Prologue
— Ancien ! Ancien ! Raconte-nous la légende de Nounaïa !
Le vieil elfe, qui avait été interpellé par un groupe d’enfants alors qu’il sortait du temple, leva la tête vers les adultes réunis au centre du village. L'un d'entre eux lui faisait signe de s’occuper des plus jeunes pendant que les adultes préparaient le banquet, ce qui expliquait pourquoi les gamins étaient venus lui demander une légende. Il prit place sur les marches du temple abritant l’arbre vénéré par son peuple depuis plusieurs siècles, et invita les petits à faire de même. Ils s’exécutèrent dans un joyeux brouhaha qui le fit souffler.
— Taisez-vous, taisez-vous, réclama-t-il, à moins que vous ne vouliez que je ne vous raconte une histoire qui fait peur ?
— Oh non, Ancien, protesta un jeune garçon, on veut la légende du continent !
L’Ancien attendit que le silence se fasse après sa menace, masquant son sourire dans les rides qui parsemaient sa peau brune. Une fois sûr d’avoir l’attention de son auditoire, il s’éclaircit la gorge et attrapa un morceau de bois qui traînait là. Il se concentra sur l’image qu’il avait en tête et le morceau prit la forme d’un être muni de longues cornes et de dents tranchantes, avec un air effrayant. Satisfait, il le positionna devant lui et commença à raconter son histoire :
— Il y a de cela deux cent ans, un nouveau peuple apparu sur le continent de Nounaïa. Il était appelé le peuple des Démons. Ils n'avaient pas de territoire propre, mais tout le monde craignait leur pouvoir. Les Dragons et les Mages, qui partageaient la même frontière, décidèrent de lutter contre eux pour la paix de Nounaïa. Une guerre sanglante éclata. Alors que les Dragons étaient sur le point de se faire anéantir, un Mage d’une grande puissance proposa un plan à l’Empereur. C'est ainsi que les Dragons piégèrent les Démons le long du Désert où le Mage crééa une immense faille. Les Démons furent engloutis dans ses profondeurs et disparurent du continent à jamais, alors que le Désert était désormais séparé du reste de Nounaïa.
L'un des autres peuples les plus puissant de Nounaïa s'était coupé de lui-même du continent et cela donna le champs libre à Seijo pour réaliser son plus grand rêve : conquérir Nounaïa. Il commença par s'attaquer à l'Océan. Ce dernier appartenait à un autre peuple, des êtres incroyables capables de vivre tant sous l’eau que sur la terre. Mais ils étaient de piètres guerriers comparés aux Dragons, et l’Empereur les soumis facilement.
L’Empereur tenta alors de conquérir le Royaume au Nord de son Empire, une haute chaîne de montagne habitée par les Vampires. Mais il n'y parvint jamais, car l'organisme des Dragons ne pouvait supporter le froid des Montagnes et qu'il était impossible d'y envoyer le peuple qu'il venait tout juste de soumettre. Seijo se tourna donc vers le Désert, mais ce dernier était imprenable. Seijo finit par rendre l’âme, sans jamais avoir pu réaliser son souhait.
Après sa mort, le continent connut une ère de paix. Son successeur ne partageait pas ses ambitions conquérantes. Mais les Dragons n’avaient pas oublié. De vieux guerriers continuaient de raconter les histoires de ces batailles incroyables, de cet Empire puissant et craint de tous.
Le nouvel Empereur fut détrôné par des fanatiques de Seijo. Ils étaient prêts à tout pour faire revivre le rêve de l’Empereur conquérant. Tous se mirent à craindre une nouvelle guerre, et tous prièrent afin de l’éviter.
Et alors, les Dieux de Nounaïa nous transmirent une prophétie. Elle était écrite dans le sable du Désert, murmurée par le bruit des vagues de l'Océan, soufflée par le vent des Montagnes, chuchotée entre les arbres de la Forêt. Un sang-mêlé verrait le jour. Il jugera si nous sommes dignes d’être sauvés, ou il nous détruira tous.
L’assemblée d’enfants regarda l’Ancien avec des yeux ébahis alors que le vieil elfe faisait exploser le morceau de bois. Son auditoire avait été captivé par son histoire même s’il la connaissait déjà par cœur. Ce n’était qu’une vieille légende, mais elle avait toujours son petit effet. Les elfes n’avaient de toute façon pas grand chose à craindre de ces Dragons, ils vivaient sur une île isolée. Ils doutaient même que l’Empire connaisse leur existence. Ce n’était donc pas à eux que s’adressait cette prophétie, mais aux peuples du continent. Aux peuples de Nounaïa.
— Ancien, Ancien, l’interpella une petite elfe à la chevelure fougère, est-ce que le sang-mêlé est parmi nous ?
— Non, ma petite Alessia, il appartient au continent. Il n’a pas de raison de venir ici.
— Oh c’est nul ! Je voulais le rencontrer ! Il doit être supra-fort !
Les enfants confirmèrent bruyamment les dires de la jeune fille, avant de se lancer dans un vif débat sur quel peuple était le plus puissant. L’Ancien savait déjà comment cela allait finir. Ils allaient vouloir jouer en reproduisant l’histoire qu’il leur avait conté, et ils voudraient tous être le sang-mêlé. Ils finiraient donc par se battre, et leurs parents devraient venir les séparer avant de les emmener partager le repas.
