Chapitre 15 : Discrètes recherches
Bien que Spica ne veuille pas le laisser paraître devant son ami, le récit que lui avait fait Machanaël l'avait profondément atteinte, voire même touchée.
Elle était très inquiète aussi pour son jour de congé, c'est-à-dire aujourd'hui. Elle avait été voir ses amis les princes le matin puis l'ange dans l'après-midi.
C'était le soir et elle était maintenant rentrée à Ondia mais Machanaël ne quittait pas ses pensées ne serait-ce qu'une seule seconde.
Les combats contre les armées des anges lui demandaient trop de forces, il se fatiguait à vue d'œil. Son corps prenait déjà une très grande partie de son énergie vitale pour régénérer et guérir ses plaies, aussi superficielles soient-elles.
Il ne pouvait pas se permettre de s'épuiser plus que cela.
Alors Spica n'osait pas laisser le Séraphin seul trop longtemps.
Rien qu'une nuit était déjà d'après elle foncièrement beaucoup trop long !
Elle se refusait d'être absente lors de la prochaine offense contre Machanaël.
Elle s'en voudrait à mort s'il arrivait quoi que ce soit à son ami l'ange.
Et depuis peu, elle avait entrepris de faire des recherches appronfondies sur le sujet qui la tenait actuellement à cœur.
Pousser Machanaël à rendre l'Esprit Divin Angélique aux anges pour qu'ils cessent de le poursuivre et de l'attaquer, bien que des représailles soient fortement probables au vu de ses actes plus que condamnables comme les meurtres de plusieurs anges, et empêcher sa transformation en démon d'une quelque façon que ce soit.
C'est pour cela qu'elle passait le reste de son temps libre à la bibliothèque, prenant tous les livres intéressants chez elle et feuilletant n'importe quel ouvrage susceptible de contenir une information utile.
Brechü était d'ailleurs surpris avec quel archarnement elle menait sa petite enquête sur quelque chose dont il ne savait rien.
Cela faisait depuis le soir d'avant, quand Spica était rentrée avec un air bouleversé, qu'elle se donnait autant dans ses recherches.
Ce soir comme la veille, aucun résultat, rien !
Absolument rien !
Spica avait beau chercher tout et partout où elle pouvait, elle ne trouvait absolument rien !
Si cette situation continuait et perdurait, elle allait finir par déprimer. Et elle était en bonne voie, actuellement...
Elle tapa son front sur la table avec rage quand elle laissa son crâne basculer en avant sans aucune force de rétention.
Il y avait vraiment peu d'ouvrages sur les anges dans leur bibliothèque d'Ondins et elle avait même fouillé de fond en comble la partie réservée uniquement aux membres de la famille royale, aux Polyvalentes et aux Charmeuses Gradées, mais elle n'y avait pas trouvé grand-chose de plus...
Spica serait bien allée demander à Drof s'il savait quelque chose, car au vu de son grand âge, il devait savoir bien des choses, mais cela risquait d'éveiller ses soupçons.
Il était très vieux mais pas encore complètement sénile.
L'Ondine avait aussi songé aux princes et même au couple royal, avec qui elle s'entendait plutôt bien, mais elle avait laissé tomber aussi pour les mêmes raisons qui l'empêchaient d'aborder le sujet avec Drof. De plus, ils lui poseraient sûrement trop de questions et elle se sentirait obligée d'avouer.
Elle aurait pu demander à Machanaël s'il avait été d'accord qu'elle révèle sa présence à son peuple mais le problème se situait dans le fait qu'elle ne voulait pas dire tout de suite à Machanaël qu'elle cherchait une solution à sa situation.
Ce matin, elle se réveilla comme d'habitude mais dans un endroit inhabituel.
-Spica, ça va ?
-Brechü ? Mais...Où suis-je ?
-Tu as dû t'endormir hier soir parmi tes bouquins, regarde. Tu étais en pleines recherches.
Spica vit tous les manuscrits et tous les épais volumes qu'elle avait sortis de leur étagère pour les analyser. Elle soupira.
-Pardon. Je vais les ranger.
Pendant qu'elle s'exécutait, Brechü lui demanda d'un ton innocent :
-Mais que recherches-tu donc aussi assidûment ?
Spica ne répondit rien avant de se dire que cela ne ferait qu'agrandir les soupçons qu'il avait probablement déjà.
-Je fais des recherches sur les anges parce qu'en fait, j'ai découvert que cela m'intéresse beaucoup.
Bien qu'elle soit douée pour mentir, Spica n'aimait pas le faire mais en revanche, elle excellait dans le détournement de l'exacte vérité.
Elle n'avait pas menti.
Enfin, pas vraiment...
Spica quitta la bibliothèque avec rapidité. Elle devait, comme toutes les Ondines, aller travailler et elle avait pris un peu de retard avec son somme improvisé à la bibliothèque et le rangement des ouvrages.
