Chapitre 9 : Sentiments

Une fois sortie de chez le doyen des Ancêtres, Drof, et après avoir salué Arcturus, Spica rejoignit Machanaël, les yeux brillants de colère et l'aura sombre.
L'ange déchu la vit sortir de la source. Il la regarda aller s'asseoir sur les racines de son arbre favori et afficher une mine affreusement coléreuse.
Un peu surpris, il se rapprocha d'elle à pas lents, bien que l'atmosphère autour de la jeune femme soit aussi électrique que dissuasive.
-Euh...commença-t-il, ne sachant pas vraiment comment l'aborder, au vu de la situation délicate. Spica ? Ça va ?
Il obtint pour toute réponse un grognement suivi d'une seule et brève phrase :
-Ça pourrait aller mieux...

Machanaël s'assit aux côtés de l'Ondine d'un mouvement prudent. Il n'avait encore jamais vu sa jeune amie autant en colère, aussi énervée. Il n'en était que plus impressionné. Son humeur massacrante viendrait à bout de n'importe qui.
-Je comprends à présent pourquoi cette Ondine te tape sur les nerfs...fit-il avec un ton poli afin de ne pas attiser encore plus le feu de la colère grandissante de Spica.
-Tu m'étonnes...lâcha cette dernière, mal lunée.
Elle crispa ses doigts sur ses bras.
-Elle a osé. Elle a osé ! Elle a osé venir dans ma source !
L'Ondine avait crié. Machanaël n'en avait franchement pas l'habitude et il ouvrit des yeux surpris.
-Sincèrement, commença-t-il du même ton prudent que tout à l'heure en jetant un bref coup d'œil latéral à sa jeune amie. Bien qu'Ada soit une Ondine très agaçante, pour rester poli, ce doit être une pauvre fille qui ne se sent pas à l'aise ni dans son corps ni dans sa tête. C'est pour cela qu'elle se comporte ainsi.
-Peut-être. Mais ce n'est pas une raison pour faire subir autant de mauvais traitements et de souffrances à une autre personne, sans penser aux éventuelles conséquences qui pourraient en découler. Je ne comprends pas ce genre de filles, celles qui ont un besoin irrépressible de se sentir supérieures aux autres en les rabaissant et en les discriminant.
-C'est vrai, admit Machanaël en traînant sur la dernière diphtongue. Mais je suis satisfait de constater une chose.
-Quoi donc ?
-Tu n'as rien exagéré. Parfois, quand on n'aime pas quelqu'un, on décrit les choses de notre point de vue influencé par nos émotions. Mais cette fille est vraiment comme tu me l'as décrite. Provocatrice et désagréable, je n'aurais franchement pas voulu tomber dans sa source.

La remarque réussit à faire sourire Spica. Peu à peu, elle se calma. Ses muscles se détendirent et son visage se décrispa lentement mais sûrement. Elle parvint enfin à prendre une grande inspiration, signe qu'elle était parfaitement détendue.
-Et maintenant ? Ça va ? fit Machanaël avec un sourire.
-Oui...marmonna Spica.
Elle réalisa un joli plongeon dans sa source et sortit sa tête hors de l'eau. Machanaël comtempla les cheveux de Spica qui baignaient dans le liquide. Ils formaient une sorte de couronne autour des épaules de la jeune femme et ils faisaient les mêmes mouvements qu'une méduse noire. Spica attira son attention en lui demandant :
-Dis-moi, tu sembles avoir vu toute la scène. Où étais-tu ?
L'ange eut un air surpris puis un sourire lui vint aux lèvres.
-Maligne, va...
-Je te retourne le compliment, lui sourit l'Ondine avec un air entendu.

