Chapitre 11 : Réunion imprévue

Aujourd'hui, les Ondins avaient tous rendez-vous.
Ils avaient reçu l'ordre de rassemblement hier au soir de manière assez urgente.
Ce matin, ils ne devaient donc pas travailler mais se rendre à l'endroit où les Ancêtres et la famille royale prononçaient leurs annonces ou leur faisaient part de leurs projets.
C'est également ici qu'avaient lieu toute promotion et toute gradation de tout Ondin d'Ondia.

Spica, habillée d'une courte robe bleue recouverte d'un léger voile mauve, était au premier rang, au bout de la rangée, à côté d'Ada, la plus jeune Polyvalente avant elle, de quelques décennies la cadette de Dhaça.
Cette pimbêche était en train de se pavaner et de vanter son rang absolument parfait, d'exhiber sa belle robe et ses magnifiques bijoux, de montrer à qui voulait bien le voir son maquillage soigné et parfait...Spica serra les dents.
Elle ne pouvait vraiment pas l'encadrer, c'était plus fort qu'elle. Et si, en prime, elle devait maintenant passer toutes ces cérémonies et ces promotions assise à côté de cette mijaurée, elle était tentée de dire ironiquement vivement le futur...

Drof, le doyen des Ancêtres, apparut sur l'estrade dans une redingote à rayures élégante mais un peu vieillote, sur laquelle on voyait les marques de sa déjà longue et dure vie, accompagné du prince aîné Arcturus.
Tous les Ondins se turent à leur arrivée.
Sauf Ada, qui commençait à dire assez bruyamment à ses voisins de derrière qu'elle serait bientôt la meilleure amie et la plus grande confidente du prince Arcturus.
Ce qui exaspéra doublement Spica, d'ailleurs...

Arcturus prit la parole d'une voix forte, claire et assurée :
-Mes chers amis, peuple d'Ondia, Ondines et Ondins, je vous remercie d'être tous ici présents malgré l'appel de conférence assez tardif. Nous voudrions vous faire part d'une décision que nous avons prise hier, avec en particulier notre vénérable doyen des Ancêtres Drof et la Polyvalente surdouée Spica, bien que la majeure partie du peuple a également beaucoup contribué à la prise de cette décision.
Il était rare de voir Drof debout, ce n'en était que plus impressionnant. Le doyen des Ancêtres toussa et parla à son tour d'une voix un peu affaiblie par l'âge :
-Je demande donc à l'Ondine Ada, promue au rang de Polyvalente depuis quelques jours, de venir nous rejoindre sur l'estrade.

Ada, surprise, se leva d'un bond d'une manière assez peu élégante.
Quelques rangs derrière elle, Milde fixa son dos et baissa les yeux en serrant les poings, appuyés sur ses cuisses, sur le tissu de sa robe couleur cuivre cousues avec des fils dorés.
Spica entendit Ada murmurer :
-Je vais avoir une augmentation, ou un autre privilège, n'est-ce pas incroyable après si peu de temps au rang de Polyvalente ?
L'Associale Surdouée, de son surnom, songea :
-C'est plutôt ta stupidité qui est incroyable, Ada...Bien que cela me surprenne autant que le fait que ton corps sois dénué du sens de la vue. Tu ne te doutes absolument pas de ce qui t'attend malgré tout ce que tu fais et fais subir aux autres.
Ada monta sur l'estrade aux côtés d'Arcturus et de Drof. Un sourire aux lèvres, elle semblait retenir au maximum de ses capacités la frénésie de joie et d'excitation qui l'animait quant à la possibilité de recevoir un autre privilège.

Spica sentit que le prince Arcturus était moins sûr qu'avant quand il prononça les paroles fatidiques :
-Comme vous le savez, Ada est une Polyvalente depuis peu. Nous avons pris la lourde et difficile décision de la déchoir à partir d'aujourd'hui de cette profession.
Le sourire excité d'Ada s'effaça en une fraction de seconde alors que des murmures montaient dans le public des Ondins. Elle fit un effort monumental pour ne pas sauter de rage sur le prince et l'étrangler. Elle préféra demander relativement poliment mais d'un ton aussi hargneux qu'haineux :
-Puis-je savoir pourquoi ?