Sur sa route, elle croisa, devinez qui ?
-Spica, tu t'es endormie à la bibliothèque ? Sur d'horribles vieux parchemins nauséabonds et couverts de poussière ? Quelle honte !
L'Ondine tourna sa tête tellement fort vers son interlocutrice qui arrivait en se dandinant dans une robe moulante surmontée de son drap blanc, que ses cheveux fouttèrent l'air avec un bruit sifflant.
-Ada, ne me cherche pas, ou sinon, tu vas violemment me trouver !
-Ça va, ne sois pas si agressive, fit Ada avec une moue de dégoût en jetant un coup d'œil à Milde, qui la suivait sans rien dire.
-Ces derniers temps, je suis à fleur de peau alors ne viens pas me chercher encore plus de noises ! fit Spica avec hargne. Et tu ferais bien de surveiller tes paroles, tu n'es plus tout à fait au même rang que moi ! Encore heureux pour toi que tu aies évité la torture physique...
Ada la toisa avec un regard noir.
-J'aurais préféré, pour redescendre à Charmeuse Gradée que juste Charmeuse. Quelle humiliation !
Spica la demanda, en n'oubliant pas de mentionner un petit détail qu'elle venait de remarquer dans son dialogue :
-Et pourquoi ne pas te faire torturer au maximum pour garder ton rang de Polyvalente ? Ce serait un tel prestige de faire à nouveau partie des Polyvalentes ! Tu n'es pas plus ambitieuse que ça, en voulant seulement le rang de Charmeuse Gradée ?
-J'ai réfléchi...commença Ada.
-Tu en es encore capable avec ton cerveau ramolli par toutes ces couches de fond de teint ? lui fit Spica avec un air qui semblait vraiment étonnée.
-Très drôle, fit Ada en faisant un bruit agacé avec ses dents. Je trouve que Charmeuse et Charmeuse Gradée, c'est bien mieux. Tout compte fait, les Polyvalentes ne sont que des bonnes à tout faire sans aucun privilège à tirer.
Spica la regarda avec un sourire à la limite de la psychopathe :
-Bonnes à tout faire, fais-toi plaisir maintenant que tu n'en fais plus partie ! Au moins, nous, nous savons, comme tu l'as dit, tout faire ! Toi, tu n'as pas été considérée comme assez compétente pour rester parmi nous, tu ne sais pas tout faire !
C'est sur ces paroles agacées que Spica rejoignit le Portail Aquatique.
Elle avait fait des recherches dessus également. Les êtres vivants pouvaient passer, avec de préférence, une autorisation mais Machanaël devrait retenir sa respiration pendant deux minutes environ.
Évidemment, il n'avait pas de forme aquatique comme les Ondins.
Mais normalement, un ange ne devait pas avoir trop de souci avec un problème secondaire dans le genre.
-Bonjour, Spica ! lui fit Machanaël quand elle arriva à sa source attribuée. Comment te portes-tu ?
-Ça va, dit Spica, bien que cela n'était qu'à moitié vrai. Et toi, comment vas-tu ? Tu es pâle comme un linge, pire, comme la mort.
Le Séraphin passa sa main sur son visage.
-Je suis plus froid que d'habitude. Normalement, je suis simplement une fournaise ambulante.
-Je sais, fit Spica en le rejoignant. Et moi, un glacier sur pattes.
Machanaël rit en imaginant ceci littéralement puis il ajouta en fixant sa main :
-Mes plaies se referment gentiment. Je vais bientôt retrouver ma chaleur corporelle si désagréablement bouillonnante...
Spica lorgna sur lui un regard intrigué mais ne pipa pas un seul mot.
Si Machanaël la considérait comme son amie, voudrait-il bien l'écouter si elle lui demandait de rendre l'Esprit Divin Angélique aux anges ?
Sûrement que non. Cela impliquerait sa transformation en démon.
C'est pour cela qu'elle cherchait depuis deux jours une solution.
Pour le forcer à rendre l'artefact aux armées des anges, il fallait qu'elle trouve un moyen de bloquer le processus de transformation.
Ce qui allait se révéler très compliqué, mais elle ne s'attendait pas à ce que ses recherches se soient ni rapides ni courtes.
-Machanaël !
-Quoi ? sursauta l'ange en entendant l'exclamation de son amie et voyant son mouvement brusque, levant déjà un bras devant son torse pour se protéger.
Spica le fixa avant de lever une main...
-Pof pof !
Elle se rassit ensuite normalement en prenant un air songeur.
Ce geste était pour elle quelque chose de rassurant, il la calmait et la détendait à la fois. Elle aimait beaucoup faire ça sur les cheveux les gens, en particulier ceux des garçons, car les longs cheveux lisses des Ondines n'étaient pas réellement intéressants, et elle appréciait également énormément la sonorité de ces mots de son invention.
Elle murmura les yeux clos, d'un air apaisé :
-Pof pof...