D’ailleurs, Alessia était déjà en train d’attraper la tunique de l’un de ses camarades, le menaçant de le frapper s’il ne lui laissait pas le rôle du sang-mêlé. Les larmes aux yeux, le jeune elfe cria. Les parents arrivèrent, grondant les plus virulents, et les amenèrent autour du banquet qu’ils avaient terminé de dresser au centre de la carrière. Comme d’habitude.
Jusqu’à ce qu’un cri brise le silence de la nuit. C’était un cri à glacer le sang. Un hurlement de tristesse à l’état pur, comme Alessia n’en avait jamais entendu.
Aussitôt, ce fut la panique générale. Ceux qui ne savaient pas se battre emmenèrent les enfants vers le temple pour se protéger, tandis que les guerriers modelaient leurs épées grâce au bois des tables de banquet, se précipitant vers la source du bruit. Profitant de l’agitation, Alessia échappa à la surveillance de ses parents. Elle fut partie bien avant les soldats en direction du bruit. Elle n'avait pas peur du danger, bien trop curieuse pour le fuir, d'autant plus qu'elle saurait rester cachée. Elle voulait juste voir les guerriers du villages à l'œuvre, comme elle l'avait fait des centaines de fois.
Elle arriva à la carrière d’où provenait le cri, se cachant dans les bosquets. Dans la pénombre, elle ne put distinguer que la forme d’une personne serrant quelqu’un dans ses bras. En revanche, elle entendait très distinctement les pleurs qui venaient du centre de la carrière. Son cœur se serra. Elle ne savait pas pourquoi mais son instinct lui soufflait qu'il n'y avait pas de danger. Elle hésita quelques secondes. Si cette personne pleurait, c'était sûrement qu'elle avait besoin de reconfort ou d'un peu d'aide. La jeune elfe sortit de sa cachette et s’avança vers eux avec prudence, prête à aller expliquer la situation aux guerriers du village avant qu'ils n'attaquent les intrus.
Un des étrangers releva aussitôt la tête, et serra plus fermement son compagnon contre lui, tendant la main dans la direction de Alessia. Une boule lumineuse apparut au bout de ses doigts, la laissant bouche bée. Jamais elle n’avait vu ça. Cette lumière soudaine lui permit d’observer rapidement l’homme, puisque c’était un homme, duquel elle émanait. D’épais cheveux noirs tombaient en formant des boucles sur son front, et ses yeux noirs semblaient la transpercer. Comme s’il jugeait si elle était une menace ou non. Le reste de son corps était couvert par une cape. De son autre bras, il tenait une femme étrange. Elle avait de longs cheveux blancs et la peau violette, mais plus étonnant encore, des cornes sortaient de son crâne, se recourbant vers l’arrière. Comme le démon qu’avait fait l’Ancien au début de son histoire. Alessia fut si hypnotisée par ce dernier détail qu’elle ne remarqua pas le sang sur le corps de la femme qui commençait à former un halo sombre dans l’herbe.
— Alessia ! Éloigne-toi !
Le cri la sortit de sa contemplation et elle se tourna vers les guerriers qui venaient d’arriver en même temps que l’étranger. La tension devint soudainement étouffante. Personne ne bougeait, personne ne parlait. C’était comme s’ils étaient hors du temps.
— Vous allez devoir oublier cette soirée, murmura soudain l’étranger, j’ai promis de le mettre en sécurité.
La lumière au bout des doigts de l’homme devint aveuglante. Elle les entoura, les empêchant de bouger. Alessia commença à paniquer. Pourtant, l’homme lui sourit gentiment, presque comme s’il était désolé. Ce fut la dernière chose qu’elle vit avant de s’effondrer sur le sol, comme les autres autour d’elle.
— Je suis désolé, sanglota l’homme en regardant les elfes inconscients autour de lui, je suis désolé.
Le sort avait dû faire effet sur toute l’île. Personne ne se souviendrait de cette nuit. C’était ce qu’il fallait. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. Il essuya les larmes qui coulaient le long de ses joues et allongea le corps de sa compagne sur l’herbe. Elle avait rendu son dernier souffle alors qu’il avait réussi à les téléporter ici, à l’abri. Sur son ventre maculé de sang reposait un petit être à la peau parme et aux cheveux noirs méchés de blanc. Il dormait paisiblement, inconscient de tout ce qu’il venait de se passer.
Le Mage caressa avec douceur la joue de la mère de l’enfant et déposa un dernier baiser sur ses lèvres. Il retira ensuite sa cape, révélant son torse-nu recouvert de tatouages, et enroula le nouveau-né dans le tissu. Il embrassa son front, insufflant sa magie dans son petit corps. Son apparence changea aussitôt. Sa peau brunit, prenant la teinte de l’écorce des arbres, ses cheveux imitèrent la couleur des feuilles au début du printemps et ses oreilles devinrent un peu plus pointues. Il ressemblait maintenant à un véritable petit elfe.
— Tout va bien se passer, Denzal. Je te protégerais. Tu n’auras pas à réaliser cette prophétie tant qu’on sera caché ici.
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