Chapitre 2 : De complices relations compliquées

Spica se réveilla en sursaut.
Elle avait fait un rêve étrange où elle avait vu quelque chose brûler, au milieu du ciel. Tout ceci n'était qu'un rêve, elle n'y prêta pas une attention particulière.

C'était son jour de congé. Elle n'avait pas spécialement envie de lire alors elle s'habilla un peu plus chaudement que d'habitude, sans son habit de travail, le drap blanc.
Elle enfila une petite robe bleu foncé qui descendait jusqu'à ses genoux et dont la partie supérieure formait un bustier sur sa poitrine, bordé de fines dentelles blanches et travaillées. Elle noua également une petite ceinture en tissu noir autour de sa taille de guêpe.
L'Ondine regarda le résultat dans le miroir. Elle était présentable et correctement habillée. Enfin, elle était très élégante mais pour l'endroit où elle allait, il y avait un minimum de convenabilité à respecter. Mais un minimum relativement conséquent...

En tant qu'Ondine privilégiée, sa maison se situait en hauteur, à la cime d'un arbre, et presque voisine du palais royal d'Ondia.
Et c'est là-bas qu'elle se rendait.
Elle voyait régulièrement les princes, Arcturus et Altaïr. Tous trois avaient grandi ensemble et ils adoraient, encore à leur âge respectable, partager des moments de complicité et de rire. Spica, en tant qu'enfant unique, aimait énormément passer du temps avec eux et échanger des passages de sa vie et des souvenirs géniaux. Elle les considérait vraiment comme les frères qu'elle n'avait jamais eus et pour les deux princes, ce sentiment était totalement réciproque, bien qu'ils aient déjà eux-mêmes chacun un frère.
Spica arriva devant l'entrée principale du palais. Les deux Ondins, deux colosses robustes coincés dans des armures qui paraissaient trop petites sous leur énorme masse de muscles, qui gardaient l'entrée ne soufflèrent mot quand la jeune femme passa devant eux sans rien dire. Ils avaient maintenant l'habitude que cette fille du peuple entre et sorte dans le palais à sa guise comme dans un moulin.
Spica traversa le sublime jardin du palais. Des hauts arbres, ressemblant aux palmiers chez les humains, donnaient de gros fruits rouges et lisses en abondance et les buissons bas, dont les feuilles avaient été taillées à la perfection, étaient parsemés de petits fruits bleutés dont on aurait pu vanter la ressemblance avec des myrtilles. De longues allées bordées de fleurs de toutes les couleurs et de toutes les formes traversaient l'immense jardin qui ressemblait à un parc naturel. Des cours d'eau tranquilles avaient été aménagés afin que les Ondins de la famille royale ne se sentent jamais en manque et Spica adorait y tremper ses pieds, tant l'eau fraîche lui faisait du bien.
L'eau était tout de même l'élément naturel des Ondins !

Elle passa ensuite devant ce qu'on appelait un cabanon de jardin dans les maisons classiques mais qui avait la taille de l'une d'elles. Elle aimait beaucoup les frises de couleurs peintes sur le haut des murs extérieurs de cette bâtisse. La jeune femme tourna ensuite quelques fois à gauche puis à droite. Ayant passé son enfance à jouer dans ce jardin, elle le connaissait comme sa poche alors que n'importe qui dans le peuple des Ondins se serait déjà perdu il y a bien longtemps, en suivant les allées de gravier ou non. Puis elle arriva dans un petit coin un peu perdu et assez touffu à cause des feuilles grises sur les branches basses d'un arbre à proximité. Un boutan argenté, pensa-t-elle en reconnaissant les nervures du tronc d'un brun assez clair et la couleur si particulière des feuilles dotées de très peu de chlorophylle, tout en songeant à ses nombreux cours de biologie et de zoologie. Elle arriva en souriant à l'avance sous l'abri naturel que formaient les feuilles du boutan.

