Chapitre 18 : Un pas dans le cheminement
Spica sentait une petite angoisse grandir alors qu'elle était la veille de son échange de source avec Altaïr.
Probablement car elle devrait accomplir quelque chose seule.
Elle avait toujours agi et vécu seule mais depuis sa rencontre avec Machanaël, c'est comme si le simple fait de se retrouver sans personne ravivait en elle des souvenirs désagréables et lui donnait l'impression d'être inutile ou incapable, et cela paraissait dément de penser cela d'elle-même, elle, une Ondine qui avait toujours tout réalisé dans la solitude, rejetée de tous.
Le matin, quand elle se réveilla, il lui manquait quelques heures de sommeil, perdues à cause de son stress, croissant au fil des heures qui défilaient à toute allure.
L'Ondine avait prévenu Machanaël la veille au soir que lors de cette journée, il y avait très exceptionnellement eu un échange de source et qu'Altaïr, un des princes, allait venir à sa place.
Machanaël avait choisi l'option de rester caché.
S'il devait révéler son existence au peuple des Ondins, ça n'allait certainement pas être de cette manière !
Avant de sortir de chez elle, Spica, vêtue d'une robe confortable et non pas de son traditionnel drap blanc, ajouta un collier avec un pendentif aux jolies courbes, avec une petite pierre polie magnifique, mêlant bleu roi et rouge vif comme deux fumées de couleurs figées dans le temps se rencontrant.
Elle le serra dans sa main tendue par la nervosité avant de passer le seuil de sa maison.
L'Ondine trouva la porte camouflée de la source personnelle d'Altaïr, entre les branches de l'arbre se balançant avec le vent frais du matin, puis poussa doucement sur le bois, comme si elle était en train d'entrer là par effraction.
Une goutte de sueur perla à son front. Elle était très stressée et appréhensive, craignant la tournure que les choses pouvaient prendre si elle ne parvenait pas à faire ce qu'elle devait.
Vu ce qu'il l'attendait, il y avait de quoi être nerveuse et angoissée...
Une fois dans la source d'Altaïr, elle fut aspirée, comme quand elle empruntait le Portail Aquatique, puis après avoir traversé de magnifiques décors de fonds marins peuplés d'animaux en tous genres, que cette fois, elle ne connaissait pas, la jeune femme refit surface dans une eau qui lui était inconnue.
Elle observa le décor tout autour d'elle avec un intérêt et un esprit analytiques.
L'Ondine se trouvait dans une forêt de hauts arbres qui laissaient passer entre leurs grandes feuilles vertes la lumière matinale d'un astre lumineux se levant, habituel du monde des humains.
Ces bois étaient épurés et inondés de luminosité par rapport aux siens.
Le vent faisait bouger les branches doucement, faisant bruisser les fines feuilles et trembler les bourgeons naissants.
Spica prit une grande inspiration pour se motiver un maximum.
Elle sortit de la source avec une aisance et une agilité de félidé.
Elle n'était là pour faire ni du tourisme ni une sieste !
La jeune Ondine commença à marcher dans la forêt, s'enfonçant dans les profondeurs des bois, au risque de se perdre et de finir errante comme un esprit égaré.
Mais elle avançait droit devant elle, avec courage et détermination dans le regard.
Plus elle avançait, moins il y avait de lumière qui arrivait à passer entre les branchages serrées des hauts arbres et plus la forêt se faisait sombre et angoissante.
De la mousse jonchait le sol, recouvrant terre et cailloux dans leur quasi totalité, accompagnée de champignons et de feuilles mortes dans de beaux tons bruns et dorés.
Des ronces s'invitèrent sur la liste des privilégiés entravant le plus possible la progression de Spica, lui éraflant bras et jambes, juste après la boue humide sur laquelle elle devait marcher pour pouvoir avancer dans cette forêt qui rendrait n'importe qui presque mal à l'aise tant elle était obscure et inquiétante.
Spica, elle, n'y prêtait pas une grande attention. Trop nerveuse et appréhensive pour observer son environnement, elle marchait droit devant elle sans faillir un seul instant.
La jeune Ondine ne voyait rien autour d'elle. Elle était concentrée sur son objectif, elle savait où elle allait, comme si elle était guidée par une voix dans sa tête.
