~25 ~ Cécilia
Après l'annonce du Prince, Cécilia fronce les sourcils. Qu'a encore fait Edwina ? Après sa concession douloureuse de l'autre soir, elle ne pensait pas que la jeune fille allait récidiver. Elle lui jette un coup d'œil ; ses pommettes écarlate et son regard honteux donnent raison au Prince. Pourtant, Farid ne prend pas cette attitude pour une confirmation et s'exclame :
— De quoi tu parles ?
Le Prince pince les lèvres avant d'expliquer ;
— Je t'ai vue, traîtresse, siffle-t-il, le regard noir sur Edwina. Votre amie discutait avec le Renard.
Cécilia hausse les sourcils et coule un nouveau regard vers l'enfant. Ce faisant, ses iris croisent les sourcils froncés de Shayna. Quelque chose émanant de son visage fermé et de son regard perdu accroche les pupilles de Cécilia. La jeune fille ne paraît pas simplement réfléchir : elle ne comprend pas, un élément la chiffonne. Pourtant, les propos du Prince sont clairs. Que se passe-t-il ?
Cécilia joue avec la pression de ses doigts sur ses rênes pour faire ralentir Tempête, qui réagit docilement. Elle resserre ensuite sa jambe gauche sur son flanc et sa monture se décale en douceur sur la droite. Arrivés derrière le cheval de Shayna, le duo accélère légèrement. Les animaux, habitués à se côtoyer et dressés correctement, ne réagissent pas lorsque la tête de Tempête frôle le flanc droit de la monture de Shayna. Cécilia ne peut pas avancer plus.
— Shayna ? demande-t-elle.
La jeune fille relève vivement la tête et l'observe. Elle recule sa monture pour qu'elles soient plus à l'aise, un peu en arrière.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Je... Je ne comprends pas. Je l'ai vue, Edwina, discuter. Mais c'était un homme, avec qui elle échangeait. Et le Prince dit qui l'a vue avec le Renard.
Cécilia fronce les sourcils. L'hypothèse qu'Edwina puisse parler à deux personnes pendant le laps de temps qui s'est écoulé est plausible, et pourtant Cécilia l'écarte rapidement. Comment deux êtres extérieurs à leur groupe ont pu se retrouver au même endroit ?
— Qui c'était, alors ? Je suis sûre de ce que j'ai vu.
— Il n'y a qu'un moyen de comprendre, chuchote Cécilia, avant d'ajouter, plus fort :
— Edwina ?
L'enfant pivote sur sa selle, les yeux écarquillés et les pommettes encore rosées. Elle demande à sa monture de rejoindre les jeunes filles.
— Il faut qu'on comprenne, Edwina, commence Cécilia d'une voix douce. A qui as-tu parlé ?
— Au Renard, lâche l'accusée en glissant une mèche de cheveux entre elle et les filles d'un mouvement sec du menton.
— C'est tout ? s'interroge Shayna. Il n'y avait pas un autre homme ? Avec un bâton de marche ?
La jeune fille relève un regard étonné.
— Non. C'était juste le Renard.
— Vous avez discuté longtemps ?
— Une dizaine de minutes ? répond Edwina.
— De quoi ?
Les fines lèvres rosées de l'enfant s'entrouvrent et ses pommettes s'empourprent. Elle lâche le regard des deux filles pour répondre :
— Je lui ai dit que je ne voulais pas attenter à la vie du Prince.
— Et ?
— Il m'a dit qu'il comprenait.
Qu'il comprenait ? Cécilia fronce les sourcils. C'est nouveau, ça. Le Renard serait compréhensif.
— C'est tout ? la pousse Shayna.
— Oui, oui, répond précipitamment la jeune fille.
Les deux plus âgées échangent un regard : il est évident que l'enfant leur ment, ou du moins leur cache la vérité. Elles n'insistent pourtant pas. Des minutes de silence s'écoulent, rythmées par le martèlement des sabots des chevaux sur la terre devenue sèche, exposée sans la protection des arbres au soleil chaud.
— Mathieu ? demande Shayna. Arrêtons-nous deux minutes, le temps qu'on utilise la planche que nous sommes allés chercher.
Le Prince serre la mâchoire et s'apprête à refuser l'arrêt, mais le ton de la jeune fille ne laisse personne indifférent ; ce n'est pas une demande, c'est un ordre. Cécilia hausse les sourcils alors que Mathieu demande à son cheval de s'arrêter. Shayna descend dès que les sabots de sa monture ne sont plus en mouvement. Les mains sur les rênes, elle les tend à Cécilia, qui s'empare de la bride de la monture.
La jeune fille défait alors la large planche et la glisse jusqu'au Cerf, quelques pas au-devant d'elle. Shayna tente de faire glisser le corps inerte de l'animal sur la planche, mais ses pommettes rougissent, ses muscles se crispent et ses tendons ressortent alors que le cervidé ne bouge pas d'un millimètre. Elle lâche tout et souffle, jetant un coup d'œil au Prince, qui comprend le message.