-Spica, te voilà enfin !
C'était la voix d'Altaïr. Le plus jeune des deux princes sourit à sa plus vieille amie qui lui rendit son sourire avec douceur. Les cheveux châtains de l'Ondin devenaient plus foncés à l'ombre des feuilles du boutan, ce qui amusait Spica chaque fois qu'ils venaient là.
Ici, c'était leur coin personnel. Personne ne les avait jamais trouvés là quand ils décidaient de s'échapper d'un cours pour faire une courte pause improvisée. Depuis tout petits, ils venaient se promener dans ce jardin pour échanger des moments d'amusement, de joie et de complicité. Le jardin royal débordait de joyeux souvenirs pour Spica et elle n'aurait perdu cela pour rien au monde. Les deux frères non plus, d'ailleurs.

-Nous désespérions de te voir arriver ! avoua Arcturus, l'aîné, en posant ses yeux couleur émeraude sur le doux visage de Spica.
Cette dernière eut un sourire amusé et répondit :
-Je n'ai qu'une ou deux minutes de retard, pas de quoi en faire un drame !
-Nous pourrions, je te rappelle que nous sommes les princes et les futurs héritiers du trône d'Ondia ! fit Altaïr, avec une mine orgueilleuse et une fierté sans égal.
-Arrête un peu de jouer cette stupide comédie, lui dit son grand frère, plus mature mais beaucoup moins social. Spica est comme notre petite sœur, il nous serait impossible de lui infliger le moindre châtiment même si elle enfreignait une loi.
-Elle ne va enfreindre aucune loi ! renchérit le cadet avec un air de défi. C'est parce que c'est Spica que cela n'arrivera jamais ! C'est aussi pour cette simple raison que je l'avais choisie pour épouse quand nous étions enfants.
-Altaïr, ne ressors pas cette vieille histoire, s'il te plaît ! C'est extrêmement gênant ! lâcha Spica ne sachant jamais comment réagir quand le prince parlait de ce sujet qui datait mais toujours sensible. De plus, je ne cherche pas particulièrement l'amour.
La jeune Ondine laissa quelques secondes de silence avant d'ajouter :
-Disons plutôt que j'attends qu'il me trouve...

Un silence plana sur le trio un moment après sa déclaration avant qu'Altaïr décide de le briser :
-Mais c'est que mademoiselle est devenue romantique ?
-Non ! fit Spica avec vigueur. C'est toi qui cherche absolument une épouse digne de ce nom parmi toutes les Ondines du royaume !
-Je ne le nie pas, moi au moins ! lui dit Altaïr en croisant les bras, lui jetant un regard moqueur et provocateur à la fois, sa frange de cheveux bruns devant ses yeux d'un bleu perçant. Il n'y a qu'une Ondine qui mériterait d'être ma femme mais elle ne veut pas avoir une relation de plus avec la famille royale !
-On ne s'étonne pas quand on se demande pourquoi, commenta Arcturus avec un sourire amusé. Ayant passé son enfance et son adolescence à te supporter, je comprends qu'elle en ait marre ! Mon bonheur de la voir venir dans notre jardin n'a d'égal que ma surprise de la voir revenir encore et encore, semaine après semaine. Et je suis encore plus impressionné de constater qu'elle te supporte encore après tant d'années. Si tu n'étais pas mon frère de sang, je t'aurais déjà étranglé jusqu'à te faire mourir.
Spica adorait comme Arcturus, stoïque, prononçait ce genre de paroles meurtrières sans ciller, limite en souriant comme s'il disait que le temps était radieux aujourd'hui. Elle eut un sourire amusé et un peu narquois avant de dire :
-Mais ce n'est pas l'envie qui manque, Arcturus, n'est-ce pas ? Pour toi comme pour moi !
-C'est pas gentil ! se plaignit Altaïr, interrompant l'échange ironique des deux amis.
-Parce que tu crois que tu es toujours gentil ? lui répondirent Arcturus et Spica en chœur avant de se regarder et rire de leur synchronisation parfaite.

