Jour 6 - Saint-Nicolas
6 décembre
* * *
Keir rentrait du travail, l'humeur légère, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des semaines. Il niait farouchement l'idée que ce soit la présence de Lubeen et Ruddy qui le mettait de si bonne humeur. Et pourtant... Il avait hâte de rentrer, contrairement à d'habitude.
Dès qu'il franchit la porte d'entrée, Ruddy lui sauta au visage et le lécha avec sa langue en peluche, battant de la queue pour exprimer à quel point il était content – et soulagé – que son maître rentre.
– Où est passé le Lutin ? Lui demanda-t-il en se déchaussant.
Ruddy sautilla vers le salon, tout content, le traversa, puis disparu dans la cuisine. Amusé, Keir sourit. Ruddy était exactement comme il l'avait imaginé plus jeune... C'était à la fois bizarre et réconfortant.
– Ah, Keir, tu es rentré ! Sourit Lubeen, toutes dents dehors, malgré la pagaille en cuisine.
– On dirait bien, oui... Rassure-moi, tu vas tout ranger ?
– Bien évidemment, pour quel genre de Lutin tu me prends !
« Pour le genre maladroit », pensa l'humain. Son attention fut alors détournée au profit de l'odeur alléchante qui embaumait l'appartement.
– J'ai fait des bonshommes, lui annonça fièrement le Lutin, tradition de Noël oblige !
– ... Mais on est le six décembre ? Et c'est quoi cette histoire de bonhomme ?
Lubeen afficha un sourire mystérieux, et plutôt satisfait, qui fit grommeler Keir.
– C'est une vieille tradition qui date de bien avant Noël, expliqua le Lutin, chez nous, au Pôle, la légende veut qu'il s'agisse de la tradition qui a inspiré Noël au premier Père.
Keir ne cacha pas sa perplexité. Cependant, il adorait les histoires depuis tout petit, et celle-ci, il ne la connaissait pas du tout... Puis Lubeen avait l'air ravi de la lui conter.
Ils s'installèrent dans le canapé, sous un plaid, Ruddy entre eux, réclamant de l'attention de la part de son maître et du Lutin.
– Au commencement, c'est l'histoire d'un vieil homme à la longue barbe blanche, vêtu d'une tunique rouge vif et d'une Mitre – un chapeau...
– Ça ressemble un peu à la légende du Père Noël, ton histoire, Lubeen, sans vouloir te vexer...
Le Lutin croisa les bras, lui lançant un regard noir :
– Laisse-moi raconter, tu commenteras après !
– Bien, bien... Comme Son Altesse le Lutin l'ordonne !
Lubeen lui tira la langue, ce qui fit rire moqueusement l'humain.
Le Lutin reprit :
– On raconte qu'un soir d'hiver, où la neige recouvrait les plaines de Lorraine – une région française – trois enfants affamés sont partis dans les champs pour trouver à manger... La tempête faisait rage, ils avaient froid et étaient à bout de force.
Lubeen racontait cela avec une telle passion que Keir lui accordait toute son attention, n'émettant aucun commentaire, même pas mentalement.
– Perdus, ils marchèrent, marchèrent, marchèrent... Jusqu'à trouver une petite chaumière perdue dans un bois. À l'intérieur, un beau feu dans la cheminée, des bougies allumées – bref, de quoi réchauffer leurs corps congelés...
Ruddy, tremblant, se colla contre Keir, qui passa sa main autour de lui s'en même s'en rendre compte.
– L'aîné frappa à la lourde porte un bois, et là ! Un immense gaillard l'ouvrit, les toisa de ses yeux noirs charbon... Il portait une longue cape noire, avec un capuchon sur la tête, de grosses bottes de cuir... Et à sa ceinture, un fouet, et un grand sac de toile.
Ruddy se cacha sous le plaid, ne laissant dépasser que sa queue tremblante.
– Pierre – Peter – Hans – ou peu importe son nom, était un boucher. Mais pas n'importe quel boucher... Un boucher qui, comme le dit la légende, s'occupait de n'importe quelle viande...et les entreposait dans son saloir, pour les conserver, et les dévorer tout au long de l'année.
Keir déglutit.
– Arriva ce qu'il devait arriver ; le boucher attrapa les enfants au collet et, avec une feuille de boucher très bien aiguisée, leur coupa la tête, les jambes, les pieds !
– C'est peut-être un peu violent comme histoire...
– Et ensuite ! Enchaîna Lubeen, il disposa les morceaux de viande dans son grand baquet de sel, se léchant les babines d'avance, de les déguster grillé, en bouillon ou même crus...
– Et maintenant, c'est dégoûtant...
Keir se tenait l'estomac, un peu pâle, mais cela n'arrêta pas le Lutin, au contraire :
– On raconte que, de loin, à dos de son âne, un vieil homme vêtu de rouge, mitre sur la tête, bâton à la main et la barbe jusqu'au nombril, suivait les enfants pour s'assurer qu'ils ne risquent rien – on l'appelait Nicolas – Nikolaus – Nicholas, comme tu préfères. C'était un bonhomme souriant, bon avec les pauvres, généreux avec les enfants, brave, honnête, mais aussi malin et intelligent...
Il reprit, après quelques secondes de suspens :
– Nicolas demanda l'hospitalité au boucher, qui acceptait, et lui servit de quoi boire et manger... Quand le bon homme demanda du petit salé, le boucher sut qu'il était découvert, pris au piège, la main dans le sac ! Alors il avoua tout, supplia Nicolas de ne pas le dénoncer, de le laisser vivre et – enfin tu vois le cliché !
– Et après ?