Machanaël soupira et passa sa main dans ses courts cheveux châtains. On aurait dit qu'il voulait les arracher mais ils tenaient si bien sur son cuir chevelu que rien ne lui restait jamais entre les doigts. Il finit par dire :
-J'étais caché dans les feuillages des arbres, accroupi sur une branche épaisse. Mes ailes me cachaient et Ada les a prises, j'imagine, pour des feuilles. Quand elles sont à l'ombre, elles sont presque aussi noires que mes ailes. Par contre, elle est un peu myope, cette fille...Je pense que si tu n'avais pas été aveuglée par la colère, tu m'aurais repéré presque tout de suite, même si tu n'avais pas su que j'étais là. J'avoue aussi que je n'ai pas particulièrement cherché à être discret mais elle n'a jamais, ne serait-ce qu'un peu, suspecté que quelqu'un puisse l'observer.
-Tant mieux.
Machanaël eut une expression mêlant provocation et sadisme.
-Pourquoi donc ?
-Tu veux vraiment m'obliger à te répondre ?
L'ange resta silencieux et la fixa avec des yeux persuasifs, bien qu'inutiles car il savait que Spica allait de toute façon lui répondre. La jeune Ondine soupira :
-Tu serais capable de manipuler un grand nombre de gens, avec ton caractère, tes expressions et ton aisance dans les mots.
-Tu crois que je ne l'ai jamais fait ? déclara le Séraphin, en souriant. Je ne suis pas aussi blanc comme neige et aussi pur que les autres anges, ou disons dans leurs critères de pureté et d'innocence...
Spica sourit.
-Pour te répondre, je n'ai aucune envie qu'Ada aille lancer des rumeurs sur n'importe quoi et à n'importe qui.

Machanaël croisa les bras.
-Je n'ai pas non plus envie que ma présence soit rélévée à tout le monde, ce qui comprend automatiquement n'importe qui, et surtout dans ma situation actuelle, un peu délicate. J'ai vraiment de la chance d'être tombé dans ta source.
Il regarda Spica dans les yeux avant d'ajouter avec un sourire sincère :
-Je suis heureux de t'avoir rencontrée !

La jeune Ondine ne laissa pas beaucoup paraître sa surprise bien qu'elle soit très étonnée par cette déclaration. Elle déglutit pour réfréner ses émotions grandissantes mais sentait des larmes lui monter aux yeux, une sensation qu'elle ne connaissait plus depuis son enfance remplie de solitude.
Elle porta ses mains jointes au niveau de son nez et de sa bouche. Elle dit, la voix étouffée entre ses doigts fins :
-Moi aussi...Je suis heureuse. Si heureuse...

Machanaël la rejoignit par les airs, en volant puis en réalisant un surplace maîtrisé.
-Pourquoi tu pleures ? demanda-t-il de façon absolument non cavalière.
Spica laissa ses larmes couler le long de ses joues et sa mâchoire avant qu'elles ne tombent et se mêlent à l'eau de sa source.
-Personne ne m'avait jamais dit une telle chose. Tu ne peux pas savoir à quel point ça me touche !
Étrangement, sa voix n'était nullement altérée par ses sanglots mais en ce moment, ses sentiments étaient clairement lisibles sur son visage.
Les deux amis allèrent s'asseoir côte à côte sur les racines de l'arbre fétiche de la jeune Ondine.
Elle surprit l'ange quand elle se tourna vers lui subitement, la main en avant.

-Pof pof !
Machanaël rentra sa tête entre ses épaules par réflexe quand il sentit la paume de l'Ondine sur ses cheveux. Il eut un petit sourire.
-Ce truc...soupira-t-il.
Spica lui rendit son sourire et dit :
-Je voudrais bien te faire un câlin, mais tu risques de ne pas apprécier.
-Je te préviens immédiatement, fit Machanaël en reculant un peu son torse, les yeux rivés sur les bras de sa jeune amie. Si tu m'étreignes, je crie !

Spica changea d'expression du tout au tout, passant de la douceur au sadisme, dû à une mauvaise bonne idée.
-J'ai une envie aussi soudaine que forte de tester, maintenant...
-Non...Non ! lâcha le Séraphin, tout à coup paniqué. Non, Spica ! Non !
L'Ondine eut le sourire le plus sadique du monde, à tel point que Machanaël eut l'impression de voir l'incarnation féminine du Malin, avant de se jeter sur lui en le serrant dans ses petits bras.
L'ange déchu lâcha un long cri strident, qui crevait les tympans avec une violence sans précédent et qui résonna longuement dans l'immensité de cette forêt habituellement silencieuse.

