Chapitre XII

Les sourcils froncés, Denzal observa le reflet que lui renvoyait le petit baquet d'eau posé dans une des pièces de la maison pendant leur absence. Il avait l'impression de voir un étranger. Là où il y avait toujours eu une peau brune, des cheveux verts et des yeux dorés, il y avait maintenant une peau d'un violet clair, des cheveux noirs méchés de blanc dont les boucles épaisses tombaient dans ses yeux rose pâle et, plus étrange encore, deux petites cornes sur le haut de son front. Il avait l'étrange impression de ne plus être lui-même et il se sentait complètement impuissant. Il aurait aimé avoir son père à ses côtés, pour le rassurer et le guider comme il l'avait toujours fait. 
Il lâcha un profond soupir à cette pensée et plongea ses mains dans l'eau, troublant l'image à sa surface, et s'en aspergea le visage. Se décrasser un peu lui fit du bien, sans compter le copieux repas qu'il venait de partager avec ses compagnons d'infortune. Mais il ne pouvait pas ne rien faire plus longtemps. Sinon, il serait de nouveau assaillit par la culpabilité d'avoir embarqué Alessia dans cette histoire et par l'inquiétude de ne pas savoir ce qu'il était arrivé à son père. Sans parler de la méfiance que ses mots et ceux de Delaram avaient installée dans son cœur. S'il l'avait tenu à l'écart de Nounaïa, c'était en partie parce qu'il craignait que l'on ne tente de le manipuler ou qu'on ne le tue, voir pire, qu'il détruise tout. Mais dans ce cas, comment savoir à qui il pouvait faire confiance ? Et comment savoir s'il prenait les bons choix et ne menait pas le monde à sa perte ?

— Tu as l'air plongé dans tes pensées. Tu vas bien ?

Il se tourna avec un sursaut vers Merrigan, qui se trouvait sur le pas de la porte. Ses cheveux, d'un roux flamboyant, étaient lâchés et s'arrêtaient un peu au-dessus de ses épaules, encadrant son visage fin dont la mâchoire était soulignée par le début de ses écailles orangées alors que le reste de sa peau avait une teinte légèrement abricot. Ses yeux bleus fuyaient cependant son regard et il jouait nerveusement avec ses mains. Il avait l'air peu sûr de lui, pourtant il ne bafouilla pas un instant quand il expliqua la raison de sa venue à Denzal :

— Désolé, je ne voulais pas te déranger. Le Capitaine voulait qu'on se réunisse pour parler du voyage. 
— Tu ne me déranges pas alors ne t'excuse pas. Je te suis…

L'Aegirien lui adressa un sourire timide, les joues rouges. Il donnait l'impression de flotter dans sa chemise un peu trop grande pour lui, pour autant son corps fin était bien mis en valeur par le pantalon serré et les bottes hautes qu'il portait. Denzal se fit la remarque qu'il avait l'air plutôt mignon avant de se donner une claque mentale. Comment pouvait-il être aussi peu concentré ? Quelques instants plus tôt, il se demandait à qui il pouvait accorder sa confiance et maintenant, il trouvait ingénieux de mater le petit marin.
Ce dernier, n'ayant rien vu de son trouble, se détourna et retourna dans la pièce principale. Il se dépêcha de le suivre pour ne pas paraître suspect. Mais cet empressement mêlé au souhait de ne surtout pas reposer son regard sur Merrigan eut raison de sa maladresse. Il se prit les pieds dans un tapis et s'étala lamentablement sur le sol de la pièce, juste devant Bian. 
Le Dragon, qui s'était assis un peu à l'écart du cercle formé par les autres, leva un sourcil et sembla lutter tant bien que mal contre un rire. Ce ne fut pas le cas de Seelay, qui explosa de rire, alors que Alessia se moquait gentiment : 

— Ta maladresse ne t'as pas quitté, c'est plutôt rassurant…
— Tu seras gentil de ne pas t'effondrer au pied de Bian, la place est réservée, ajouta Seelay. 
— Pas à toi, en tout cas, puisque tu as choisi de la laisser. 

La réponse du soldat effaça toute trace d'amusement du visage de l'Aegirien. Il releva d'ailleurs le menton et lança un regard plein de défi à Bian. La tension dans la pièce devint palpable et Denzal sentit soudain une chaleur étouffante le clouer au sol. Il comprit qu'elle venait de Bian quand il vit de petites flammes s'échapper de sa bouche. 

— Je téléporte le premier qui décide de se battre dans la Faille. C'est bien compris ? 

L'intervention de Adel eu le mérite de calmer les deux anciens amants et de faire redescendre la température dans la pièce. Le sang-mêlé se redressa en déglutissant légèrement et s'empressa de rejoindre sa meilleure amie. Seelay soupira et se concentra sur la carte à ses pieds. Il désigna un point dans l'Océan et expliqua :

— Ton père se trouve ici. Et nous nous sommes…
— Ici, indiqua Adel en posant le doigt en plein milieu d'une grande étendue où était dessiné quelques reliefs.
— Nous devons donc traverser la Faille, conclut Zale en montrant un trait qui semblait couper le continent en deux, sauf si les Mages ont des navires et une plage cachée. 

