~7~ Farid

La jeune fille est venue s'ajouter au groupe et le Prince les a conduits à l'intérieur du Palais.

La salle du trône éblouit le regard modeste de Farid ; les tapisseries qui décorent les murs sont finement tissés, les dessins réalistes, les objets en tous genres posés sur les larges meubles semblent précieux. L'énorme lustre qui noie la pièce d'une lumière d'or se balance au bout d'une chaîne au gré de la brise qui s'infiltre dans la salle par les larges doubles portes vitrées entrouvertes.

Un imposant siège en bois se dresse fièrement sur une petite estrade au centre de la pièce. Farid relève les yeux pour croiser ceux du Roi, qui ressemblent en tout point à ceux du Prince. Un frisson court sur sa colonne vertébrale lorsque le regard froid du Roi se plante dans le sien ; ses prunelles donnent l'impression de vous transpercer et de pouvoir lire vos secrets les mieux gardés.

Assis, le Roi est impressionnant. Farid n'a aucun mal à imaginer sa haute stature une fois debout. Une épaisse moustache ivoire - qu'il ne cesse de caresser - lui orne la lèvre supérieure.

Le Prince leur demande de s'arrêter. Ils sont alignés face au trône, sans trop savoir que faire. Le Prince s'avance de deux pas et s'incline bien bas. D'un geste de la main, il les enjoint à faire de même.

— Père.

— Que me vaut le plaisir de ta visite ?

Farid ne relève pas la tête et garde le regard fixé sur le tapis écarlate sous ses genoux. Les premiers mots du Roi transpirent de son agacement.

— Les créatures sont revenues, nous n'avons pas eu à dépêcher de Brigade, cette fois-ci.

Le jeune marchand fronce les sourcils et relève la tête. Le Roi hoche simplement la tête.

Bien que soyeux, le tapis n'en est pas moins rigide et commence à lui faire mal au genou droit, celui à terre. Il lance un regard aux autres, mais ils sont encore inclinés. Avec dépit, Farid ne bouge pas et enfouit cette sensation douloureusement grandissante au fond de lui.

— Elles ont amené ces Humains que vous voyez là.

Farid relève le mépris dans le terme utilisé pour les désigner. Il pince les lèvres, mais ne dit rien.

— Bien. Très bien.

Au silence qui suit, Farid comprend que le Prince n'attendait pas telle réponse.

— Relevez-vous, je vous prie.

Dans un frottement de vêtements, ils se relèvent.

— Vous n'êtes pas sans savoir que les créatures vous ont choisis pour une... mission particulière.

Farid a du mal à cacher sa surprise. Ses sourcils se haussent avant qu'il ne reprenne un visage impassible. Non, il ne savait pas qu'il avait été choisi par l'hippogriffe. L'animal, enterré dans le sable, ne semblait pas décider de grand chose.

— Je regrette de ne pas pouvoir vous expliquer de quoi il retourne plus en détails. Mais ce que vous devez savoir c'est que vous pourrez rentrer chez vous une fois que cette mission sera accomplie.

Ainsi, ils sont retenus prisonniers, en quelque sorte. Cette pensée arrache un battement de coeur irrégulier à Farid. Le regard du Roi se durcit alors qu'il continue.

— Un animal démoniaque laisse le Chaos dans son sillage. Il faut que vous le traquiez et que vous le rameniez au Palais.

Le regard du Monarque se met à briller étrangement, d'un éclat qui fait courir un frisson le long de la colonne vertébrale de Farid. Le Roi lève une main et conclut :

— Vous n'avez besoin d'aucune autre information. Le Prince va vous indiquer vos appartements communs.

La bouche sèche, Farid esquisse un sourire forcé à qui l'habitude de marchander a conféré une fausse sincérité. Ils s'inclinent de nouveau avant de suivre le Prince et de sortir de la pièce. Alors qu'ils circulent dans les couloirs du Palais, Farid repense à cette entrevue.

Le Roi lui a laissé une étrange impression. Il n'a que rarement rencontré de nouvelles personnes, mais il arrive à jauger quelqu'un rien qu'en le regardant. C'est un talent qu'il s'est longuement amusé à développer. Très jeune déjà, il tentait de deviner la composition de la famille des marchands rencontrés, le passé des hommes qui lui étaient présentés... Peu à peu, il touchait de plus en plus juste, jusqu'à ce qu'il lui soit très rare de se tromper.

Et aujourd'hui, il se pourrait bien que son pouvoir lui soit utile. Le Roi lui a donc laissé une très mauvaise impression d'un homme corrompu par une quelconque autorité malveillante. Mais qui donc est au-dessus du roi ? Qui peut se permettre d'essayer de le corrompre ?

Le jeune garçon du désert n'en a aucune idée, et il déteste ça. Il va donc chercher à en savoir plus par tous les moyens.

Il a toujours été comme cela : à chercher le mal partout, et à se poser de multiples questions, s'efforçant de découvrir la raison des agissements de chacun. Peut-être est-ce pour cela qu'il a ce talent : il a très vite compris la psychologie des gens qui l'entouraient. Et il a toujours aimé comprendre. Cependant, ce n'est pas aujourd'hui qu'il analysera correctement la famille royale si restreinte.