Quand Spica le lâcha, plus par pitié pour son ami que pour ses oreilles, il se calma.
-Ne refais jamais ça ! lui dit Machanaël, avec quelques gouttes de sueur perlant sur son large front.
-Tu utilises la meilleure technique du monde pour que j'aie envie de recommencer encore et encore...lui confia Spica avec un petit sourire en coin. C'était très amusant !
-Parle pour toi, lui dit l'ange en se reculant discrètement. Je suis haptophobe, je te rappelle !
Spica lui jeta un regard blasé.
-Je dirais plutôt que tu n'aimes pas les contacts physiques et que tu ne les supportes pas beaucoup mais pas que tu n'as pas une réelle crainte. Ai-je tort ?
Machanaël céda avec un petit soupir de vaincu :
-J'exagère peut-être un petit peu. Mais je n'aime pas que l'on me touche et donc encore moins les câlins !
Spica eut un rire cristallin et dit :
-Je sais, j'avais deviné !
Puis elle ajouta avec un clin d'œil :
-Au vu de ta réaction, on peut difficilement se tromper !

Le Séraphin déchu détourna le regard mais demanda :
-Et mon cri ? Ne t'a-t-il pas rendue totalement sourde ?
-Non, fit Spica, amusée, avec un sourire enfantin aux lèvres. Mais c'était un cri digne d'une Banshee !
-Un Banhee, plutôt, rectifia Machanaël en se tournant à nouveau vers Spica. Je ne suis pas une femme...
L'Ondine lui adressa un sourire complice.
-Je sais, mais ça sonne mieux !

Avec de grands gestes amples, Spica mima quelque chose de théâtral avant de dire :
-Le cri de la Banshee...Ça sonne bien, non ? On dirait le nom d'une attaque ou le titre d'un roman !
Machanaël se mit à rire.
-Oui. Je devrais commencer à écrire un roman dans ce genre. Découvrez l'univers fascinant des hurlements qui annoncent la mort et qui vous percent les tympans en même temps...
-Ça ferait un résumé génial ! rit à son tour Spica.
-Ce n'est même pas un vrai cri, fit Machanaël avec un petit sourire accompagné d'un soupir. Je n'expulse aucun air, j'en aspire. Ce n'est pas un cri à proprement parler.
-Ça sonne quand même mieux ! dit Spica, têtue.
Les deux amis se mirent alors à parler de ce roman fictif en imaginant toute une histoire avec une Banshee qui annonçait la mort comme toutes les autres, mais qui en avait marre de ces ingrats d'humains qui ne l'écoutaient plus, ou pire, ne l'entendaient même plus car ils ne croyaient plus en ces mythes ridicules.
Les deux jeunes gens passèrent leur après-midi à rire et à plaisanter.
Cela n'était pas arrivé à Spica depuis une éternité de se laisser autant aller.
Même devant ses meilleurs amis Ondins, les princes Arcturus et Altaïr, elle se tenait quand même un peu en laisse.

L'Ondine surdouée finit par s'effondrer de rire sur l'épaule de Machanaël. Celui-ci eut un petit frisson quand elle posa sa tête sur son bras mais il ne refusa pas le contact comme d'ordinaire.
Il s'habituait peu à peu à cette proximité qui le liait de plus en plus à son amie. De plus, cette dernière, qui avait toujours été rejetée de tous, ne demandait qu'un peu d'affection.
Il hésita avant de se lancer.

L'ange posa alors doucement sa main sur l'épaule de l'Ondine avant de la retirer, avec une vitesse lente mais assez rapidement au niveau de la durée de temps.
Spica le fixa avec des yeux interrogateurs.
Le Séraphin se déroba à son regard mais lui adressa quelques mots :
-Ceci m'a demandé un excellent self-contrôle...
L'Ondine lui sourit gentiment.
-Ça me va ! dit-elle.

Hélas, vers la fin de l'après-midi, Spica vit ses heures de travail se terminer et dut donc saluer Machanaël avant de rentrer à Ondia.
L'ange lui fit un signe de la main puis elle disparut dans sa source, emportée par le courant du Portail Aquatique.
Il se demandait ce qu'il lui arriverait s'il décidait d'emprunter ce passage vers le royaume des Ondins. Et quelle tête feraient ses habitants s'il débarquait sans crier gare, et surtout celle de Spica.

