons Robion sous le chant des cigales et les regards des Mamies qui doivent se dire « Que font la petite Rougier et le fils Escoffier ensemble ? Ma parole ! » Voilà de quoi alimenter un peu plus les ragots. Aussitôt, Cyprien farfouille sous le tableau de bord pour extirper des CD, jusqu'à tomber sur de vieux albums des années 80. Mon père en est fan et nous nous retrouvons bientôt à chanter « Ils m'entraînent au bout de la nuit – Qui ça, qui ça ? – Les démons de minuit », à neuf heures et demi du matin, tandis que je m'engouffre sur l'autoroute, direction la mer Méditerranée.

Nous chantons tout le trajet. Très faux, surtout lui, mais cela n'importe peu. Chanter nous évite d'évoquer des sujets pouvant nous mettre dans l'embarras, et lui et moi, et je pense que cela nous convient bien. Au terme de plus d'une heure de route, j'entre enfin dans la ville de La Ciotat et doit encore trouver une place où me garer. Heureusement, quelqu'un part juste au moment où j'arrive dans une ruelle, bordée de pins.

— Putain ! Quinze euros la journée ? s'écrie Cyprien, une fois devant le parcmètre. Ils s'emmerdent pas.

— C'est la côte d'azur l'été.

— Ouais bah, quand même.

— On va mettre des sous jusqu'à seize heures déjà.

Je dépose des pièces à l'intérieur et récupère le ticket que je glisse sous le pare-brise. La voiture garée, nous nous éloignons le long du trottoir. Nos mains s'effleurent par intermittence et je n'ose pas me saisir de ses doigts. J'en ai envie, mais j'ai peur que ce soit mal interprété.

Ou bien interprété, mais ce ne soit pas ce qu'il veut.

Cyprien fait comme si notre baiser n'avait pas eu lieu. Depuis la sortie au Baux, il n'en a pas reparlé, si bien que j'ignore quoi en penser. Ce n'était pas juste un jeu pour moi, mais vue la façon dont je l'ai challengé, j'ai peur qu'il l'ait perçu différemment.

Et puis mince, il était agenouillé à mes pieds aussi.

— On va se baigner ?

J'opine du chef. C'est vrai qu'il est encore tôt, on a le temps d'aller piquer une tête avant le déjeuner. Malgré la climatisation, la voiture m'a donné un coup de chaud, d'autant que nous n'avons pas pu nous partager le volant, Cyprien n'ayant ni le permis, ni dix-huit ans. Nous parcourons les derniers mètres nous séparant de la plage avant de nous retrouver face à l'étendue marine. La baie de la Ciotat s'étend en direction du Bec de l'Aigle. Le soleil, déjà à son zénith, caresse le sable doré, le faisant scintiller, malgré les milliers de touristes déjà agglutinés. Le problème avec la plage l'été, c'est qu'il faut faire des pieds et des mains pour trouver une place (comme avec une voiture). C'est comme si des centaines d'insectes avaient décidé de se poser tous au même endroit, collés les uns contre les autres. Cyprien grimace en voyant l'essaim formé par les hommes et femmes en maillot de bain et attrape ma main pour m'entraîner vers un escalier. Je me laisse faire, le cœur battant la chamade à l'idée que ses doigts enlacent les miens.

Nous nous frayons un passage au milieu des serviettes, jusqu'à atteindre le point opposé de la place, près de la digue. Au moins, là, même s'il y a quelques rochers, on peut encore espérer respirer. Cyprien dépose le sac qui contient nos serviettes de bain et nos quelques affaires, puis retire aussitôt son t-shirt. Mes yeux s'attardent sur son torse dénudé, réchauffant mes joues. Je tourne le regard avant qu'il ne s'aperçoive que je le scrute et ressens soudain une bouffée d'angoisse à l'idée que je dois me mettre en maillot de bain, moi aussi. Lui se retrouve bientôt vêtu uniquement de son short de bain, un grand sourire aux lèvres, tandis que je suis toujours debout, figée.

— Tu ne viens pas te baigner ?

— Si... Enfin... C'est juste que...

