Chapitre XI
Denzal observa la femme qui se tenait en face de lui, assise sur les tapis et coussins de la nouvelle maison dans laquelle Adel les avait fait entrer. Elle le dévisageait de ses yeux marrons avec un sourire tranquille, son visage doux encadré par de lourdes boucles sombres tombant sur ses épaules. Elle était vêtue d’une cape orange cuivrée faisant ressortir sa peau dorée qui cachait le haut de son corps et d’un pantalon ample de la même couleur. Son visage était marqué de quelques rides, notamment de petites pattes d’oies au niveau des yeux que son sourire accentuait, et laissait deviner qu’elle était sûrement un peu plus âgée que son père.
— Alors, tu es le fils de Dalir, demanda-t-elle de but en blanc sans se défaire de son sourire.
Comme à chaque fois que quelqu’un évoquait son père, son cœur se serra douloureusement. Il fit de son mieux pour tenter de le masquer. Son regard triste n'échappa cependant pas à la Mage, qui patienta tranquillement le temps qu'il reprenne contenance et bouche la tête, confirmant ses dires. Ensuite, elle le rassura avec gentillesse :
— Ne t’inquiètes pas pour ton père. Nous avons beaucoup à nous dire. Mais assieds-toi d’abord.
Le sang-mêlé se laissa tomber dans les coussins sans protester. La voix de la cheffe était chaleureuse et calme, ce qui lui donnait instantanément envie de lui faire confiance. Elle lui rappelait beaucoup son père et leurs conversations tranquilles au coin de la cheminée, alors que l'air de leur petite chaumière était encore embaumé par l'odeur des herbes qu'ils avaient écrasées dans la journée pour préparer divers remèdes. Parfois, Alessia se joignait à eux et utilisait la table pour donner vie aux histoires que Dalir racontait.
Un sentiment de culpabilité l'envahit à ce souvenir. Alessia avait tout quitté pour lui. Même s'il savait que son ami ne se sentait pas à sa place chez les elfes, elle s'était battue pendant des années pour être guerrière et essayait de construire sa vie. Et il lui avait arraché cela. Il se mordit la lèvre et baisse la tête. Plus rien n'allait dans sa vie.
— Je ne sais pas à quoi tu penses, mais ne te laisse pas envahir par des idées noires.
La voix de la cheffe du village le sortit de ses pensées et il se redressa, surpris qu'elle ait lu aussi facilement en lui. Elle caressa affectueusement sa joue, toujours avec le sourire, et reprit :
— Je me nomme Delaram. Je suis la cheffe de ce village. Et je suis aussi la sœur de Dalir.
— Sa sœur ? Je… ouah…
— Je suppose que tu ignorais tout des origines de ton père et de notre existence ?
Denzal confirma son hypothèse par un hochement de tête. Le regard sombre de Delaram se teinta de tristesse, avant de se poser sur le poignet tatoué de Denzal. Elle le saisit avec douceur et retraça les lignes des étranges caractère du bout des doigts.
— C'est mon père qui me l'a fait, se sentit obligé d'expliquer Denzal.
— Cet idiot… il n'avait pas prévu de partir avec vous.
— Quoi ?
— Ce tatouage est une sorte de lien entre toi et la magie de ton père. Tant qu'il sera en vie, il restera sur ton poignet.
— Mais… et lui ? Comment il saura si je vais bien ? Comment il me rejoindra ?
Delaram fit une légère moue. Elle ignorait tout du plan de son frère, mais elle savait une chose. Il ne reviendrait pas ici.
— La magie est limitée. L'effort que ton père a fourni pour tous vos téléporter ici devait être immense… je ne pense pas qu'il lui reste assez de magie pour se téléporter à nouveau, ou pas sur une longue distance… tu veux bien m'expliquer ce qui c'est passé ? Peut être que je pourrais t'aider…
Le jeune homme prit une profonde inspiration pour mettre de l'ordre dans ses pensées, avant de raconter à Delaram les événements de la nuit ainsi que les révélations de son père quand ses sorts avaient été levés. La Mage l'écouta attentivement, sans l'interrompe même lorsqu'il se perdait dans des explications inutiles. À la fin de son récit, elle lui tendit une tasse fumante dont l'odeur lui rappela instantanément les infusions que son père lui faisait boire lorsqu'il était malade. Il la remercia d'un sourire et avala une gorgée avant de souffler de soulagement. C'était une sensation rassurante, qu'il connaissait, bien loin de tout le chaos qui agitait sa vie depuis qu'ils avaient découvert Seelay et son équipage.
— Je suppose que tu veux retrouver ton père, maintenant ?
— Oui !
Se rendant compte qu'il avait crié sa réponse, Denzal rougit de honte.
— Désolé, bafouilla-t-il, je ne voulais pas crier… je…
Delaram interrompit ses excuses par un rire léger. Elle caressa avec tendresse ses cheveux tout en parlant d'une voix apaisante :
— Ne t'excuses pas pour cela. Je vais demander à Adel de faire venir tes amis, pour que nous discutions de ce que vous voulez faire ensuite. Mais avant… je pense que si ton père t'as caché tout cela, c'était pour te protéger de ce monde. Je respecte sa volonté, même si je ne la comprends pas réellement. Tu pourrais accomplir tellement de choses… Toutefois… prends garde aux personnes mal intentionnées. Tes pouvoirs sont à double tranchant. Si tu en fait mauvais usage… ce monde court à sa perte.