Machanaël, que le sommeil commençait à prendre d'assaut, alla se percher sur une branche assez épaisse pour supporter son poids, camouflé dans le feuillage dense et se balançant au vent d'un arbre.
Il allait enfin s'endormir quand il entendit une brindille craquer sur le sol.
Quelqu'un approchait. Il s'enroula instinctivement dans ses ailes noires pour se faire plus discret. Dans l'obscurité ambiante du soir, il passerait normalement inaperçu.
Cependant, il regarda au pied de l'arbre.
Trois hommes inspectaient la zone près de la source de Spica.
Mais ce n'était pas vraiment des hommes...

C'étaient des anges.
Trois anges aux grandes ailes immaculées. Machanaël les examina de là où il était. Il y avait là deux Puissances et un Chérubin, cela se voyait au nombre des ailes et à quelques autres caractéristiques physiques.
Et Machanaël n'était pas n'importe quel ange non plus, il savait encore différencier les différents statuts des anges entre eux.
Il prêta oreille à leurs conversations.

-Voici la source d'une Ondine.
-Comment le sais-tu ?
-On dirait que tu n'as rien révisé. On sent les restes d'énergie vitale d'humains dans l'air. Cela signifie qu'une Ondine prend ses repas ici tous les jours ou presque.
-Allons, vous deux, nous ne sommes pas ici pour discuter d'Ondines, intervint le troisième ange, en l'occurence le Chérubin.
-Je sais, fit une des Puissance.
C'est avec un regard dur que le Chérubin déclara :
-Nous devons trouver le Fidèle Déchu ! Il est hors de question de le laisser se balader dans la nature.
-Mais pourquoi ? N'est-il pas mieux là où il est s'il ne dérange pas les anges ?
Le Chérubin foudroya son subordonné du regard avant de dire sur le ton de l'évidence :
-Nous ne pouvons nous le permettre ! Il est inscrit dans nos lois que tout ange déchu doit devenir un démon et rejoindre, si telle est sa volonté, leur peuple. Le Fidèle Déchu ne va jamais le devenir si cette situation critique demeure ! C'est pour cela que nous sommes ici en ce moment même !
-Mais quel est le réel nom du Fidèle Déchu ? D'où vient ce surnom ?
Le Chérubin soupira et dit :
-Si tu n'étais pas une nouvelle Puissance, je crois que je t'aurais déjà fait renvoyer !

Puis, avec un air grave, il ajouta :
-Le nom du Fidèle Déchu est Machanaël, un ancien Séraphin, un rebelle qui est donc devenu un ange déchu.
-Nous...Nous recherchons un Séraphin ? fit une des Puissances, atterré par cette brusque nouvelle.
-Oui, confirma le Chérubin d'un mouvement de la tête. Si maintenant on le surnomme le Fidèle Déchu, c'est parce qu'il était un de Ses plus fidèles, un de Ses plus proches. Mais cet ange a décidé de s'en aller. En emportant quelque chose dans sa chute qu'il ne devrait même jamais avoir touché !

Du haut de son arbre, Machanaël entendait tout de leur discussion. Un sourire presque démoniaque vint allonger ses lèvres de chaque côté. Il songea avec un certain amusement :
-Allons bon...Le Fidèle Déchu, quel manque d'originalité...Ils auraient pu trouver quelque chose de plus recherché.
Après encore quelques dialogues, le Chérubin mit un terme à la conversation qui commençait à s'échauffer :
-À présent, nous devons passer au peigne fin le monde des humains tout entier afin de le retrouver. De l'endroit où il a décidé de chuter ce jour-là, il a pu atterrir n'importe où. Nous devons continuer les recherches jusqu'à le trouver et ramener chez nous ce qu'il a dérobé.
-Mais qu'a-t-il volé de si important ? demanda toujours cette même Puissance, ignorante à souhait.

Le Chérubin ouvrit ses ailes et déclara avec une expression grave et un regard sombre avant de prendre son envol :
-L'Esprit Divin Angélique...

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