Machanaël la regarda avec des yeux étonnés.
Elle était appuyée, les bras croisés et les jambes repliées de manière élégante vers son corps, contre le tronc de l'arbre dont les grosses racines, dont les extrémités baignaient dans la source, lui servaient de siège.
Elle avait un visage rond et fin, des traits réguliers et un air apaisé et tranquille qui fit envie à l'ange.
Un sentiment faisant partie des péchés mais qui avait souvent animé le cœur du Séraphin.
Souvent était un bien grand mot mais comparé aux autres anges, oui, c'était effectivement souvent.
Spica songeait à mille et une façons de tenter des recherches et de trouver ainsi une solution.
Les idées qui lui venaient à l'esprit étaient toutes sans exception plus folles les unes que les autres.
Elle ne voulait certainement pas tenter quelque chose qui dépassait ses capacités ou quelque chose de bien trop dangereux mais elle serait capable de tout pour ramener un peu de sérénité à la fois en elle et dans les chœurs des anges.
Elle aurait aussi voulu questionner Machanaël directement mais elle n'osait pas, de peur qu'il lui dise de laisser tomber ou qu'il se taise.
Le pire serait qu'il n'y ait aucune solution.
Spica ne voulait pas envisager ce cas de figure. En elle, sa part de mauvaise foi refusait cette idée-là, presque inconsciemment.
Et comme disait souvent son père :
-Il n'y a pas de problème, seulement des solutions.
Un dicton de personnes d'un âge moyen mais qu'elle aimait bien, et dans cette situation, elle ne voulait voir que ça.
Bien qu'elle avait clairement vu aussi que Machanaël s'était créé ennuis et ennemis tout seul, comme un grand garçon.
L'Ondine surdouée avait l'air ailleurs et son ami la ramena à la réalité présente en lui claquant les doigts sous le nez.
-Spica, ça va ? Tu n'as pas l'air ni concentrée ni attentive, aujourd'hui.
Elle lui lança un regard assez noir, le toisant presque.
-En même temps, avec ce que tu m'as dit avant-hier, il y a de quoi être secouée, tu ne crois pas ?
-Si, concéda Machanaël avec un petit sourire qui montrait qu'il se sentait un peu coupable vis-à-vis des émotions de Spica. Je n'ai même pas de paroles pour te rassurer...
-Ce n'en est que plus rassurant ! lui fit Spica en ouvrant des yeux outragés.
Machanaël rit en voyant son expression.
-Dis-moi...fit la jeune femme en baissant soudain les yeux sur les racines vertes de l'arbre.
-Oui ? fit Machanaël en remarquant le soudain trouble de son amie.
La question de Spica réussit enfin à franchir la barrière de ses fines lèvres :
-Pourquoi initialement as-tu décidé de voler l'Esprit Divin Angélique ?
Machanaël perdit alors son doux sourire et regarda le ciel, subitement pensif. Le bras posé droit sur un genou qu'il avait replié vers son torse, il baissa à son tour les yeux pour regarder le bas de sa tunique et se confia avec un peu de réticence :
-Si je t'avoue ceci, c'est que je dois vraiment te faire confiance...
Après quelques secondes de silence pendant lesquelles le Séraphin cherchait ses mots, ce dernier finit par dire :
-En fait, j'avais envie de toucher cet artefact interdit depuis des lustres. Et puis j'ai voulu m'en emparer. J'ai fait de longues recherches sur la sécurité, les tours de garde et tout ce qui entourait de près ou de loin cet objet, puis j'ai réussi à le prendre, à le voler et à m'enfuir. Je savais ce qu'il m'en coûterait mais j'ai simplement suivi mes pulsions et mes envies. Quelque chose qu'un ange ne devrait pas ressentir et le cas échant, encore moins y obéir. Simplement, j'avais envie de réaliser ce qu'aucun ange de toute notre histoire n'oserait commettre.
Machanaël eut alors un sourire presque triste avant de terminer :
-Puis je me suis retrouvé poursuivi par des centaines d'anges. Parmi eux se trouvait Methusiel, celui qui les dirigeait et le dernier ange qui m'a parlé juste avant ma chute. Il y en avait encore beaucoup d'autres mais je ne les ai pas tous identifiés sous le stress et la pression. Puis, tu le sais, sachant que je ne deviendrais pas un démon, je me suis laissé choir de mon piédestal angélique et je suis tombé dans le monde des humains. La suite, tu la connais...
-Oui, acquiesça Spica en souriant un peu. Je la connais mieux que personne. Une Ondine solitaire et rejetée trouva le Séraphin dans sa source, un jour de travail ordinaire...
Machanaël rit.
-Arrête, on dirait que tu racontes une légende effrayante et mystérieuse aux enfants pour qu'ils en tirent une leçon ou une morale !
-Et bien, prends-en de la graine, dans ce cas ! lui dit Spica en partant dans un grand éclat de rire.
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