Denzal sentit un long frisson le traverser à cette phrase. La main rassurante de Delaram quitta son crâne alors qu'elle se levait pour aller discuter avec Adel, qui attendait dans la pièce principale de la maison. À peine quelques secondes plus tard, il sentit Merrigan et Alessia s'installer à ses côtés et il tourna la tête vers son amie. Sa culpabilité revint en flèche, une douleur lancinante dans son cœur qui le faisait presque suffoquer.
Tandis qu'il se perdait de plus en plus dans ses sombres pensées, Zale s’assit près de sa meilleure amie. Il ne put alors s’empêcher de remarquer la légère coloration sur les joues de l’elfe quand les iris presque transparents de l'Aegirienne se posèrent sur elle. Les deux femmes échangèrent un sourire, et Alessia se détourna rapidement vers le sang-mêlé, les yeux brillants de bonheur. Cela le soulagea légèrement et sa respiration devint un peu plus simple.
Il tourna le regard vers Bian et Seelay en entendant l'Aegirien pester contre le Lieutenant et manqua de rigoler en voyant le Dragon repousser l’aide du marin d’un coup d’épaule et en se laissant tomber un peu maladroitement sur des coussins à l’écart avant de lui grogner dessus quand il tenta de s'asseoir près de lui. Seelay leva les mains avec un air innocent avant de capituler et d'aller s'asseoir près de Merrigan, sans pour autant le lâcher du regard.
— Commençons par les présentations, si vous le voulez bien, entama Delaram, Adel m'a déjà donné vos prénoms mais vous ne connaissez pas le mien. Je suis Delaram, cheffe de cette Tribu. Sachez que vous êtes les bienvenus ici, aussi longtemps que vous le souhaiterez. Denzal, j'imagine que tu veux retourner sur cette île dont tu m'as parlé.
Denzal hocha vivement la tête avant d'ajouter qu'il ne savait pas où se situait l'île par rapport au Désert.
— L'île sur laquelle vous étiez se trouve à l’Est de Nounaïa. Le Désert, lui est, à l’Ouest. Entre deux, il y a l’Empire et le Royaume des Vampires, le renseigna Zale, et la Faille qui sépare le Désert du reste.
— Merci, Zale. Delaram vous pensez que vous pourriez… ?
— T'y téléporter ? Malheureusement, ça m'est impossible. Je n’ai plus assez de magie pour ça et les autres Mages de la Tribu ne sont pas assez puissants. Ils pourraient mourir de faire une téléportation sur une si grande distance.
— Comment puis-je faire, alors ?
— Voyager par toi-même, mon enfant. Mais je doute que tu voyages seul, n’est-ce pas ?
Le regard doux de Delaram se posa sur les autres personnes présentes. C’était une question muette. Elle leur demandait à chacun s’ils souhaitaient l’accompagner, sans leur forcer la main. Ils étaient les bienvenus dans la Tribu, mais elle ne les empêchera pas de le suivre s'ils le voulaient.
— Je vais où tu vas, Den’, confirma Alessia en serrant le bras de son ami.
— Je ne pense pas supporter longtemps un climat aussi sec, rigola Seelay alors que ses acolytes acquiesçaient, nous te suivons aussi. En plus, tu auras besoin d'un navire pour rejoindre cette île !
— Et toi, Dragon ?
Bian releva la tête, surpris qu’on s’adresse directement à lui. Il semblait pourtant savoir de quoi ils discutaient car son regard s’attarda sur Seelay, qui le fixait avec un air goguenard. Il hésita. Il aimerait tellement rester ici. Il était bien dans le Désert. C'était silencieux. Mais d'un autre côté… Il lui manquerait quelque chose. Il soupira avant de grommeler :
— Je viens aussi. Je ne laisserais pas filer ces pirates une nouvelle fois.
Denzal ne manqua pas la joie qui brilla dans les yeux lagons de l’Aegirien, qui pour une fois se retint bien de faire la moindre remarque graveleuse, et il dut retenir un petit cri heureux. Il avait envie que les choses s’arrangent entre ces deux-là, et un long voyage était sûrement la meilleure solution.
— Maman. J’aimerais les accompagner aussi.
— Adel ? Toi aussi ?
Le Mage hocha la tête. Au cours de la discussion, il s'était assis au côté de la femme, et s'était contenté d'écouter les bras croisés. Il avait donné l'impression qu'il n'en avait rien à faire, c'est pourquoi tout le monde était surpris par son annonce.
— Denzal est à moitié Mage mais il ne sait pas maîtriser ses pouvoirs, il faut lui apprendre. Et puis, ils auront besoin d’un guide dans le Désert, justifia-t-il.
— Je ne te retiendrai pas si c'est ce que tu souhaites, tu le sais bien. Mais… sois prudent, mon petit garçon.
Delaram enlaça son fils. Adel lui rendit son étreinte avec force, comme s'il pouvait lui faire passer tout son amour par ce biais. Sa mère déposa un baiser sur son front avant de caresser doucement ses cheveux, sans prononcer un mot. Leurs gestes avaient de toute façon déjà tout dit et aucun mot n'aurait pu être aussi fort.
Ce fut ce moment que choisit un Mage pour entrer dans la pièce, apportant avec lui de la nourriture et de l'eau chaude qui dégageait une délicate odeur florale. Il déposa le tout sur la table, et la cheffe leur désigna, toujours avec le sourire :
— Prenez des forces, un long voyage vous attend. Je ne vous laisserai partir que quand vous serez parfaitement reposés.
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