~ 32 ~ Edwina

L'horreur atteint son cœur. Malgré les précautions de Cécilia pour ne pas que l'enfant assiste au duel, Edwina a tout vu.

Le sang qui gicle et tache le sol. Les râles d'agonies et les impacts métalliques. Les menaces à demi voilées du Renard sur la famille du roi. Les pleurs du Prince.

Son cœur a peur, dans sa poitrine. Elle ne veut pas que le renard les rattrape. Elle ne veut pas voir ses amis réduits à de simples corps inertes et sanglants.

La compassion la fait pleurer. Elle a de la peine pour le Prince, cet homme qu'elle a appris à connaître, un peu.

Ses petites jambes suivent avec difficulté le rythme fou des adolescents. Ils grimpent deux à deux les escaliers, traversent l'entièreté du Palais, zigzaguent dans les couloirs. Ils se dirigent vers les cuisines, pour retrouver les domestiques.

Ses pensées n'ont pas le temps de voleter. Bientôt, un doux parfum de plats mijotés parvient aux narines d'Edwina. Ils approchent des cuisines. Mathieu ouvre une porte et les laisse y pénétrer, laissant un regard anxieux derrière Edwina, bonne dernière.

Les adolescents se retrouvent dans une cage d'escalier étroite. Ils dégringolent les marches avant d'atteindre, essoufflés, les Cuisines. Leur bruyante arrivée attire l'attention de tous, instantanément. Des dizaines de pairs de yeux se posent sur eux, mi-curieux, mi-inquiet. Les domestiques s'affairent aux quatre coins de la pièce dans un joyeux brouhaha pour préparer un repas qui n'arrive pas probablement pas.

— Ecoutez moi ! lance le Prince, s'avançant dans la salle.

Les casseroles arrêtent de teinter, les gestes s'arrêtent, les feux ne crépitent plus. Le regard larmoyant du Prince et sa voix brisée ont capté l'attention.

— Le Renard... Pardon, Ra'as enar'de a été fait capturer par le Roi après avoir tenté de me porter préjudice. Mais... il a trouvé un moyen de sortir de sa cellule et un combat s'est engagé entre le Roi et lui. Ra'as enar'de a... Il a...

Mathieu sanglote et Cécilia prend le relai.

— Ra'as enar'de a gagné ce duel, dans les couloirs de vos prisons. Et il est maintenant en liberté entre les murs du Palais, à la recherche du Prince.

Les cris attendus n'arrivent pas. Les domestiques semblent choqués, mais accusent le coup. Ils sont effrayés ; leurs pommettes blêmissent, ils échangent des regards anxieux et ils cessent leurs activités quotidiennes.

Ils se rapproche du Prince et commence à chuchoter, cherchant des yeux une cachette.

— Nous ne pouvons pas le laisser dans le Palais, mon Prince, déclare une jeune domestique, plus téméraire que les autres. Il ne viendra pas vous trouver dans les cuisines, mais vous devez le trouver avant lui et mettre fin à cette menace constante sur le trône.

Elle paraît assurée, mais les tressaillements de sa paupière gauche trahissent son stress. Le Prince acquiesce. Dans son regard, la détermination prend le pas sur la peur. Edwina reconnaît dans l'attitude qu'il prend le port altier qu'elle avait remarqué à son arrivée. Au tout début de cette longue aventure. Un sourire nostalgique lui échappe.

L'enfant ferme les yeux et écoute la lente mélodie de son coeur. Ses battements réguliers. Ce rythme qui s'emballe à chaque émotion puissante. Elle la sent maintenant. La vitalité de son coeur.

Boum, boum, boum.
— Je vais avoir besoin de vous, déclare le Prince d'une voix forte et le rythme cardiaque d'Ewina éprouve un raté. De vous tous. Ecoutez-moi.

D'un geste, il les invite à se rassembler autour de lui.

— J'ai un plan, annonce-t-il dans un sourire.

Ces quelques mots attirent de suite l'attention de toute la salle. Le silence se fait. Le Prince énonce alors son plan qui inclut - il n'a pas menti - tout le monde.

Edwina hoche vivement la tête à la fin de l'explication de sa stratégie.

— Tu as compris ?

L'enfant acqui3sce alors que Cécilia s'emporte :

— Je ne pense pas qu'elle ait subitement tout oublié après tes précédentes questions similaires...

Un rire échappe à Shayna qui rajoute devant l'oeil courroucé du Prince :

— Elle a compris. Vas-y, maintenant.

Le coeur battant, l'enfant se faufile en dehors des cuisines et rejoint le rez-de-chaussée du Palais.

Monte au premier avec les escaliers principaux. Prends à droite. La troisième porte à gauche, c'est ma suite. Le Renard sera probablement dans le coin.