Adel fit la moue. Les Mages n'avaient rien de tout ça, depuis la création de la Faille ils étaient coupés du reste de Nounaïa. 

— C'est impossible, intervint Bian, personne ne peut traverser la Faille. 
— On ne peut pas la contourner, demanda Alessia en traçant un chemin sur la carte, par le haut, comme ça.
— Pas à ma connaissance. Mais qui sait, c'est peut-être notre seul moyen.
— La traversée du Désert va nous prendre plusieurs jours, je le crains. Toutefois… je dois avouer que l'Aegirien a raison. C'est notre seul moyen.
— Oh, Adel ! Ça me touche que tu le reconnaisse !
— Seelay, concentre-toi, gronda Bian. 

La réflexion arracha un sourire satisfait au concerné, qui glissa un clin d'œil au Mage. Ce dernier se contenta d'un soupir en réponse, malgré le léger amusement qu'on pouvait voir sur son visage. Ce fut Merrigan qui intervint, désignant un point au Sud de l'Empire : 

— Si nous ne parvenons pas à trouver de navire, nous n'aurons pas d'autres choix que de rejoindre le repaire des rebelles. 
— Merrigan tu es sûr qu'on peut…

Merrigan lança un regard à Zale, avant de se tourner vers Bian, qu'elle désignait du doigt. Il haussa les épaules, toute trace de timidité envolée. Il donna un coup de menton en direction de Seelay et la jeune femme se tue, comme si cela avait suffit à tout expliquer. Il reprit donc, l'air de rien, alors que seul les Aegiriens ne semblaient pas surpris par sa soudaine prise de confiance en lui :

— J'espère qu'on trouvera des Aegiriens bien avant, il y a quelques plages où accoster dans le Royaume Vampire. Mais autrement… il faudra se rendre jusqu'au repaire.
— Alessia… si tu as assez de bois tu te sentirais capable de construire un navire, demanda Denzal en se tournant vers sa meilleure amie. 

Cette dernière fronça le nez. Elle sentait à quel point l'Arbre Sacré était loin d'elle et la puissance qu'elle avait habituellement sur l'île était fortement amoindrie. Et elle avait plus de mal à communiquer avec les bois autour d'elle. Leurs essences étaient si différentes de celle de la Forêt. Elle réfléchit un long instant avant de répondre que si elle pouvait le faire, il lui faudrait énormément de temps. 

— On ne peut pas rester longtemps dans les montagnes, annonça Seelay.

Bian grogna et le pirate leva les yeux au ciel avant de poursuivre, ignorant son regard menaçant : 

— Le corps des Dragons ne supporte pas le froid, c'est trop dangereux pour Bian. 
— Mais traverser l'empire est dangereux pour nous, Seelay, lui rétorque Zale en lançant un regard vers Merrigan lorsqu'elle prononça le "nous".
— Nous verrons cela plus tard, trancha Denzal en soupirant, fatigué de leurs sous-entendus. On doit d'abord réussir à atteindre le Nord du Désert et rejoindre le Royaume Vampire, ajouta-t-il. 

Devant son air démotivé, son cousin posa une main sur son épaule. Il lui fit un sourire encourageant. Il ressemblait un peu à son père, en plus jeune et avec les cheveux plus courts, mais sa présence lui mit du baume au cœur.

— Le voyage sera un peu long jusque là-bas, mais ça me donnera l'occasion de t'apprendre à manier tes pouvoirs de Mage, Denzal.

Denzal tourna négativement la tête, indiquant au Mage de se taire. Devant son regard interrogateur, il expliqua :

— Je n'ai pas l'impression d'avoir un quelconque pouvoir. Je n'en ai jamais eu. Et même si j'en avais, je… je ne veux pas les utiliser. C'est… ta mère l'a dit, c'est dangereux. Je peux détruire Nounaïa.

Il avait encore du mal à se rendre compte qu'il avait le pouvoir de détruire un continent tout entier. Enfin, c'était ce que disait les légendes. Ceux qui croyaient en sa venue ne s'attendait sûrement pas à voir arriver une jeune personne à la stature d'ours qui s'emmêlait les pieds dans les racines de la forêt pas plus tard que la veille et il n'avait pas une once de magie en lui.

— Écoute, je me fiche bien du sort des autres, tant que ma mère va bien. Nous n'avons aucun mal à vivre heureux, avec ou sans ton intervention. Et un monde égoïste, où deux êtres décident qu'un peuple plus puissant qu'eux doit être engloutit dans les entrailles de la terre ne mérite pas vraiment d'être sauvé si tu veux mon avis. Mais il est de mon devoir de Mage de t'apprendre à maîtriser ta magie, histoire de t'éviter une mort stupide. Ton père est Mage, d'une famille puissante qui plus est, alors tu as forcément cette magie quelque part en toi.

Denzal se contenta de hocher la tête avant de reposer le regard sur la carte. Il fixa sur l'endroit que lui avait désigné Seelay au début de la conversation. Bientôt, il retrouverait son père.

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