Mais en réalité, elle avait juste appris son itinéraire par cœur. Elle n'avait pas besoin de s'encombrer d'une carte matérielle, faite de papier, ou de parchemin, elle avait tout en tête !
Le vert du décor végétal engloutissait avec un appétit vorace et vertigineux le noir de la robe de Spica.
Ses pieds nus qui foulaient le sol forestier terreux se salissaient à vue d'œil et les petits éclats de roches qui se trouvaient camouflés entre les feuilles mortes jonchant le sol blessaient peu à peu le dur épiderme de la plante des pieds de l'Ondine.
Elle avançait avec toujours plus de précautions, essayant d'abîmer le moins possible cette nature magnifiquement dense et merveilleusement bien conservée des méfaits des humains.
Du lierre envahissant grimpait le long de plusieurs troncs bruns, tellement serrés les uns contre les autres que la plante arrivait à passer de l'un à l'autre sans aucune peine, et parfois, on pouvait apercevoir une petite grappe de fruits rouges briller au sommet d'un petit buisson ou d'un arbuste, aussitôt gobés par un petit oiseau qui passait par là par hasard, saisissant son coup de chance le bec grand ouvert.
Bientôt, entre deux épines des branches de ronces, Spica vit ce qu'elle cherchait. Depuis presque une heure de marche entre des arbres de plus en plus serrés les uns contre les autres, elle l'avait enfin trouvé !
Elle s'extirpa des dernières ronces qui retenaient sa robe et ses longs cheveux, qui n'étaient étonnement pas du tout endommagés par les épines, probablement grâce à leur nature d'Ondine, puis se redressa de toute sa hauteur.
Elle se trouvait à l'orée d'une clairière improvisée et observa alors ce qui se trouvait devant elle...
Un temple immense, dont le sommet était aussi élevé que la cime des arbres l'entourant, se dressait dans toute sa splendeur, sous la lumière du jour filtrée à travers les feuilles des arbres, vertes de chlorophylle avec leurs nervures irrégulières et apparentes, imposant avec un certain impact sa silhouette large et impressionnante.
L'édifice ressemblait à une pyramide un peu grossière avec toute une partie sur le devant ouverte sur l'extérieur.
Dans ce coin légèrement abrité, il y avait la statue d'une femme couronnée aux cheveux bouclés, coupés courts avec des ailes dans le dos. Sans doute la représentation d'un ange.
Elle portait le même type de tunique immaculée que possédait Machanaël et chaussait aussi des sandales de cuir. Son regard était vide, fixé sur un point imaginaire dans le ciel clair et bleu et taillé dans une roche blanche qui donnait encore plus de pureté au personnage déjà innocent à souhait. Elle tendait un bras vers le ciel d'un geste empli de grâce, les doigts détendus.
Devant elle, il y avait une grande coupe applatie de couleur cuivrée lévitant dans les airs, nullement soutenue ni suspendue, dans laquelle brûlait vivement une grande flamme bleue qui fascinait le sens de la vue de tous ceux qui la voyaient.
C'est à cet endroit précis que Spica devait se rendre.
Une fois devant ce feu, la jeune femme déglutit. Elle n'avait jamais fait une telle chose et ce serait sans doute la dernière fois.
La statue de l'ange soudain bougea.
Son aspect rugueux de pierre sembla d'un coup un peu plus vivant, comme un épiderme très pâle, extrêmement blanc.
-Bienvenue. Donne-moi ton nom et la raison pour laquelle tu es venue me voir.
C'était une voix machinale, presque robotique, qui prononçait cette phrase à chaque visiteur venant ici, qui devaient être globalement assez rares.
Si ce temple était autant isolé dans une forêt aussi reculée et aussi sombre, ce n'était pas sans raison !
L'Ondine déglutit.
Elle savait que dans ce monde, plus rien ne devait la surprendre mais elle n'avait encore jamais discuté avec une statue douée de vie ou du moins, d'une conscience propre, car la pierre immaculée et qui semblait recouverte de poudre, qui composait cette statue d'ange ne paraissait pas réellement vivre.
-Je me nomme Spica et suis une des quatre Polyvalentes du peuple des Ondins. Si je me trouve ici aujourd'hui, c'est pour sauver un ami qui est très cher à mon cœur.
-Bien. Une demande autant dénuée d'égoïsme et d'intérêt propre est rare, de nos jours. J'écoute ta requête.