Arcturus se tourna vers elle. Spica vit dans ses pupilles foncées qu'il avait repris un peu confiance en ce qu'il devait dire et les conséquences qui allaient découler de ses paroles. Il avait dit le pire, maintenant ne venaient que les justifications et tant pis si Ada n'était pas d'accord avec celles-là.
Arcturus débuta alors un long discours sur les fautes, nombreuses et plus ou moins conséquentes, commises par Ada :
-Énormément d'Ondins de tout le royaume sont venus se plaindre. Tu prends tout le monde de haut, tu te vantes mais ce n'est pas tout. Tu t'amuses à les manipuler ou à leur faire faire tes corvées en prétextant que ton rôle de Polyvalente t'empêche de pratiquer des activités aussi peu dignes. Les gens ne sont pas tes domestiques et encore moins tes esclaves, souviens-toi bien de cela !
Arcturus reprit un peu son souffle avant de poursuivre :
-Ta première grande erreur a été d'emmener, contre nos lois, deux Charmeuses sur le front contre les Elfes. L'une d'elle, Cabille, est morte en voulant te protéger, elle a sacrifié sa vie alors que tu venais de la réprimander. Paix et honneur à son âme.
Et le prince acheva son monologue avec le dernier des arguments qui avait grandement fait pencher la balance du côté des Ancêtres :
-Et la dernière erreur que tu as faite, plus titanesque que toutes les autres cumulées, tu as enfreint notre ultime loi en t'aventurant dans la source appartenant à une autre Ondine. Tu as été dans la première source, celle de l'Ondine Spica.
Un murmure à la fois choqué et scandalisé parcourut l'assistance, suspendue aux lèvres du prince. Malgré le fait que globalement les Ondins n'aimaient pas vraiment Spica, ils étaient absolument outrés d'apprendre cette nouvelle, même s'ils connaissaient, du moins en partie, le degré élevé de vantardise et de bêtise d'Ada.

C'est alors que Viris, toujours silencieuse et attentive dans les cérémonies, fit part d'une remarque aux autres Polyvalentes sur sa rangée :
-Je vous avais dit qu'elle ne tiendrait pas une semaine dans le métier, cela ne fait que six jours.
Pour une fois, elle s'était aussi adressée à Spica, surprise en bien. Ce qui fut encore plus étonnant, c'est que Viris la fixa avec un air impénétrable mais lui fit un léger sourire quand elle lui dit :
-Nous ne nous sommes pas trompées, toutes les deux, en disant qu'il ne fallait pas la promouvoir, n'est-ce pas, Spica ?
-Oui, sourit cette dernière, en réponse à son aînée.

Arcturus dit alors :
-Spica, je crois que tu as juste deux choses à dire à Ada. Monte et dis-lui.
La prodige fronça les sourcils. Son ami ne lui avait pas dit qu'elle devrait intervenir pendant la conférence.
Soit il avait oublié, soit il s'amusait à la cuisiner...
Vu son air narquois et amusé qu'il essayait de camoufler un peu, en cet endroit exposé à tous, la jeune Ondine en déduisit qu'il n'avait commis aucun oubli...
Un peu dépassée et stressée par la situation, elle monta lentement sur l'estrade en regardant attentivement chaque marche sur laquelle se posaient ses pieds chaussés de petites ballerines à bordures ornées de perles blanches et lustrées.
Elle fit face à Ada qui la regardait avec une mine arrogante et hautaine mais on ne trompait pas Spica, qui vit dans ses yeux toute sa crainte du futur et l'humiliation qu'elle venait de subir, devant tout le peuple des Ondins, à cause d'Arcturus et de Drof.

Spica serra alors dents et poings, si fort qu'elle faisait trembler ses bras et on commençait à distinguer les veines de ses mains.
Ada tenta de se dépêtrer avec un ton caractéristique de sa personne de cette situation impossible en s'adressant à celle qu'elle aimait persécuter :
-Dis quelque chose, enfin ! Tu es Polyvalente, tu pourrais trouver les mots pour convaincre ces deux Ondins qu'ils vont subir une lourde perte s'ils me retirent de cette prestigieuse profession privilégiée.
Le sang de Spica ne fit qu'un tour...Elle sentit qu'elle allait hurler à pleins poumons.

