Chapitre 10 : Les lois des Ondins
Aujourd'hui, Spica se réveilla en songeant immédiatement au fait qu'elle ne pourrait probablement pas voir Machanaël.
Aujourd'hui était son jour de congé hebdomadaire. Elle eut un sourire quand elle pensa au fait que cela ne faisait que cinq jours qu'elle connaissait celui qui était maintenant devenu son meilleur ami, c'est-à-dire Machanaël, un Séraphin déchu.
Bien qu'ils ne se soient connus que très récemment, ils se parlaient comme s'ils se connaissaient depuis un siècle et Spica affectionnait particulièrement la relation qu'ils entretenaient.
La jeune Ondine se prépara à aller voir ses deux seuls amis Ondins, Arcturus et Altaïr.
Ils l'attendaient déjà dans leur petit coin secret au fond du jardin royal quand elle arriva. Les deux princes saluèrent leur amie, signe qu'elle leur rendit avec un sourire.
Altaïr avait préparé du thé blanc, parmi les plus coûteux, car famille royale oblige, et Spica, elle, avait pour une fois amené des petits biscuits ronds à l'anis.
-Spica, tu as refait tes fameux biscuits ? Ça nous fait plaisir ! annonça Altaïr pour son frère et lui.
En réalité, Spica en avait fait pour les goûters qu'elle passait désormais en compagnie de Machanaël mais comme il lui en restait et qu'elle savait que les princes les adoraient et connaissaient leur rareté, étant donné qu'elle ne cuisinait et ne faisait pas souvent de pâtisserie, elle leur en avait amené par gentillesse.
Les discussions commencèrent entre ces trois compères de toujours. Elles allaient de bon train, sans que l'Ondine ait à mentionner Machanaël, ce qu'elle ne voulait certainement pas faire, quand Altaïr débuta un sujet capable de provoquer de très longs débats :
-Arcturus, rien que ce matin j'ai reçu encore trois plaintes d'Ondins différents.
-De quoi s'agit-il ?
Arcturus soupira en haussant les épaules avec un air sarcastique. Puis il dit à son amie avec une mine déprimée :
-Ta meilleure amie fait du grabuge un peu partout...
-Tu parles d'Ada quand tu dis "ta meilleure amie" ? dit Spica en faisant crisser ses dents.
Altaïr se mit à rire de bon cœur.
-Même en disant ça, tu sais immédiatement de qui on parle ! C'est absolument incroyable !
Spica tourna son regard un peu désappointé vers le cadet et déclara :
-Cette fille a un incroyable talent pour agacer les autres. C'est bien la seule capacité dans laquelle elle excelle et qui l'a faite décoller pour sa promotion et propulsée dans sa carrière de Polyvalente !
-Tu es bien dure, Spica, déclara Altaïr. Mais je sais combien elle est énervante et surtout, combien elle est hypocrite
Arcturus coupa son frère :
-Devant nous, elle est docile, et tellement mielleuse que n'importe quel crétin verrait qu'elle ne fait que jouer un rôle.
Spica baissa les yeux et les contredit légèrement, avec une certaine réticence, de peur de perdre ou de fâcher ceux qui lui étaient cher :
-Mais vous avez également toujours eu des échos de moi, vivant dans le peuple et non pas isolée du reste des Ondins dans un palais aussi royal que magnifique. Depuis toute petite, cette fille me cherche des noises et je vous ai toujours tout raconté. Peut-être que si vous ne saviez rien de tout cela, vous tomberiez la tête la première dans ce rôle qu'elle n'incarne que devant vous.
Altaïr allait vivement protester devant les paroles de Spica, qui le désignaient comme quelqu'un de bête et aveugle, mais son aîné le devança :
-Peut-être. Nous ne pouvons le savoir. Il existe de par le monde des princes et des princesses n'ayant aucune conscience de l'univers à l'extérieur de leur palais ou château car ils n'en sont jamais sorti. Ils n'en connaissent que la théorie par les livres et les cours, ainsi que par les dires des serviteurs ou des employés.
Arcturus sourit à Spica avant de terminer son beau discours touchant :
-Comme nous, si tu n'étais pas là. Je pense que tu as largement contribué à notre ouverture d'esprit et à notre vision du monde presque pareille à celle des autres, plus bas que nous dans la hiérarchie. Et je te remercie infiniment pour cela !