Spica ne savait pas si elle rêvait ou si son esprit s'amusait à inventer des choses, mais la voix de cette statue d'ange lui avait paru soudainement plus intéressée que tout à l'heure et moins froide que lors de leur premier échange oral.
-Mon ami est un ange déchu, un ancien Séraphin pour être plus précise. Il ne veut pas devenir un démon comme il est censé le devenir. Pour contrer cet transformation normalement automatique, il a donc volé un artefact contenant une partie de l'âme de son ancien chef, si je puis dire ainsi, et c'est cela qui bloque sa métamorphose en démon.
La statue hocha la tête avec un bruit semblable à celui de deux pierres frottant l'une sur l'autre, avant de demander :
-Et donc ? Quel est ton rôle dans cet histoire ?
Spica fixait la statue droit dans ses yeux vides, dénués de pupille et d'iris. Étrangement, cela lui paraissait normal et elle n'était nullement perturbée par ces yeux atypiques.
Elle avait un peu le même genre mais dans la couleur opposée, quand elle se mettait sous sa forme d'Ondine maîtrisant l'eau.
-À cause de ce vol, mon ami est pris en chasse par les autres anges qui veulent sa peau comme sa mort. Une fois que j'étais seule, j'ai promis à un groupe d'anges sur lequel je suis tombée par hasard de trouver le moyen de lui faire rendre cet artefact en échange de quoi ils le laisseront tranquille pour le reste de sa vie.
Spica prit une grande inspiration et déglutit avant de terminer toute son explication :
-Phatiel, un des anges, m'a expliqué comment réaliser le seul moyen d'empêcher cette transformation en démon. C'est pour cette unique raison que je suis ici en ce moment !
La statue hocha à nouveau la tête avec un bruit infernal.
-Quel belle histoire, Ondine. Ton objectif est pur de tout égoïsme et je consens à bien vouloir t'accorder ceci.
Puis avec un air un peu sarcastique, la statute de l'ange sourit et dit :
-Surtout que dans cette histoire, c'est ton ami, le plus chanceux !
Puis après cette remarque qui démontrait l'égarement de la statue angélique, cette dernière demanda :
-As-tu toi-même un objet ou quelque chose dans le même genre avec toi ?
Spica retira alors son collier et le laissa pendre entre son poing serré, ses doigts refermés sur le lacet, puis le montra à la statue, bras tendu devant elle, de la détermination dans le regard.
-Est-ce que ceci suffira ?
La statue inspecta le collier et le pendentif et lâcha, amusée :
-Quel sens de l'esthétique...Oui, cela va très bien.
La statue se redressa alors de toute sa hauteur, qui faisait bien deux fois celle de Spica, et étendit ses ailes de pierre blanche. Les deux mains rocheuses se réunirent plus ou moins sous la coupe cuivrée du milieu de ce temps, mais sans la toucher.
-Mets donc cet objet dans cette coupe brûlante. Je peux opérer aussi longtemps quand ton artefact se trouvera dans ce brasier.
Spica hocha la tête, compréhensive, pusi s'exécuta avec une légère appréhension irrépressible.
-Bien. Maintenant, détends-toi au maximum, ferme les yeux et pense fort à ton ami...
L'Ondine effectua les ordres formulés poliment par la statue.
Elle savait qu'elle faisait tout cela pour Machanaël, et personne d'autre.
Aucune autre raison ne motivait ses actions actuelles.
Elle voulait avant tout la sécurité de son meilleur ami mais aussi son bonheur. S'il avait été capable d'être heureux un tant soit peu en sa compagnie, il le pouvait aussi avec plein d'autres personnes.
Il ne savait juste pas bien s'y prendre. Un Séraphin déchu et asocial, Spica ne put retenir un petit sourire en coin.
C'était ironique comme situation...
De son côté, elle avait passé tant de bons moments à ses côtés et presque autant de temps à rire en sa compagnie. Il était doté d'un humour férocement drôle, sarcastique et attachant !
Elle était prête à tout pour préserver sa vie et son bonheur.
Spica sentit alors son esprit s'embrumer.
La statue avait donc commencé le processus, son âme s'effaçait peu à peu.
Pour Machanaël, elle allait sacrifier et perdre sa propre âme pour l'empêcher de devenir un démon...
Son pendentif remplacerait l'Esprit Divin Angélique...
Elle se sentait partir...
Elle affrontait enfin la mort en face...
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