-Tu ne voudrais pas cesser d'idéaliser à ce point aussi extrême la profession et le rang de Polyvalente ? Je crois que tu fais fausse route depuis le début. On devient Polyvalente pour son peuple, pas pour les privilèges ! Tu penses aussi peut-être que le fait d'être un peu plus douée que les autres t'autorise à ne plus rien faire de ta vie et te permet de te servir des autres pour parvenir à tes fins ? Être Polyvalente, c'est utiliser les dons que t'a offert la nature pour te rendre utile ! Et pour finir, tu penses réellement que je vais te défendre en disant à Arcturus et Drof que tu es une bonne Polyvalente alors que c'est totalement faux, et sans compter le fait que tu me martyrises depuis des années et des années, tellement que je ne les compte même plus ? Je pense que ton regard est voilé par ton incommensurable vantardise et par ton insupportable hypocrisie. C'est aussi ce que Cabille voulait. Ouvre les yeux !

Le regard d'Ada n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été il y a quelques secondes encore. Totalement anéantie, l'Ondine déchue de sa fonction tomba par terre sur les genoux et poussa une longue plainte aigue qui résonna jusque dans les maisons, vides de gens, de l'autre bout d'Ondia. Les larmes coulaient en abondance de ses yeux, faisant déteindre toutes les lourdes couches de maquillage le long de ses joues et sur tout son visage à présent ravagé par l'humiliation subie et la honte ressentie.

Arcturus termina la conférence sur ces mots :
-Milde, Charmeuse gradée. Brechü m'a dit que tu as beaucoup été à la bibliothèque ces derniers jours te renseigner et lire les livres de lois des Ondins. Je souhaite que tu expliques clairement à Ada, qui redevient une simple Charmeuse, les droits qu'elle possède, ce qui lui est interdit de faire et des règles de base qu'il lui faut respecter pour être une bonne Ondine. Viens avec moi, nous allons au palais avec Ada mettre tout cela au clair. Merci à tous pour votre attention. Vous pouvez disposer.
L'après-midi, Spica rejoint Machanaël. Elle avait dîné dans sa maison et devait reprendre son travail, comme tout le monde.
Elle avait cependant reçu des conpliments sur son discours de la matinée de plusieurs Ondins et Ondines qui semblaient maintenant la respecter un tantinet.

-Tiens, te voilà, dit Machanaël quand il vit sa jeune amie débarquer, sortant trempée de sa source.
Spica vit dans le regard de l'ange qu'il y avait un soupçon de reproche et un sentiment de solitude.
-Pardon, dit-elle immédiatement. Nous avons eu une réunion imprévue ce matin et tous les Ondins se devaient d'y assister.
Machanaël hocha la tête, avec une mine compréhensive mais sans perdre pour autant l'air d'en vouloir à Spica.
Celle-ci remarqua le regard agacé du jeune ange et s'assit près de lui avec gentillesse.

-Tu t'es senti seul, n'est-ce pas ?
Spica vit les mâchoires de Machanaël se resserrer et rouler sous sa peau claire.
-Oui, grommela-t-il avec le regard fixé à l'horizon.
L'Ondine posa sa main sur l'épaule nue et bouillante du Séraphin.
-Je ne pouvais pas te prévenir, je n'avais aucun moyen. Excuse-moi, Machanaël.

C'est à ce moment que l'ange tourna enfin ses yeux vers son amie Ondine.
-Ça va...Je vais m'en remettre.
Puis il ajouta avec un sourire rayonnant de complicté :
-Mais j'avoue, oui. Je me suis senti seul et abandonné !
Spica sourit à son tour.
-Mais pauvre de toi ! Qu'est-ce que je te plains !
Puis l'Ondine lui tendit son sac, celui qu'elle avait pris depuis Ondia, un des seuls imperméables qu'elle possédait.
-Tiens. Pour occuper ton cerveau et pour faire travailler ton estomac.
Le Séraphin empoigna le sac puis l'ouvrit avec un air intrigué. Il regarda le contenu du sac avant de partir dans un éclat rire.
-Des biscuits et des livres ! Merci Spica !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top