¹ - L'infidèle

Ce soir il n'y a pas foule au magasin.
C'est un mardi pluvieux et venteux de septembre.

La tête posée sur le pupitre de l'accueil, j'écoute le bruit des passants qui ne s'arrêtent pas devant la vitrine.

Il y a de tout.

Un homme en costume qui hurle au téléphone, une femme avec une poussette et un bébé qui pleure, une vieille dame qui traîne son caddie en toussant, un enfant qui saute dans une flaque d'eau en riant...

Et mes fleurs.

Abritées par le haut vent, elles subissent l'ignorance des hommes qui passent devant elles sans un regard.

Elles attendent, silencieuses.

Je me redresse un peu et regarde l'horloge fixée au mur du magasin en soupirant.

C'est bientôt l'heure de fermer boutique.

Je contourne le petit meuble en pin et admire les compositions florales tout autour de moi.
Même quand il pleut, j'ai l'impression d'être au printemps durant une belle journée ensoleillée.

J'inspire profondément et dépose délicatement une main sur le bouquet de Lys joliment présenté.

Elles sont si belles, mes fleurs.

L'horrible bruit de la sonnette d'entrée me stoppe dans ma contemplation et un homme en noir apparaît au centre des couleurs du lieu.

– Bonsoir, que pouvons-nous faire pour vous monsieur ? Je souris, pour mes fleurs.

– Je veux un bouquet. Pas trop cher !

Je cligne des paupières et me force de garder un sourire impeccable.

– Bien monsieur, vous avez une idée du...

– Donnez-moi le bouquet le moins cher de la boutique et faites vite ! Il s'agite et sort un énorme portefeuille, aussi noir que sa tenue.

– C'est pour offrir ?

Ma question le fait grogner mais il n'a pas le temps de me répondre car la sonnerie de son téléphone portable retentit bruyamment.

Il décroche, me tourne le dos et le silence s'évapore comme neige au soleil.

C'est une femme à l'autre bout du combiné.

– Chérie, ne cries pas... Implore l'homme en chifonnant ses cheveux humides.

"Chérie" ne baisse pas la voix et j'entends, malgré moi, la conversation houleuse.

Elle est en colère, triste et je pense savoir pourquoi.

Quand un homme entre dans ma boutique sans même regarder les fleurs, c'est qu'il ne le fait pas pour lui.
Et quand il semble tendu et pressé c'est qu'il vient pour se faire pardonner.

– Mais non chérie, je te promets que c'est du passé entre cette étudiante et moi... Il chuchote.

Je baisse la tête, m'excusant au près de mes fleurs mentalement pour cette affligeante visite.
Ça n'a rien d'honorable.

Le pèlerin pêcheur termine sa discussion téléphonique et se retourne vers moi en pestant.

– Désolé mais les femmes, vous savez... Il secoue la tête en riant nerveusement.

– Non je ne sais pas monsieur.

Il me jauge en faisant claquer sa cravate sombre sur son buste et en me tendant un billet froissé de l'autre main.

– Je prends celui-ci.

De sa main grasse et tremblante, il pointe le bouquet de Lys.
Mes Lys.

– Monsieur, connaissez-vous la signification de ces fleurs ? Je me permets, trouvant son choix ironique.

– Je me fiche de la signification, je suis pressé !

Je hoche la tête et attrape l'ensemble des tiges fines entre mes doigts pour déposer le tout dans un filet en tissus coloré, mais le client m'arrache la beauté des mains.

– Gardez la monnaie.

Il tourne les talons et disparaît avec sa noirceur en un claquement de doigts.

Mes Lys...

Ces fleurs sont l'incarnation de la beauté, de la pureté et de l'innocence mais également le symbole d'une union toujours vierge.

Elles ne méritent pas de finir entre les mains d'un homme aussi sale.

Mes pauvres fleurs.

– Je suis navré.

~

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