~ 15 ~ Farid
Ses chaussures frappent le sol à intervalle régulier. De temps à autre, ses pieds écrasent une feuille morte ou une brindille qui craque sous son talon. Les mains dans les poches, la tête dans les épaules, il marche.
La végétation lumineuse illumine le chemin tortueux qu'il emprunte. Il n'est pas fou au point de s'éloigner du campement : son regard peut à tout moment observer les flammes du foyer.
Le vent nocturne souffle doucement autour de lui. Il parvient parfois à se faufiler entre ses vêtements et lui arrache alors quelques frissons.
La dernière conversation qu'il a eue avec Shayna repasse dans son esprit. Il fronce les sourcils ; l'envie de justice de la jeune fille les perdra. Malgré la mauvaise impression que lui a laissé le Roi, son esprit pragmatique lui susurre de ramener le Cerf au Palais. Cette action n'aura aucune incidence sur sa vie et lui permettra de rentrer chez lui au plus vite. Il n'a cure de savoir que l'animal est innocent.
Les arbres bruissent derrière lui et des pas se font entendre. Il se retourne pour trouver Shayna, un sourire hésitant aux lèvres. Il fronce les sourcils, mais ne peut résister à lui retourner son sourire : il ne voulait pas s'énerver comme il l'a fait, il répondait simplement à l'élévation du volume de la voix de Shayna.
—Je suis désolée, chuchote-t-elle.
Il hausse les sourcils et attend la suite.
—Je ne voulais pas m'énerver comme je l'ai fait. C'est juste que... la cause animale m'est très importante et la justice aussi. Ce n'est même pas une question de vouloir, cette histoire de donner l'animal au roi, c'est une question de pouvoir. Je ne peux pas lui donner le Cerf en sachant pertinemment que ses intentions sont mauvaises. Je suis désolée, répète-t-elle.
Elle hausse les épaules, comme pour souligner son impuissance face à ses capacités. Elle relève le regard vers lui alors qu'il lui répond :
—Je ne sais pas ce qui t'a tant fait aimer les animaux. Mais je peux comprendre. Les principes, tout ça...
La jeune fille hoche la tête, la bouche close, et attend qu'il continue.
—Je suis désolé moi aussi de m'être emballé. C'est juste que... Bah, mon père est malade, lâche-t-il soudainement.
Shayna écarquille les yeux et sa bouche s'entrouvre bêtement.
— Oh, je... suis désolée.
—Tu n'y peux rien, répond-il d'un haussement d'épaules. Et puis j'ai une modeste famille de marchands. Mais sauf que du coup, il n'y a que ma mère et moi qui ramenons de quoi subsister, et c'est pas facile tous les jours.
Un long silence suit ses propos. Shayna l'observe, le regard compatissant. Il n'aime pas la compassion, d'habitude, car elle est toujours de pair avec d'autres émotions négatives, comme la pitié. Mais maintenant, il sent que Shayna n'a pas pitié, elle compatit simplement. Elle essaye de comprendre. Alors il continue, peut-être plus pour se libérer que pour elle :
—Enfin bref, tout ça pour dire que sans moi, ma mère va devoir tout faire seule. La situation va se complexifier pour eux.
—Et c'est pour ça que tu veux rentrer au plus vite, acquiesce-t-elle.
Farid lève le regard vers elle et hoche simplement la tête. Oui, c'est pour ça qu'il veut rentrer. Parce que ses parents doivent être démunis.
—Je ne savais pas tout ça. Je... sais pas quoi dire.
— Alors ne dit rien, chuchote-t-il, un léger sourire aux lèvres.
Par mimétisme, les commissures des lèvres de Shayna se relèvent doucement.
— Alors il va falloir trouver rapidement une solution. Où on rentre vite. Et où on ne rend pas l'animal.
—Je crois que tu nous surestimes un peu, ironise Farid avant de pouffer.
Shayna lève un regard amusé vers lui, et l'atmosphère qui entourait sa révélation vient de disparaître.
—Tu vas nous trouver un plan, j'en suis persuadé, lâche-t-il. Mais là, j'ai sommeil.
Elle écarquille les yeux et bafouille :
— Ah oui, oui bien sûr. On en parle demain, alors.
Elle pivote sur ses talons et se fraye un chemin parmi les arbres pour rejoindre le camp. Juste avant de disparaître, elle se retourne vivement, comme prise de remords par rapport à quelque chose qu'elle aurait oublié, et elle lâche précipitamment :
— Bonne nuit, accompagnée d'un timide signe de main.