Le jeune homme est persuadé ; ce périple programmé sera un bon commencement pour son enquête sur la famille royale.

Le Prince s'arrête devant deux portes qui doivent donner sur leur appartement, qu'ils partageront le temps d'une nuit, avant de partir en mission. La bouche de Farid se décroche alors que Mathieu pousse les double portes qui mènent à leur suite.

La pièce est gigantesque et semble presque scintiller. Trois larges lustres sont accrochés les uns derrière les autres au plafond et illuminent leur chambre commune. Les miroirs reflètent la lumière artificielle dans un spectaculaire jeu d'ombres et de lumière.

Le regard du jeune homme sautille de place en place sans savoir où se poser. Les majestueux lits qui meublent la chambre sont accompagnés d'une petite table de chevet. Ses pas hésitants se dirigent vers l'une des couches les plus près de la fenêtre ; dans ce contexte d'opulence omniprésente, il a besoin de se rattacher à un élément qu'il connaît : la nature. La vue qu'il a du lit qu'il choisit suffit à apaiser son cœur battant.

Les couvertures soyeuses et les multiples coussins rembourrés donnent envie de s'allonger et de dormir pour l'éternité.

Farid ne s'approche pourtant pas trop près de ces somptueux meubles. Il pense que tout cela n'est qu'un décor, un cadeau empoisonné. L'enfant du désert, bien que jeune, comprend vite que quelque chose ne tourne pas rond ; pourquoi installer si royalement des personnes inconnues ? Il ne peut prendre sérieusement en compte la raison qu'il leur a été donnée : le fait qu'ils aient été choisis par les créatures mythiques.

Ses sourcils se froncent alors que cette question rejoint la liste à laquelle il ne peut pas encore répondre. Son incapacité l'irrite. Pour se changer les idées, il part prendre une douche lorsque le Prince est parti. La salle de bain est tout aussi titanesque que la chambre à laquelle elle est rattachée. Farid n'a pas l'habitude du luxe, lui qui est un simple enfant de marchand modeste, et tous ces éclats de richesse lui donnent le tournis.

Il tente de faire abstraction de la taille des cabines ou de la propreté du carrelage éclatant de blancheur. Il enfile ensuite l'habit que le Prince leur a demandé de porter. C'est un joli costume sombre bien taillé, dans lequel le menu corps de Farid n'est pas à l'aise. La matière, pourtant soyeuse, irrite sa peau. Il contient une grimace par politesse et s'extrait de la salle d'eau, rejoignant la chambre.

Il s'assoit délicatement sur le lit, habité par la peur d'abîmer un élément. Son regard chocolat examine les lieux avec plus d'attention et une gêne grandissante. Il se tortille sur son matelas, mal à l'aise.

Ses yeux finissent par rencontrer ceux de la jeune fille venue avec le splendide cerf. Son regard déborde de malaise, elle aussi. Ils sont dans la même situation, alors. Les commissures des lèvres de Farid se relèvent légèrement dans un sourire crispé, lui qui rayonne d'habitude de bonne humeur. La jeune fille – Shayna – hésite un instant avant de lui répondre plus franchement. Ils échangent un bref sourire.

La petite dernière finit par les rejoindre. Sa longue robe émeraude met en valeur ses iris étonnants. Farid remarque instantanément le vide émotionnel dans ses pupilles. Ce manque d'émotion fait bondir son cœur et l'intrigue. Edwina ne leur jette même pas un regard. Elle ralentit juste le pas pour les attendre, tandis qu'ils se lèvent et la rejoignent près de la large porte.

Celle-ci s'ouvre seule et Farid s'en étonne, avant qu'il n'aperçoive le jeune serviteur près de l'entrée. Il suit timidement ses compagnons dans les couloirs somptueux. L'homme qui les guide s'arrête devant une nouvelle double-porte massive et toque discrètement. La porte s'entrouvre et d'un geste élégant, il l'ouvre en grand.

Tous trois découvrent la longue pièce qui servira de salle à manger. Ils restent ébahis devant la taille et la splendeur de la pièce. Shayna et Farid hésitent un instant avant d'y pénétrer timidement.

Une table de bois massive meuble la moitié de la pièce. Elle est remplie de victuailles en tous genres, dont les différentes senteurs chatouillent les narines de Farid et réveillent son appétit.

Ses multiples questions qui ne faisaient que danser dans son esprit jusque-là se taisent alors qu'il commence à manger. Le dîner est silencieux et Farid ne s'interroge plus sur la famille royale pendant un long moment. Il profite des plats qui lui sont offerts, sans se demander quel sera le prix à payer pour un si gras repas. Chaque met lui émoustille les papilles, lui dévoilant des goûts qu'il ne connaissait pas. Il se régale.

Lorsqu'il lève la tête à la recherche d'un nouveau plat à tester, son regard se pose sur Shayna, dont les prunelles ne scintillent pas comme les siennes devant cette quantité astronomique de nourriture. Il fronce les sourcils et ses bras s'arrêtent à quelques centimètres du bol qu'il allait prendre.