La jeune fille a conscience que le plan repose majoritairement sur ses frêles épaules, d'où l'inquiétude grandissante de Mathieu. Elle déglutit alors que ses petites jambes engloutissent la distance qui la sépare des escaliers. Ses yeux clairs cherchent un éclair roux qui signalerait la présence du Renard.

Le Prince pense que le sorcier restera sous forme animale, plus adéquate pour la traque de Mathieu qu'il a entreprise et aussi, l'héritier a ajouté que le sorcier devait être addict à la magie. Le Prince lui a expliqué que toutes formes de magie demandaient une part de vitalité et de l'âme du demandeur. Peu à peu, la forme vivante qu'est la magie prend possession du magicien et celui-ci en devient vorace. Le sorcier risque donc de rester au plus près de la magie que possible, donc de garder forme animale.

La jeune fille ressasse le plan dans sa tête alors qu'elle enjambe la dernière marche. Elle jette un coup d'oeil à gauche et part à droite. Elle avance doucement, comptant les portes qui s'harmonisent parfaitement avec les murs.

Une...

Elle inspire profondément, pour retrouver un simulacre d'apaisement.

Deux...

Elle doit paraître sûre d'elle. Mais aussi hésitante, un peu, comme elle l'était au début de ses discussions avec le Renard.

Trois.

Ses jambes se figent. Son coeur sursaute. Sa main empoigne la poignée froide. Elle se répète encore une fois les propos qu'elle doit tenir au Renard, s'il est bien là. Elle ferme les yeux et appuie sur la poignée.

La porte s'ouvre vivement en même temps que ses paupières. Son coeur fait une embardée, mais la pièce est vide. Elle retient un soupir de soulagement et entre en se raclant la gorge. Les pommettes rougissantes, elle évite de s'attarder sur les affiches et les meubles du Prince.

Il n'est pas là, pense-t-elle. Elle s'apprête à faire demi-tour.

— Petite, susurre une voix près de son oreille gauche.

Elle se fige. Un souffle chaud arrive dans sa nuque. Un frisson de dégoût pour cet être qui a manipulé sans vergogne la jeune fille sans défense qu'elle était lui traverse la colonne vertébrale.

— Que fais-tu là ? Tu t'es perdue ?

— Je vous cherchais, hésite-t-elle.

— Tu me cherchais, hein ? Comme c'est mignon...

Une grimace tort ses traits enfantins, qui contrastent avec la dureté de son regard.

— Tu as des informations, peut-être ? tente-t-il d'une voix mielleuse.

Elle ne sait pas comment réagir. Comment aurait-elle fait, avant tout ça ? Avant d'avoir conscience d'être manipulée par un sorcier maléfique ? Un assentiment oral, un geste, un acquiescement ?

La seconde d'hésitation augmente le doute chez son assaillant. Elle le sait. Alors elle agit. Elle hoche la tête.

— Bien, bien. Je t'écoute.

Edwina retient un soupir de soulagement. Elle récite mentalement le plan de ses propos avant de se lancer.

— Le Prince, commence-t-elle d'une voix chevrotante, dont les tremblements ne sont pas qu'illusions. Le Prince s'est caché dans les cuisines.

L'angoisse fait trembler ses doigts de la main droite. Elle agrippe son poignet de son autre main pour faire cesser le tremblement révélateur de son trouble intérieur. Elle inspire et continue.

— Je crois qu'il prévoit de vous traquer, souffle-t-elle précipitamment.

Elle y est presque.

Le long silence qui suit ses paroles est si complet qu'elle a peur de se trahir par les battements fou de son coeur.

— Bien.

La présence du Renard dans son dos se relâche : il recule. Ses épaules se détendent. Un éclair roux passe sur sa gauche avant de s'arrêter devant elle. Le museau à quelques centimètres du visage de la jeune fille, il l'observe sans dire un mot. Ses yeux noirs de canidé se plantent dans ceux, vert d'eau, de son espionne.

— Tu crois ou tu en es sûre ?

Elle avait préparé cette question. Elle commence à le connaître.

— Je ne peux pas être sûre, lâche-t-elle en baissant les yeux.

— Bien, bien.

L'interrogatoire dure trop longtemps.

L'angoisse monte dans ses veines. Ses doigts se remettent à trembler. Elle relève le regard et se mord la lèvre inférieure avec une expression qu'elle espère innocente et inquiète. Son coeur cogne douloureusement dans sa poitrine.

Boum, boum, boum.

— Tu restes là pendant que je vais vérifier tes propos.

Elle hoche la tête. Peut-être un peu vite. Peut-être un peu trop fort. Il la fixe encore un instant avant de disparaître dans le couloir.

Au bout de cinq battements de coeur, la jeune fille s'autorise à souffler et laisse ses membres trembler. Ses jambes flageolantes ne la tiennent plus ; elle s'effondre lentement au sol, le coeur battant. Elle lève le regard vers la porte close et qui, au bruit qu'elle a fait lorsque le Renard l'a refermée, le restera jusqu'à ce qu'il revienne des cuisines. 

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