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Nous recommençâmes donc. D'abord, j'essayai de laisser mon pouvoir fuir, puis je devais tenter de réduire l'échappée de glace. Si l'exercice me parut impossible au début, les encouragements et les sourires d'Elsa m'aidèrent énormément. Nous travaillâmes de longues heures et je ne sentis pas le temps passer. Il sembla d'ailleurs qu'il en fût de même pour la Reine. En effet, lorsque le soleil passa sous la ligne d'horizon et que les ténèbres commencèrent à envahir les lieux, elle se rappela soudainement qu'elle devait rentrer au château.

— Mais il est là ton château, lui dis-je avec mon plus beau sourire en réserve.

Ses lèvres s'étirèrent et je suis certain, qu'à ce moment, j'aurais pu créer des flammes tant elle me réchauffa. Elle posa de nouveau sa main froide sur mon épaule – geste que j'appréciais de plus en plus – et dit :

— Mon vrai château, voyons ! L'officiel, si tu préfères. Celui où se trouve mon trône, ma couronne... Ma sœur !

Ses yeux se perdirent dans le vague une seconde.

— Tu ne peux pas rester ? insistai-je doucement.

— Non. Et d'ailleurs, tu n'as rien à manger, je te rappelle. Et je commence vraiment à avoir très faim.

Par un étrange effet de synchronisme, son estomac produisit un affreux son et nous éclatâmes de rire. Je lui proposai alors de la raccompagner.

— Je n'ai pas besoin d'escorte, tu sais ? fit-elle en produisant une légère fumée blanche au creux de sa main. La montagne est sûre et je peux me défendre, si besoin.

— Bien sûr, mais ça me ferait plaisir.

— C'est inutile, conclut-elle en faisant volte-face.

Je ne pouvais pas la laisser partir pour autant. Un besoin irrépressible me saisit alors et je m'élançai dans sa direction. Je passai au-dessus d'elle et me posai un mètre devant elle, pour ne pas lui faire peur. Elle sourit à nouveau. Ce genre de sourire qui se veut moqueur, mais qui est également si charmant. Dévastateur. J'avais cette fille dans la peau ! Je ne connaissais rien de mon passé. J'ignorais presque tout de la vie, en réalité. Je ne vous parle même pas des convenances en présence d'une reine. Je fis le dernier pas qui nous séparait encore et l'enlaçai doucement. Il m'est en fait difficile de décrire précisément la scène telle qu'elle se déroula alors. Mon corps était comme autonome. Mon bâton chut sur le sol et mes mains passèrent dans son dos. L'une d'elles, caressa ses doux cheveux givrés et je m'approchai jusqu'à sentir nos deux poitrines collées.

— Je ne veux pas que tu partes, me souviens-je avoir dit.

Ce furent mes dernières paroles avant de l'embrasser. J'ai, en revanche, un très net souvenir de la tendresse de ses lèvres, si fines et si froides. Je me rappelle parfaitement de la sensation paradoxale de chaleur qui m'envahit tout à coup. Et je me souviens, avec une horrible précision, le moment où elle me repoussa.

Elle n'était pas horrifiée, comme j'en avais eu peur un instant. Elle avait le regard fuyant et les joues empourprées. Je vis sa main se poser sur sa lèvre inférieure et je fus convaincu qu'elle avait apprécié cet échange.

— Je dois pourtant partir, chuchota-t-elle la voix tremblante. Je... Je reviendrai demain, Jack Frost.

Et cette-fois, elle s'en fut en courant, sauta sur son cheval et disparut au galop.

Elle m'avait repoussé. Mais elle l'avait fait délicatement. Quel était le sens de ce geste ? Ne voulait-elle pas de moi ? Elle avait, en ce cas un extraordinaire tact. Etait-elle gênée de mon geste ? Elle aurait pu l'empêcher, pensai-je alors. Il me semblait n'avoir laissé aucun doute quant à mes intentions. Mais, encore une fois, je n'avais aucun souvenir sur la conduite à tenir en présence d'une femme. Et encore moins d'une reine. Peut-être avais-je enfreint un règlement royal ? Peut-être avait-elle besoin de l'accord du conseil d'Arendelle avant d'embrasser un garçon ?

Je rentrai vers le palais de glace, son magnifique ouvrage, en me posant mille questions de plus. Je me remémorais ce baiser. Le premier de ma vie. Notre premier baiser. L'éclaireur d'une longue procession, espérai-je. Elle m'avait dit à demain. Cela voulait dire que, quoi qu'elle ait ressentie, elle n'avait pas été dégouttée. Elle était partie pour respecter un quelconque horaire ou l'appel de son estomac. Pas pour me fuir moi : Jack Frost. J'adorais tellement sa façon de prononcer mon nom en entier. J'eus le plus grand mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Mais je suis à peu près certain de m'être endormi avec le sourire.

J'étais tellement occupé à penser à ma bien-aimée Elsa que je n'avais pas remarqué qu'à aucun moment, je n'avais créé de glace ou de neige. Je dormis d'un trait, comme un bébé.


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