Je ne parviens pas à trouver mes mots, gênée. J'ai honte d'avoir des complexes, mais contrairement à Mira, je n'ai pas les formes qu'il faudrait, où il faudrait. Ma poitrine a refusé de grandir comme celle de ma jumelle et j'ai déjà entendu plusieurs personnes au lycée me traiter de planche à pain. En général, je fais abstraction des commentaires, parce que mon physique n'a pas grande importance à mes yeux, mais maintenant que je suis face à Cyprien, tout est différent.

Et si je ne lui plaisais pas ? Et si...

Mon cerveau m'envoie mille et un signaux d'alerte et je ne parviens pas à juguler l'angoisse que je sens monter. Finalement, je secoue la tête et réponds :

— J'ai peur qu'elle soit froide, mais vas-y toi, je te regarde.

— Froide ? répète-t-il. Elle fait vingt-quatre degrés.

Il pointe son doigt vers le poste de secours où l'air et la température de l'eau sont indiqués.

— Ah ! Oui, mais... Je préfère pas...

— C'est toi qui m'as proposé d'aller à la plage.

— Oui, mais...

Trouve quelque chose d'intelligent à dire, Prune !

Je réfléchis. Rien ne vient. Rien qui soit suffisamment intelligent et sensé pour justifier qu'après avoir proposé à Cyprien d'aller nous baigner, je fasse machine arrière.

— Prune ?

Il voit mon hésitation, fait un pas vers moi. Je mordille ma lèvre inférieure.

— Mais vas-y, toi.

— Prune... Qu'est-ce qu'il y a ?

Sa main revient chercher la mienne et je détourne le regard, honteuse.

— Rien, juste... Je n'aime pas me mettre en maillot de bain.

— Tout le monde s'en fout ici. Regarde !

Il me désigne les touristes autour de nous. J'avise ces corps allongés sur les serviettes, ou jouant dans les vagues, de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les âges. Tout le monde se côtoie, sans vraiment se regarder, ni se juger (même ce touriste nordiste, dont la peau blanche a viré au cramoisi). Et pourtant...

— Je sais, mais... C'est comme ça...

— Regarde cette femme, là ! désigne Cyprien en pointant une dame d'environ soixante ans, à la peau ridée. Comment tu la trouves ?

— Ce n'est pas à moi de juger.

— Exactement. Aucun corps n'est plus beau qu'un autre. Un corps, c'est une histoire, une vie.

Depuis quand est-il devenu si sage ? Je contemple ce garçon, aux yeux aussi bleus que la Méditerranée et mon cœur frappe si fort dans ma poitrine que là, tout de suite, je n'ai envie que d'une seule chose : qu'il m'embrasse et m'enlace, en dépit de tous les gens autour de nous.

— Tu es parfaite, Prune. Comme tu es. Ne laisse personne, même pas toi-même, te faire croire le contraire.

Si ma peau n'était pas si bronzée, je serais rouge comme une pivoine. Voire un coquelicot. Personne ne m'a jamais dit cela, aucun garçon ne m'a jamais tenu un tel discours.

« Parce que tu n'as jamais laissé aucun garçon le faire », me rappelle mon cerveau.

Le fait que ce soit Cyprien qui me le dise, c'est encore plus beau. Parce que malgré les nombreuses fois où Mira m'a répété de l'oublier, et où elle m'a dit que ce n'était qu'un garçon de passage, qui n'avait duré que le temps d'une brise dans notre enfance, je me suis accrochée. Et qu'aujourd'hui, c'est lui qui prononce ces mots.

Lui que j'ai tellement envie d'embrasser.

— Alors, tu viens ?

Je hoche la tête, galvanisée par ses paroles. Je retire mon débardeur, révélant mon maillot de bain en maille d'une jolie couleur abricot, et glisse ma main dans la sienne. Une seconde, Cyprien joue avec l'une de mes tresses, puis ses lèvres s'étirent et il se met à courir, me tirant derrière lui. Déstabilisée, je manque de tomber tête la première, mais me rattrape vite alors qu'il éclate de rire et court au milieu des vagues, avant de s'y jeter tête la première. Sa chute m'entraîne avec lui. Je crie quand l'eau me frappe, puis ris à mon tour, avant de lui jeter de l'eau dessus pour venger. L'eau est vraiment bonne. Ni trop chaude, ni trop froide, parfaite. Cyprien et moi nous chamaillons durant quelques minutes, comme deux enfants, avant de sauter entre les vagues, puis de s'y laisser tomber, les bras écartés, tels deux étoiles de mer flottant dans l'eau salée.