La jeune fille a la joue appuyée contre son poing et bouscule sans conviction un morceau de viande dans son assiette du bout de sa fourchette. Ses lèvres sont incurvées en une moue dégoûtée.

Farid ne comprend pas ; ce plat, il l'a goûté, et il l'a trouvé excellent. La jeune fille relève ses pupilles et croise le regard insistant du jeune marchand. Elle esquisse une brève grimace en colère en pointant la viande de sa fourchette. Le jeune homme incline la tête silencieusement pour la questionner. Qu'est-ce qui ne va pas avec son plat ?

Shayna jette un coup d'œil au Roi qui ne semble prêter aucune attention à leur échange. Elle se pointe elle-même avec sa fourchette, puis montre le morceau de viande avant de faire de nouveau sa moue dégoûtée.

Un sourire éclaire le visage de Farid devant cette dernière mimique qui déforme d'une ridicule manière son joli visage. Il retient un rire qui ne serait pas approprié. La jeune fille partage son amusement.

La lumière se fait ensuite dans l'esprit de Farid. Shayna n'aime pas ce plat. Et elle n'aime probablement pas la viande tout court. Une fois son fou rire contenu, il hoche la tête pour lui signifier qu'il a compris.

Son regard fouille les mets des yeux et il arrête ses recherches sur une assiette pleine d'étranges morceaux crème ressemblant vaguement à de la viande. Il l'a goûté et sait qu'il ne s'agit pourtant pas de gibier quelconque et pas de poisson. Il indique le plat du menton. La jeune fille suit son regard et fronce les sourcils. Au froncement de sourcils qu'elle fait, elle doit le trouver bête. Pourtant, il est persuadé qu'il s'agit d'un aliment qu'elle peut goûter.

Il insiste, malgré ses gestes répétés entre la viande et elle pour souligner son incapacité ou sa volonté à ne pas manger de viande. Il hoche la tête, confiant. Elle finit par céder et attrape maladroitement le plat avant de prendre deux morceaux fins qu'elle glisse dans son assiette.

Elle lui coule un dernier regard et croque timidement dans l'un d'eux. Son regard s'illumine et elle en reprend, mangeant avec avidité. Elle devait avoir faim. Farid est ravi d'avoir pu l'aider. Shayna le remercie d'un grand sourire qui réchauffe les pommettes du jeune marchand.

Loin sur sa gauche, le Prince fronce les sourcils alors qu'un chétif jeune homme lui chuchote discrètement quelques mots à l'oreille. Il tapote délicatement sa bouche à l'aide de sa serviette immaculée avant de se lever. Sa chaise recule en grinçant tandis qu'il pose ses mains à plat sur la table. Ce geste semble demander silencieusement l'attention de tous, car chacun se tourne vers lui.

— Veuillez excuser mon départ précipité. Je reviens au plus vite.

Il échange un bref regard avec le Roi, comme pour lui demander la permission de sortir de table, alors qu'il vient de déclarer son départ. Farid suit des yeux leur échange silencieux, un délicieux morceau de viande fondant en bouche.

Quelques minutes plus tard, des bruits de pas lui font relever la tête. Ses sourcils froncés s'interrogent alors que le Prince revient, un bras compatissant autour des épaules d'une jeune fille en pleurs, visiblement dévastée. Le visage déformé par le chagrin et les yeux rougis d'avoir pleuré, elle se cache derrière une serviette que le Prince lui prête. Seuls ses sanglots sont audibles.

Mathieu se racle la gorge, embarrassé, avant de s'exclamer d'une voix forte :

— Je dois parler aux Élus des Animaux. Si vous voulez bien me... nous suivre...

Il accompagne sa demande d'un regard lourd de sens et d'un vaste geste vers la porte de la salle. Farid coule un regard déçu sur le plat à peine entamé dans son assiette. Il quitte pourtant la tablée et rejoint le Prince, aux côtés de Shayna et d'Edwina.

— Je viens de trouver cette jeune fille, qui dit s'appeler Cécilia, près du ruisseau par lequel vous êtes arrivés.

Farid hoche la tête, en même temps que ses camarades. Il ne voit toujours pas pourquoi on l'a coupé dans sa dégustation.

— Elle dit être partie avec son frère, sur des animaux différents. Cependant, celui-ci n'est pas avec nous. Il se peut donc qu'il lui soit arrivé quelques mésaventures fâcheuses. Je ne veux entendre aucun mot à ce sujet, et je souhaite que vous installiez cette jeune fille.

Shayna, prise d'un excès de courage, demande d'une voix timide ce qu'il en est de la mission.

— Excellente question, réplique le Prince, elle n'est pas reportée. Je suis navré, mais on ne peut se permettre de déplacer le départ. Vous partirez donc demain, comme convenu. Seulement, vous ne serez donc pas trois, mais quatre.

Le trio acquiesce, puis Farid laisse les jeunes filles tenter de consoler la nouvelle. Il ne sait pas faire, alors il donne volontiers sa place. Lui rejoint ses appartements à la demande du Prince, déçu de ne pouvoir finir son repas, avec la perspective d'une grande aventure en tête.

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