Altaïr sépara ses lèvres pour dire quelque chose avant de se prendre un coup de coude de la part de son frère dans les côtes. Il étouffa quelques secondes puis se reprit :
-Oui. Merci beaucoup pour ça, Spica !
La jeune Ondine leur sourit.
-De rien ! C'est avec plaisir que je vous raconte tout cela !
Mais Spica ne perdait que très rarement le nord...
-Vous parliez donc du bruit que provoque Ada en ville...
-Oui, fit Altaïr. Elle semble se croire supérieure à tout le monde.
Spica eut un rire amusé et une expression un peu narquoise, mais tous deux provoqués surtout à cause de sa nervosité à entendre parler de cette Ondine qui lui courait autant sur le système que sur le haricot.
-Ceci ne date pas d'hier, vous savez...Mais j'ai comme l'impression que c'est bien pire depuis qu'elle a accédé au rang de Polyvalente, et cela ne va pas en s'améliorant !
Altaïr secoua la tête, désolé.
-Je vous plains tous sincèrement...
Après de longues discussions sur les plaintes et demandes diverses des Ondins, vers midi, Spica s'excusa auprès de ses deux amis :
-Je souhaite prendre congé de vous. Je voulais passer à la bibliothèque rendre un livre et consulter d'autres ouvrages. Cela risque de me prendre un peu de temps et j'aimerais aussi en avoir pour moi.
-Bien sûr ! firent les deux frères en chœur.
Arcturus reprit :
-Nous te comprenons ! Pour nous, que tu viennes ici est à chaque fois fantastique et c'est pour nous un moment de détente et une délivrance.
Spica leur sourit avant de s'en aller, laissant derrière elle le beau et immense jardin de la famille du roi.
La jeune Ondine se dirigea à grands pas chez elle afin de passer prendre son livre puis elle ressortit de sa maison pour se rendre à la bibliothèque, royaume incontesté de Brechü.
Quand ce dernier la vit arriver, un énorme sourire étira sa bouche.
-Spica ! Comment vas-tu ? Cela fait longtemps ! Tout se passe bien ?
La jeune Ondine aimait beaucoup le dynamisme du bibliothécaire. Et elle savait que cela faisait longtemps, une semaine pour tout avouer. Elle avait consacré le plus clair de son temps à Machanaël, pas étonnant qu'elle ait un peu délaissé ses livres, un de ses passes-temps favoris avec le dessin et l'écriture.
Ce n'était pas un hasard si elle aimait tant ces trois activités, car celles-ci lui permettaient de s'évader dans des mondes imaginaires et merveilleux qui n'appartenaient qu'à elle.
-Merci pour le livre. Que cherches-tu donc, aujourd'hui ? Tu n'as fait aucune réservation.
-Je sais. Puis-je aller consulter les livres des lois des Ondins ?
Brechü ouvrit des yeux surpris avant de prendre une expression plus sérieuse et dire d'un ton très professionnel :
-Tu es une Polyvalente donc oui, bien sûr.
-Merci.
Spica se dirigea vers la partie de la bibliothèque réservée uniquement aux membres du personnel, à la famille royale, aux Polyvalentes et aux Charmeuses gradées. La jeune Ondine observa avec attention les volumes. Ils semblaient avoir été déplacés récemment par quelqu'un, alors que peu d'Ondins avaient accès à cette partie de la bibliothèque et encore moins d'entre eux s'intéressaient à ce sujet. Elle fut étonnée mais ne s'arrêta pas longtemps sur ce détail et prit dans une main un des énormes livres des lois et se mit à le feuilleter.
Elle cherchait la partie sur les lois concernant les sources attribuées.
Elle trouva enfin ce qu'elle cherchait. D'un regard attentif, elle lut la loi qui lui avait attiré l'œil :
-Une Ondine à qui on a attribué une source possède tous les droits sur la dudite source, peut l'utiliser comme bon lui semble et y aller quand elle le souhaite, et tout cela, tout au long de sa vie.
Spica fronça ses sourcils. Ada n'avait donc bel et bien aucun droit sur sa source attribuée. Elle lut quelques lignes plus bas, dans les lois bien plus spécifiques :
-Si on prend une Ondine prise en flagrant délit dans une source ne lui étant pas attribuée et par conséquent, appartenant à une autre Ondine, cela peut entraîner de graves conséquences et elle peut subir de lourdes sanctions, allant jusqu'à la torture physique dans les cas les plus graves.
