Jour 3 - Froid

3 décembre

* * *

Lubeen entendait de drôle de bruits s'échapper de la chambre de Keir depuis hier soir. Une femme était venue, blonde, pulpeuse, bien habillée, et Keir avait aussitôt disparu avec elle dans son antre et... depuis, les bruits s'en échappaient. Des gémissements, des bruits de succion, des baisers, des cris de plaisir... Lubeen entendait tout - maudite ouïe trop fine ! Son visage ne quittait pas le cramoisi...

Il essayait tant bien que mal de se changer les idées, vainement. Les humains étaient vraiment... Si peu pudiques et... aussi bruyants...

Heureusement, Ruddy était avec lui, dans ses bras, à réclamer des caresses. Lubeen était responsable de lui et de tout ce qu'il mangeait, il prenait sa mission très à cœur - en réalité, il ne voulait surtout pas le contrarier plus qu'il ne l'était déjà.

Le blond ne savait pas réellement quoi faire. Le monde humain lui était encore trop inconnu... Alors, à défaut, il avait fait un tour dans les placards et le réfrigérateur. Il testait tout ce qui lui passait sous la main et qui lui semblait mangeable.

La veille, au dîner, Keir lui avait reproché de ne savoir cuisiner que des plats de fêtes. Ce qui était tout ce qu'on lui avait appris à faire aux Cuisines du Pôle, donc... Il ne voyait pas le mal ! Mais enfin, Keir exigeait qu'il se diversifie, donc il le ferait, puisque c'était son rôle de Lutin des Foyers de contenter son hôte.

Malheureusement pour Lubeen, la nouvelle conquête de Keir était arrivée plus tôt, empêchant celui-ci de lui faire goûter les mets humains. Aux dires du Lutin, tout était très différent de ce qu'il mangeait habituellement... Et Keir voulait manger des repas normaux au plus vite.

Soucieux de remplir son rôle au mieux - surtout de ne pas donner une excuse à son hôte pour le mettre dehors - Lubeen s'était ainsi décidé à s'y coller tout seul. Keir serait forcément content de constater qu'il mettait de la bonne volonté concernant leur arrangement !

Le bazar régnait en maître sur la cuisine ; paquets, emballages, boîtes et autres récipients étaient tous entamés, éventrés pour certains, disposés çà et là à la va-vite. Lubeen marquait ce qu'il aimait et n'aimait pas, histoire de faire un premier tri, puis, il soumettait cela à Ruddy, lorsqu'il hésitait. Consciencieusement, il notait des idées de plats sur un calepin, dans le langage des Lutins.

Non, vraiment, Keir serait ravi de voir à quel point il s'investissait !

- Mais qu'est-ce que c'est que ce bazar ! Tempêta soudainement Keir. Lubeen ! Mais qu'est-ce qu'il t'a prit de... Oh, bon sang...

Il trouva le Lutin agenouillé au sol, le visage couvert de divers restes d'aliments... Il identifia sans mal la pâte à tartiner, des chips, de la chantilly et la sauce au curry qui était son péché mignon. L'état de la cuisine ne l'inquiétait guère, par contre, le fait qu'il ait dévalisé sa cuisine, si ! Ce Lutin était une calamité sur patte, doublé d'un ventre sans fond !

- Ah, tu as fini ! Ça tombe bien, parce que je voulais te proposer un...

- Me proposer rien du tout, le remballa l'humain, hors de lui, tu te rends compte que tout est bon à jeter maintenant ?! Comme si j'avais le temps pour aller faire mes courses, cette semaine ! Bon sang, je ne sais pas ce qu'il me retient de te fiche à la porte !

Lubeen, stupéfait de sa réaction, resta interdit. Keir le releva sans ménagement, avant de l'évacuer vers le salon. La belle blonde les attendait, totalement nue, et visiblement interloquée de faire face au blond.

- C'est qui celui-ci ? Ton petit-frère ?

- Non, rien à voir ! C'est un... Fugueur. Que j'ai recueilli pour la nuit !

La jeune femme détailla Lubeen de haut en bas, perplexe. Elle ne lui donnait pas plus de dix-sept ans et il ne semblait pas souffrir tant que ça du froid et de la faim - du moins, pour un fugueur.

- C'est ça, si c'est cette histoire de plan à trois, je t'ai dit non ! Et puis regarde-moi ce gamin - je suis sûr qu'il est encore puceau !

- Ce n'est pas du tout ça, crois-moi, ça me contrarie autant que toi qu'il soit là !

- Mais je...

- Tais-toi, le coupa Keir, le regard noir braqué dans le sien. Tu n'as rien à faire là, compris ? Va-t'en ! Dégage ! Je ne veux plus jamais te voir de toute ma vie, Lubeen !

Comme il ne bougeait pas, Keir lui attrapa le bras et sans le moindre ménagement, il le flanqua à la porte de chez lui. Le Lutin observa la porte, hébété, choqué. C'était, de toutes les fois où on l'avait mis dehors, celle qui lui faisait le plus mal...