– Après ? ... Bien, Nicolas comprit qu'il voulait manger les pauvres petits enfants frigorifiés, qu'il les avait découpés et mis à saler... Grâce à ses pouvoirs – car oui, il pratiquait la Magie – il frappa de trois doigts le saloir et... Miracle ! Les enfants étaient à nouveau entiers, vivants et soulagés qu'on les ait sauvés !
Keir souffla, de même que Ruddy.
– On raconte qu'ensuite, Nicolas a nourri les enfants affamés avec des offrandes que lui avaient faites d'autres habitants aux alentours ; pains d'épices, brioches moelleuses, oranges juteuses, biscuits sous toutes les formes, du lait frais qu'il fit chauffer dans la cheminée... Puis, après un bon repas, les raccompagna chez eux. Le boucher, quant à lui, il le garda solidement attaché à son âne et en fit son accompagnateur... Chargé de punir les enfants méchants, menteurs, voleurs et charlatans.
Lubeen était satisfait d'être le centre d'attention de Keir :
– Puis, après ça, pour célébrer les exploits de Nicolas, le remercier et surtout, que les enfants n'oublient pas, le boulanger du village distribua des petits bonshommes en brioche... Et chaque année, depuis lors, la tradition perdure.
Lubeen, au fur et à mesure qu'il racontait son histoire, s'approchait de Keir. Et Keir se penchait vers Lubeen, comme si la suite de l'histoire était une sorte de secret bien gardé :
– Avec les siècles, traditions, contes, légendes et folklores humains ont fait naître Noël, et avec, le Père Noël... C'est avec le temps que Saint Nicolas devint Santa Claus.
– Tu veux dire que le Père Noël existe depuis aussi longtemps ?
– Le statut de Père Noël, oui, mais la personne physique change tous les trois cents ans à peu près... Les Claus sont des êtres magiques, mais ils ne sont pas immortels.
Keir le toisa intensément, essayant de déterminer s'il lui disait la vérité ou s'il se moquait de lui. Les Lutins étaient malins et farceurs – il l'avait lu sur une page d'une encyclopédie en ligne très connue, ce matin, au travail...
– Et comment vous, les Lutins, êtes entrés dans la légende de... tout ça ?
– Oh, on dit qu'en sillonnant les territoires, Nicolas à rencontrer nombre d'entre nous, qu'il prenait pour des enfants turbulents et lorsqu'il comprit que nous étions des êtres dotés de Magie, protégeant et s'occupant des foyers autant que des enfants, il proposa de s'établir dans un endroit – qu'on appelle le Pôle – afin d'y couler des jours paisibles et... Enfin, plus ou moins, les mois précédents décembre, c'est tout sauf paisible.
– Je vois, murmura Keir, interloqué.
– La plupart des Lutins sont comme moi aujourd'hui ; on a grandi au Pôle et n'ont jamais été en contact direct avec les humains. Enfin, moi, c'est fait, puisque je t'ai rencontré !
Un bruit strident les interrompit alors. Lubeen bondit du canapé et fila vers le four, où des brioches en forme de petits bonshommes finissaient de dorer. Satisfait, il huma la bonne odeur, et elle lui plut au point que ses oreilles se mirent à frétiller malgré lui.
L'espace d'un instant, les brioches lui rappelèrent sa famille, loin, qui lui manquait de plus en plus, mais... Keir et Ruddy le rejoignirent et toute trace de tristesse et de nostalgie le quitta alors.
– Et tu as vraiment le droit de me raconter tout ça ? Demanda Keir.
– On ne m'a pas dit que je n'avais pas le droit, en tout cas, sourit le blond.
Il lui tendit alors une brioche, plus ou moins difforme, mais à l'odeur alléchante. Keir mordit dedans à pleine bouche et le regretta aussi tôt ; le goût était horriblement – atrocement – trop salé et lui brûla l'intérieur de la bouche au passage...
– Désolé, j'ai dû me tromper quelque part, s'excusa Lubeen, tandis que Keir se lavait la bouche à grande eau.
« Non, tu crois ? » l'interrogeait sa victime du regard. Ruddy, quant à lui, mangeait sa brioche sans rien ressentir – mais il était vrai qu'il n'avait pas le sens du goût...
* * *
Je me suis arrangée avec le tirage pour le 6 décembre ^^' la Saint Nicolas c'est assez répendue de par chez moi (Alsace), du coup j'étais o-bli-gée de faire le texte dessus ! (Et puis la fête, c'est le 6, ça aurait été idiot que ça tombe le 11 ou le 19 au niveau du tirage XD)
C'est un petit melting-pot de ce que ma grand-mère me racontait, les contes qu'on lisait à l'école (maternelle / primaire), de ce que j'ai étudié en cours d'allemand (pour la peine, mes vieux cahiers ont servis à quelque chose XD) et de recherches sur le sujet... D'ailleurs, il n'y a pas beaucoup d'infos sur internet, du coup c'est vraiment interpréter !
Enfin bref.
Les petits bonhommes en brioches, je sais que c'est très répendu en Alsace-Lorraine et en Franche-Comté (bigup les francs-comtois, je passerais les fêtes dans la région!), nous on appelle ça des "Mannala / Mannele", en franche-comté ce sont des "jean bonhomme", mais je suis curieuse de savoir comment ça s'appelle -- et si ça existe -- ailleurs ! (J'ai lu brièvement que dans le Nord de la France, ça se faisait aussi !). Du coup n'hésitez pas à commenter pour me raconter tout ça ^^
Le 7e texte demain \o/ (qui du coup sera tiré au sort XD)
Haydn
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