Il se laisse habilement glisser le long des flancs de Voyou et aide la jeune fille à glisser la planche sous le corps massif du Cerf.
Le cheval de Cécilia piaffe, mécontent de s'arrêter si longtemps. Elle le retient difficilement, les phalanges serrées sur les rênes tandis que la monture de Shayna les observe d'un œil curieux.
A l'exclamation joyeuse de Shayna, Cécilia leur jette un coup d'œil ; le Cerf est maintenant sur la planche, et la corde qui le retient est attaché à la planche, évitant de la prendre en route. Un sourire aux lèvres, la jeune fille remonte à cheval et remercie Cécilia d'un hochement de tête. Les cavaliers se remettent en route.
Leur longue chevauchée ne s'arrête pas jusqu'à la tombée de la nuit. Le vent devient soudain frais sur leurs corps moites de sueur lorsque l'astre solaire ne les réchauffe plus. Sur l'encolure de Tempête, la sueur forme des traces d'écume blanche qui contraste avec sa robe sombre. Son pelage luit sous les derniers rayons du soleil.
Mathieu, ralentit Voyou et demande un arrêt. Ils sont au milieu d'une plaine vallonnée, où les collines de tailles moyennes ont fait souffrir les chevaux de nombreuses fois. Un unique arbre s'élève à quelques pas d'eux dont la plus basse branche s'étire à l'horizontal. Le Prince glisse au sol sans aucune difficulté, alors que les muscles de Cécilia hurlent de douleur et ses jambes flanchent lorsqu'elle atterrit lourdement au sol.
Le petit groupe entreprend de desceller leurs chevaux et de retirer leur mors ruisselant pour permettre à leur monture de se reposer comme il se doit. Les chevaux, se sentant libérés, se détendent ; ils étendent leur encolure très bas pour étirer leur dos et certains descendent sur leurs antérieurs avant de se rouler dans l'herbe fraîche.
Cécilia observe Tempête avec un sourire, les mains sur les rênes. Mathieu extrait une boîte dont un côté est ouvert de son sac et tire sur les bords. La gamelle s'élargit dans un chuintement sous le regard surpris de Cécilia. Elle ne l'avait jamais vu ; elle n'avait pas remarqué où buvaient les chevaux.
Le Prince remplit la gamelle qu'il a déposée sous la plus basse branche de l'arbre grâce à sa gourde. Il ne laisse qu'un fond d'eau, pour éviter de vider sa propre gourde. Lorsque les chevaux s'avancent pour s'abreuver, les cavaliers enroulent les rênes autour de la branche ; sauf Voyou, que la pleine confiance du cavalier sauve. Si l'un des chevaux venait à s'enfuir par on ne sait quel stratagème, le groupe est certain que Voyou veillerait sur lui.
Mathieu s'avance ensuite vers le Cerf, toujours étendu, inerte, sur sa planche. Cécilia ne sait pas vraiment ce que lui a fait le Prince, mais ça a le mérite de fonctionner. La gourde en mains, il glisse de l'eau entre les lèvres du Cerf, dont la déglutition se met à avaler le liquide bienfaiteur.
Assis autour du feu sur les sacs emplis de plumes qui leur servent de couchette, les jeunes gens s'observent, silencieux. Edwina est déjà couchée, voire endormie et les autres se taisent par respect.
Le regard de Cécilia est perdu dans les flammes qui dansent sous le ciel étoilé. La chaleur de l'âtre l'empêche d'avoir froid durant cette fraîche nuit. De multiples questions l'assaillent, certaines sur lesquelles elle ne s'attarde pas de peur d'avoir une réponse.
Shayna perce bientôt le silence seulement troublé par les crépitements du feu.
— Mathieu, j'ai une question, chuchote-t-elle.
Le Prince relève la tête, sincèrement intéressé.
— Tu as dit avoir vu Edwina avec le Renard, et elle confirme tes propos.
Cécilia hoche la tête : elle sait où cette conversation va mener et quelle réflexion taraude Shayna. Le Prince quant à lui fronce les sourcils.
— Cependant, je l'ai vue avec un homme. Un inconnu. Dans le même temps.
Avant que le Prince ne puisse faire une réflexion hautaine dont il a le secret, Shayna balaye l'air d'un geste de la main et ajoute :
— Je sais ce que j'ai vu. Le Renard n'était plus un renard, mais un homme à mes yeux. Et Edwina ne mentait pas lorsqu'elle nous a dit qu'elle n'avait parlé qu'avec le Renard.
Le visage du Prince s'est soudainement refermé. Une ombre plane dans son regard et il souffle d'une voix lugubre :
— Si ce que tu dis est vrai, alors nous avons un sérieux problème.
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