Au moment où il allait frapper à la porte, espérant que Keir ait repris ses esprits, celle-ci s'ouvrit. Son humain n'était toujours pas calmé - loin de là - et l'empoigna à nouveau.

- Je ne me ferais pas avoir deux fois, Lutin de malheur, grommela-t-il, c'est l'histoire la plus stupide que j'ai jamais entendue !

- Tu n'as pas le droit de dire ça ! J'existe vraiment et je suis là pour toi, pour t'aider et...

- M'aider à quoi ? Croire en Noël ? Pauvre idiot naïf et crédule ! T'es timbré, d'accord ? T'as de la chance que je n'appelle pas les flics !

Lubeen tenta de résister du mieux qu'il put - quitte à s'accrocher à la rambarde de l'escalier - mais Keir était bien plus fort que lui... Il finit par arriver dans le hall de l'immeuble, puis à la porte, puis dehors, dans le froid.

Le Lutin se retrouva projeté en avant, puis couché par terre :

- Et ne reviens plus jamais ! Hurla Keir.

- Mais attends ! Le supplia le blond, se relevant d'un bond, tu ne peux pas me laisser dehors comme ça !

- Bien sûr que je peux ! Je ne te dois rien !

Keir referma la porte, que Lubeen tenta d'ouvrir vainement. Il fallait un digicode pour entrer... La porte blindée résistait à ses maigres forces.

- Tu es froid et sans cœur ! Hurla-t-il, en désespoir de cause. Tu le mérites, d'être malheureux, déprimé et totalement désabusé !

À l'intérieur, Keir stoppa sa marche, se tourna vers et l'étudia longuement. Lubeen venait de... lire en lui ? Ou... Non ! Non, c'était impossible ! De toute façon, il n'était ni malheureux, ni déprimé ni désabusé ! Il allait parfaitement bien - il n'avait jamais été aussi bien de toute sa vie !

- Lutin de malheur, jura-t-il en reprenant sa route.

Il appela l'ascenseur, ignorant totalement Lubeen. Au moment où il montait dans la cabine, il jeta un rapide coup d'œil au blond... Qui semblait avoir froid, être sous le choc et totalement perdu.

Cela prit plusieurs minutes à Lubeen pour retrouver ses esprits. C'était donc cela que l'on ressentait quand on était viré de partout, seul au monde ? Ce froid intense, cette solitude... Ce sentiment horrible d'être abandonné, non-désiré, où qu'il aille.

Pour la première fois de sa vie, Lubeen avait les oreilles basses, sous son bonnet en laine.

Le froid mordait sa peau, mais cela, il s'en fichait. Comme du reste. Comme de trouver un toit, de manger quelque chose, de savoir ce qu'il allait faire maintenant...

Il métamorphosa son sweat en parka bien chaude, puis s'éloigna, au hasard des rues, persuadé que quelque part, quelqu'un aurait besoin de lui... Après tout, il y avait bien assez de foyers dans le coin pour qu'il s'en trouve un qui veuille bien de lui, non ?

Une fois remonté dans son appartement, Keir observait la femme avec qui il avait passé la nuit s'habiller pour disparaître, comme les autres avant elle. Ça ne lui faisait rien.

Seul dans son appartement, Keir ramassa un morceau de pain et tartina dessus ce qu'il restait de beurre. Dire qu'il devait ranger tout ça !

Sans qu'il s'y attende, Ruddy lui fit face. Ses yeux n'étaient que deux boutons dépareillés, mais ils l'accusaient clairement. Il savait qu'il avait mal agi, qu'il était allé trop loin, que Lubeen ne pouvait sans doute pas comprendre, mais... C'était trop tard ?

Puis il réfutait être déprimé. Il était heureux. Parfaitement heureux. Il avait tout ce qu'il voulait - un bel appartement, une belle voiture, un travail sympa, un dressing bien fourni et une montre hors de prix...

- Et qu'est-ce que tu veux que je fasse, hein ? Il doit être loin ! Et aussi totalement fou... Et vulnérable... Et... bon sang, il va suivre le premier type louche qui va l'aborder - et va savoir ce qu'on lui fera... Hé, Ruddy, tu m'écoutes !

La peluche vacilla, puis tomba sur le côté. La vie l'avait quittée, comme la Magie avait quitté son foyer, quand il avait mit le Lutin à la porte. 

- Maudit Lutin ! Cracha-t-il.

Sans réfléchir, Keir enfila une veste, une paire de chaussures, s'empara de sa sacoche ainsi qu'un plaid épais, puis partit, au hasard des rues londonienne, à la recherche d'un Lutin perdu - et sans doute, triste à en mourir.

* * *

C'était pas le plus amusant des mots x_x enfin au moins celui-là est fait ! Ce sera un peu plus cool et guimauve après, c'est promis XD

(crédit photo : Jessica Fadel)

À demain pour le prochain texte !

Haydn

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