Ici, on n'entend plus le chant des cigales, seulement le raclement de l'eau sur le sable, les cris des enfants et ceux des touristes que l'on voit bourdonner sur la plage. Ma main finit par heurter Cyprien et son torse mouillé. Je laisse mes pieds se poser sur le sable, l'eau m'arrive jusqu'au menton, lui est un peu plus grand que moi et n'en a que jusqu'à la poitrine. Derrière, les collines se dessinent à l'horizon, couvertes de pins parasols et du maquis parfumé. Le Bec de l'Aigle s'élève majestueusement au-dessus de la mer, sa paroi abrupte au-dessus de voiliers ayant jeté l'ancre à ses pieds. Lorsque mes yeux quittent le promontoire pour revenir sur Cyprien, ils rencontrent deux billes bleues limpides. Ses cheveux blonds, trempés, sont plaqués contre son visage et je crois ne l'avoir jamais trouvé plus beau qu'en cet instant-là.

— Elle est bonne, hein ?

— Oui.

— Je te l'avais dit.

Tu me l'avais dit. Mais ce n'est pas le plus important, là maintenant. L'important, c'est toi. Toi et moi, la Méditerranée, l'un face à l'autre.

— Tu veux sortir ?

— Pas tout de suite.

Pas tant que je n'ai pas obtenu ce que je suis venue chercher. Pas tant que je ne sais pas si ce baiser n'était qu'un jeu pour toi, alors qu'il comptait tellement plus pour moi. Cyprien continue de me sourire et je me dis que c'est le moment de tenter ma chance, que si je ne prends pas mon courage à deux mains, et ne passe pas de l'enfant que j'étais à l'adulte que je suis censée devenir, il ne comprendra jamais que je n'ai plus dix ans.

À moins qu'il ne l'ait déjà compris.

Est-ce qu'il l'a déjà compris ?

Alors j'avance, en battant des mains, charriant de l'eau vers moi, décidée à lui faire comprendre ce que j'ai toujours désiré et que je...

— ARGH !

Je pousse un cri.

Ma main s'électrifie, je fais un bond en arrière, alors qu'une vague me percute et me mets à sautiller sur place, à moitié noyée, de l'eau recouvrant mon visage. Cyprien met une seconde à réagir, mais vient rapidement à ma rescousse et s'empare de mes jambes pour me soutenir. Je m'accroche à lui, toujours en criant de douleur et en secouant ma main dans tous les sens pour faire passer cette horrible sensation de brûlure.

— Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que...

— Calme-toi, chuchote-t-il contre mon oreille. Calme-toi, c'est juste une méduse.

— Une méduse ? Comment ça juste une méduse ! Oh mon dieu ! Il y a des méduses ? Ou ça ?

Je m'agite dans tous les sens, paniquée, à la recherche des méduses et de leurs filaments rosés. Je me sens soudain comme Nemo et Dory, prise au piège de l'une de ses créatures translucides qui envahissent les plages lorsque l'eau est trop chaude.

— J'ai mal. J'ai mal. Ça brûle, je...

— Je te ramène sur la plage.

Les larmes me montent aux yeux, le feu s'intensifie dans ma main alors que Cyprien me conduit au bord. Toute honte m'a désertée. Je n'ai plus que faire d'être en maillot de bain, agrippée à lui comme un koala, collée contre son torse. Je souffre et j'ai juste envie que quelqu'un éteigne l'incendie. Cyprien me dépose sur ma serviette, puis attrape délicatement ma main alors que je serre les dents, le regard embué.

— Mets de l'eau ! Mets de l'eau ! m'écrié-je en tendant ma main.

Il se tourne vers le sac et tend ses doigts vers la gourde à l'intérieur.

— Qu'est-ce qu'elle a la petite ? lance alors un vieil homme, sur la serviette d'à côté.