Après un long moment, à peu près tout l'après-midi, passé à discuter, rire, plaisanter et se lancer des remarques provocantes, des vannes insensées et des blagues nulles, Spica rentrait finalement chez elle. Elle aimait bien faire un petit tour dans le royaume avant, seule, comme toujours, tout en pensant à sa journée et à sa vie. Elle ne se considérait pas particulièrement comme une Ondine chanceuse mais elle ne pouvait pas nier qu'elle avait eu une aubaine incroyable d'avoir pu profiter de l'éducation princière à laquelle seuls les membres de la famille royale avaient droit. Et par-dessus le marché, elle était restée amie avec eux comme si aucun titre, aucun rang hiérarchique ne les séparait.

Elle réalisait son petit tour quand elle tomba nez à nez, comme par hasard, avec Ada et ses deux mijaurées qui la suivaient partout comme deux petits chiens.
-Spica, j'ai à te parler !
La jeune Ondine retint un grognement inélégant au fond de sa gorge et répondit avec un sourire forcé et peu naturel qu'elle ne tentait pas de cacher :
-Oui ?
-Tu étais encore avec les princes cet après-midi ?
-Pourquoi ? Tu nous espionnes ? Cela risque de ne pas leur plaire...
-Cela ne te regarde pas ! Oui ou non ?
-Je te retourne la remarque. Cela ne te regarde en rien, ce que je fais de mes journées et avec qui je les passe. Si je te dis que oui, tu vas t'énerver et m'insulter et si je te dis que non, tu seras contente et tu me laisseras m'en aller en pensant que tu as réussi ta vie tout entière. Je crois que, à choisir, je n'ai pas besoin de réfléchir à quelle option je dois prendre.
-Ne me fais pas de beaux discours, Spica ! Chaque semaine, c'est pareil ! Tu vas les voir comme s'ils étaient des simples fréquentations et cela, personne parmi les Ondins, et particulièrement les Ondines, ne peut le supporter ! Tu te crois tout permis parce que tu as eu les mêmes cours qu'eux quand vous étiez petits ?
-Peut-être aiment-ils me fréquenter parce que moi, contrairement à d'autres, je suis polie et agréable.
-C'est ça, vante-toi ! Tu crois que je suis dupe ?
-Dupe à propos de quoi ? Je n'essaie pas de te tromper ni de rabaisser quiconque, par rapport à toi pour qui c'est la principale raison de vivre.

Milde et Cabille restaient silencieuses. Elles se taisaient toujours quand une bataille verbale commençait entre Ada et Spica. L'une ne faisait que se défendre contre les incessantes offenses et les affronts répétés de l'autre, mais par contre, elle ne mâchait pas ses mots non plus quand il s'agissait de répondre à ses répliques cinglantes. L'Ondine prodige n'aimait pas dire des méchancetés mais elle ne survivrait pas à la confrontation contre Ada si elle n'essayait que de calmer le jeu, elle l'avait appris à ses dépends depuis son enfance.

-Va te faire pendre ! hurla Ada comme attaque finale avant de tourner les talons de colère, ses cheveux d'un blond crème dans le vent.
-Ne me donne pas d'ordres, je ne sers personne ! Tu n'imposes pas assez le respect pour que quiconque veuille bien un jour se mettre à ton service !
-Fais attention ! s'égosilla l'Ondine de loin, avec les deux autres sur ses traces. Dans deux jours seulement ! Dans deux jours, je serai une Polyvalente comme toi et je bénéficierai également de tous les privilèges de ce métier-là ! Fais attention à toi !

Spica la laissa s'éloigner puis disparaître au coin d'une rue avec les deux autres avant de soupirer et de dire à voix basse :
-Tu crois vraiment que je devrais avoir peur de toi ? De plus, il n'y a pas spécialement beaucoup de privilèges dans la profession rarissime de Polyvalente. Tu te fais simplement des idées et j'espère pour toi que tu prendras bien le temps de lire toutes les obligations que tu auras quand tu accèderas à ce titre, ou tu le regretteras amèrement.

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