Spica eut um rictus nerveux.
Elle n'aimait pas Ada, cela était une chose, mais la voir se faire torturer en était une toute autre.
Quoique, parfois ce ne serait pas mauvais de lui faire un peu de mal physique pour qu'elle comprenne la dureté de la vie...
Chassant ces horribles pensées de son esprit, la Polyvalente surdouée continua sa lecture rapidement, sautant plusieurs lignes et quelques paragraphes sans y prêter de grande attention.
Puis quand elle eut finit de regarder les lois qui l'intéressaient, Spica referma le volume conséquent, le rangea et sortit de la bibliothèque après avoir emprunté un gros livre et salué Brechü avec un sourire.
Elle alla directement reposer l'épais bouquin dans sa maison en hauteur avant de redescendre juste en sautant et partir directement au Portail Aquatique.
Les Ondines pouvaient disposer comme bon leur semblait de leur source attribuée, elle allait se gêner, tiens !
Mais sur la route, elle croisa...
-Salut, l'Associale Surdouée ! Tout baigne, j'espère ?
-Bien sûr, Ada, avant que tu n'arrives, lui lança Spica, les crocs dehors telle une tigresse défendant ses petits des prédateurs.
Bien évidemment, elle était suivie de Milde mais qui semblait plus sûre d'elle depuis le décès de Cabille, dont les conséquences lui avaient permis d'extérioriser ses sentiments intérieurs un peu contradictoires.
-Très drôle, dit Ada avec une moue de dégoût. Et où cours-tu comme ça ? À ta chère source attribuée ?
-Oui.
-C'est ton jour de congé, il me semble ! fit Ada avec un air mauvais.
Spica déglutit mais aucune des deux Ondines en face d'elle ne le remarqua. La plus jeune des Polyvalentes se défendit avec vigueur :
-Cela ne te regarde en rien. Et pour ta gouverne personnelle, j'ai parfaitement le droit d'aller me prélasser là-bas comme bon me semble. Tu n'as pas ton mot à dire.
-Tu nous caches des choses, Spica ! fit Ada, en colère et le regard noir.
Son interlocutrice retint avec un improbable et surprenant calme sa rage et dit :
-N'y pense même pas. Ne t'avise pas de remettre un seul orteil dans ma source attribuée, sinon, les conséquences pour toi seraient, qualifions-les de très désagréables. Tu es prévenue.
Spica lui tourna le dos et partit en direction du Portail Aquatique.
Elle ignorait si ses menaces avaient eu sur Ada l'effet escompté mais du moment qu'elle ne la suivait pas, elle n'en avait que faire !
La jeune Ondine prodige retrouva à sa source Machanaël, occupé à dessiner des paysages féériques et des personnages imaginaires.
-Salut, Spica ! dit-il, avec un air étonné. N'était-ce pas aujourd'hui, ton jour de congé ?
-Si, si, dit-elle avec un sourire. Mais j'avais envie de te voir. Et j'ai eu la confirmation qu'une Ondine peut disposer de sa source attribuée comme elle le souhaite, alors comme si j'allais me gêner !
Machanaël eut un sourire fourbe.
-Tu avais donc autant envie de me voir...
Spica leva un sourcil en guise de réaction avant de répondre :
-Bien sûr, cela me paraît normal. Surtout quand, comme moi, on n'a aucun autre ami dans son propre monde.
Le rictus moqueur de Machanaël s'adoucit pour devenir un gentil sourire. Il tapota de la main un petit espace à côté de lui, sur les racines d'un arbre quelconque, pour indiquer à Spica de venir s'asseoir près de lui.
L'Ondine, bien que surprise, s'exécuta volontiers, et avec une grâce légère.
Pour l'ange, c'était une réelle preuve de confiance. Sans que sa nouvelle amie le sache, presque personne dans toute son histoire personnelle, n'avait eu le droit de siéger aussi près de lui avec son entier accord.
-Que dessines-tu ?
-J'essayais d'imaginer les Ondins, au gré de ma fantaisie...répondit vaguement le Séraphin.
Il montra d'un geste distrait ses esquisses à Spica qui regarda attentivement. Elle eut un air mêlé entre la pitié et l'amusement avant de dire :
-Sur tes dessins, nous ressemblons plus à des poissons qu'autre chose !