— Elle s'est fait piquer par une méduse, répond vivement Cyprien en extirpant une bouteille.

— O Peuchère ! Ça fait mal ça. Dis, tu comptes faire quoi avec ta bouteille d'eau là ?

— Rincer la brûlure, rétorque-t-il d'un air agacé.

Je pose ma main – celle qui n'a pas été piquée – sur l'épaule de Cyprien pour tenter de le calmer. J'ai paniqué dans l'eau, mais maintenant que je suis sur la serviette, et que je ne crains plus d'être attaquée par une nuée de méduses, mon palpitant redescend. J'ai toujours mal, mais ça reste supportable, et je ne veux pas qu'il s'énerve pour si peu.

— Oh fan de chichoune. Mauvaise idée, peutiot. Faut jamais rincer une piqûre de méduse avec de l'eau douce, ça aggrave les toxines. Vaut mieux que t'utilises de l'eau de mer, puis que t'ailles au poste de sauvetage voir s'ils n'ont pas de la crème antiseptique.

— J'vous ai rien...

— On va faire ça ! coupé-je Cyprien avant que cela dégénère. Merci.

Cyprien ouvre la bouche, mais je le faire taire d'un regard. Cet homme veut seulement nous aider, il est inutile d'en faire toute une histoire. Cyprien serre les poings, puis hoche la tête, avant de m'aider à me lever. Il prend sur lui, cela se voit, et ne fait plus un seul commentaire. Nous remontons la plage jusqu'au poste de sauvetage, où nous sommes accueillis par un sauveteur d'environ une vingtaine d'années. Le visage bronzé, un t-shirt rouge sur le dos, il quitte immédiatement son poste de surveillance en me voyant pour venir s'occuper de ma blessure.

Cyprien reste en retrait, les bras croisés. Son expression me rappelle celle que prenait toujours Romaric quand nous oublions de l'emmener jouer.

— Eh ben dis donc ! Elle t'a pas raté, rit le sauveteur. Comment tu t'appelles ?

— Ça va vous aider à soigner sa brûlure ?

Le jeune homme tourne la tête vers Cyprien, un sourcil arqué. Je fais comme si de rien n'était – même si mon cœur s'emballe à l'idée qu'il soit jaloux – et répond :

— Prune.

— Oh, c'est original comme prénom. Moi, c'est Tom. Mais on m'appelle Tomy.

Cyprien croise un peu plus les bras. Tomy lance une ou deux blagues qui me font éclater de rire, tout en s'occupant de ma blessure, ce qui accentue le froncement de sourcils de Cyp'. Le sauveteur applique une crème antiseptique et me délivre les conseils d'usage : surveillez les signes de réaction allergique durant les prochaines heures, prendre un antalgique pour soulager la douleur et si un gonflement apparaît, ne pas hésiter à consulter un médecin. Une fois soignée, je le remercie, et nous repartons du poste de secours.

Cyprien fixe le sable, frappe dans des petits cailloux comme un enfant boudeur et refuse de parler tant que nous n'avons pas rangé toutes les affaires et quitter la plage pour nous mettre en quête d'un restaurant.

— T'as fini de bouder ? lancé-je alors.

— Non.

J'éclate de rire. Je sais que je ne devrais pas, mais son expression et son attitude me font tellement penser à celle d'un enfant que c'en est risible. Pour lui redonner le sourire, je dépose mes lèvres sur sa joue. Il cligne plusieurs fois des yeux, avant de se tourner vers moi et de passer une main dans ses cheveux qui commencent doucement à boucler à cause de l'eau salée.

— Merci de m'avoir sauvé, héros.

Son sourire revient. Je le sens soulagé de ne pas avoir été remplacé par Tom ou le vieux marseillais sur la plage. C'est sûrement par excès d'égo masculin, mais une part de moi apprécie ce petit accès de jalousie qui me laisse espérer plus que de l'amitié entre nous. Cyprien accepte enfin de me parler pour que nous nous mettions d'accord sur le choix du restaurant.

— Celui-ci ? propose-t-il en me désignant une petite bicoque, face à la mer.

— C'est parfait.



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