Farid lui retourne la politesse et un large sourire vient s'imprimer sur son visage. Il reste encore quelques minutes seul avec ses pensées, à l'abri du camp. Il finit par rejoindre la chaleur de l'âtre lorsque la fraîcheur nocturne se fait trop froide. Il rejoint une des tentes, se faufile silencieusement et s'étend sur sa couche. Malgré la fatigue qui tiraille ses membres après cette journée à cheval, il ne peut fermer l'œil avant un très long moment ; la complexité de leur situation le retient de ses griffes.
C'est les rayons du petit matin s'engouffrant dans sa tente qui le réveillent. Il a l'habitude des réveils matinaux et son cerveau embrumé de fatigue s'éveille rapidement. Il s'étire et s'extrait de sa tente après avoir roulé ses maigres affaires dans son sac. Il hausse les sourcils lorsqu'il observe les dernières braises du feu rougeoyer. Le Prince est assis à côté du foyer et semble attendre, plongé en pleines réflexions dont ses sourcils froncés sont la preuve.
— Déjà réveillé ? s'étonne Farid.
Ses yeux chocolat se portent au loin pour vérifier l'heure. Le soleil n'apparaît pas encore pleinement derrière la ligne d'horizon. Le Prince sursaute et lève un regard étonné vers lui.
— Je... Oui. Avec les évènements d'hier...
Il fait un vaste signe de la main qui paraît englober l'étrange scène qui a failli finir en drame de la veille. Farid hoche la tête et s'assoit à côté du Prince.
— Je ne comprends pas, murmure celui-ci. Pourquoi ce renard voudrait ma mort ?
Son regard est empreint de détresse et de confusion. Cette question semble l'avoir tracassé.
— Comme tu as pu le remarquer, on n'a pas vraiment de réponses... Pour rien.
Mathieu hoche la tête, les yeux dans le vague. Farid sait que la menace de mort du canidé planera encore au-dessus de sa tête jusqu'à ce qu'ils résolvent cette énigme. Mais malheureusement, ce n'est pas la priorité.
Un mouvement de tissus le fait tourner la tête ; un des pans de tente s'entrouvre pour laisser passer Shayna. Les cheveux emmêlés et le visage encore marqué par la trace de sa couche, marque qui fait sourire Farid, elle semble particulièrement vive. Son regard brille d'un sincère bonheur dont Farid s'interroge sur les raisons. Il hausse les sourcils lorsqu'il croise son regard. Elle lui lance un sourire radieux et lâche :
— J'ai trouvé la solution.
Il n'a pas besoin qu'elle explique le fil de sa pensée. Il l'a suivi.
— Tu vois, je t'avais dit que tu nous trouverais une solution.
Sa remarque rosit les pommettes de la jeune fille qui se cache derrière ses longs cheveux sombre. Farid tapote la place sur le rondin à côté de lui pour lui signifier de s'assoir, ce qu'elle s'empresse de faire.
— Vas-y, explique-nous.
— La solution à quoi ? se réveille vivement le Prince.
— A la situation actuelle. Hier, on en a discuté ; il faut que l'on rentre le plus vite possible chez nous, mais sans mettre en danger le Cerf, l'éclaire Farid.
Mathieu paraît se poser quelques questions, mais les garde sous silence et l'encourage à continuer d'un signe de tête. Shayna se lance d'une voix enjouée :
— Il faut rentrer dans leur jeu.
— Comment ça ? s'étrangle le Prince.
— Ne me dis pas que c'est ce que je pense, chuchote Farid, le cœur battant d'avoir compris.
Le regard désolé que lui lance la jeune fille ne le rassure pas.
— C'est le seul moyen de rentrer chez nous et de ramener le Cerf au château, on ne peut pas tenter de raisonner le Roi, en se basant sur ton impression, Farid. Sauf qu'il est exclu que le Palais torture ou tue l'animal, ce qui adviendra si on le leur donne. Donc, on va faire comme si on ramenait le Cerf.
— Je ne te suis pas, chuchote le Prince, sourcils froncés.
Farid, lui, n'a que trop compris. Son cœur tambourine dans sa poitrine alors qu'il envisage tous les scénarios où cela se passe mal.
— C'est trop dangereux.
— Et pourtant, on n'a pas le choix, souffle-t-elle, le regard résigné.
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