-C'est ce que vous êtes, non ? fit Machanaël avec un air narquois. De la poiscaille.
Spica le toisa avec un regard d'un noir d'encre de seiche et murmura :
-Tu ne l'auras pas volé...
L'ange déchu se tourna vers elle avec un air interrogateur :
-Quoi don...
Il n'eut pas le temps de terminer sa question qu'il sentit déjà les bras fins et froids de l'Ondine autour de ses épaules larges et bouillantes.
Il hurla. Avec son cri que Spica nommait "cri de la Banshee".
Le bruit était suraigu et parfaitement stable pour une aspiration de l'air.
Ce moment dura longtemps, mais parut bien pire, totalement interminable, pour l'ange déchu.
Quand Spica le lâcha enfin, il dit :
-Ça va, je plaisantais ! Je ne pensais pas ce que je disais...
L'Ondine eut à son tour un sourire un peu fourbe et pleinement sadique.
-Je sais...dit-elle sur le ton de l'évidence. Mais je n'aime pas que l'on dise du mal de moi ou mon peuple. Ton câlin, tu l'as cherché et mérité !
-Un peu, avoua le Séraphin déchu en rabatant ses ailes un peu sur lui, histoire de se protéger un minimum. Mais j'ai souffert.
-Et bien tant mieux ! lui dit Spica avec un air innocent qui ne collait pas vraiment avec le registre de cette discussion quelque peu étrange.
Après quelques minutes de discussion libre, Machanaël se tourna vers l'Ondine et demanda subitement :
-Dis-moi, que se passerait-il si un être vivant qui n'est pas un Ondin traversait le Portail Aquatique ?
Spica eut l'air interloqué avant de prendre une mine interrogative.
-Je n'en sais rien. Quand un animal tombe dans la source d'un Ondin, il arrive à Ondia par accident puis nous le ramenons à son lieu d'origine. La plupart du temps, ce sont les Polyvalentes qui s'occupent de ramener les divers animaux égarés qui arrivent dans notre royaume. D'ailleurs, le dernier incident pareil date d'il y a trois semaines, c'est particulièrement long, vu le nombre de sources attribuées. C'était une jeune biche, il me semble, et ce doit être Jiya l'Écorce qui l'a ramenée. Mais pourquoi donc cette question, Machanaël ?
L'ange détourna le regard. Spica eut une drôle de moue accompagnée d'un affaissement des épaules, qui montrait qu'elle avait deviné la suite du dialogue de l'ange.
-Tu veux venir à Ondia, avoue !
Le Séraphin se cacha entre ses ailes noires, mais Spica voyait toujours ses yeux bruns et verts entre deux plumes. Il tourna son regard vers elle et dit avec une voix douce qui paraissait remplie de divers sentiments, certains passagers et d'autres, au contraire, implantés au plus profond de son âme :
-C'est juste que...N'a-t-on pas le droit de rester avec ceux qu'on apprécie beaucoup ?
Si elle avait été humaine, Spica aurait probablement rougi.
Bien évidemment, les Ondines ne rougissaient pas, ce qui serait un énorme handicap, et ce surtout à cause de leur principal métier qu'on appelait les Charmeurs et les Charmeuses, ceux qui envoûtaient et charmaient, d'où leur nom, les humains et les humains errant près des sources leur appartenant. La jeune prodige sourit et posa sa main sur le sommet d'une des ailes de Machanaël, qui tressaillit légèrement à son contact mais ne fit aucun commentaire.
-Tu es trop chou ! lui sourit Spica.
Machanaël baissa les yeux mais ne détourna pas la tête. Il ne chercha pas à la contredire mais lui avoua :
-Je ne pensais pas recevoir, à cent nonante-six ans, le qualificatif "chou"...
Spica eut un rire cristallin que l'ange aimait bien entendre.
-Tu l'es alors quelle importance a donc l'âge ?
Elle sourit gentiment et avoua :
-J'ignore s'il est possible de te faire vivre à Ondia à mes côtés. Ce serait tellement bien, magique, fantastique ! Mais il faudrait régler tant de choses, parler de ton existence aux Ondins...
Machanaël secoua la tête.
-Pour le moment, laisse tout cela de côté. Viendra un jour le temps d'aborder ce sujet délicat...
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