Interlogue : Une lame dans la nuit

— Calme-toi.

— Je... je ne peux pas !

— Je sais ce que tu ressens, je te dis de te calmer, c'est une fausse alerte !

Boyd, en nage, faisait les cent pas, sous les regards inquiets de ses amis. Ses longs cheveux blonds étaient collés à son visage par la sueur et ses grands yeux bleus étaient exorbités sous une angoisse étrange.

— Saw, je te jure... éructa l'androgyne. Elle... elle est en danger...

— Je sais ce que tu ressens, Boyd, déclara Sawyer en saisissant son ami par les épaules.

— Il faut qu'on nous y va ! Saw, please ! supplia son cadet en se dégageant violemment.

Tous les Oncles, excepté Jonah, dînaient tranquillement dans le grand appartement de Sawyer, au sud de la région parisienne, lorsqu'une vague de terreur avait submergé l'Américain. Les autres – Raven, surtout – s'étaient aussi contractés, mais seul le jeune homme n'avait pu garder contenance. Il faisait les cent pas dans la cuisine, comme un tigre en cage. Du salon montait un bourdonnement discret : les autres avaient laissé l'Irlandais Sawyer se charger du cas de Boyd.

— Tu dois te calmer, Boyd, fit Saw d'une voix plus grave que d'habitude. Elle n'a rien. J'ai l'habitude : ce que tu ressens, c'est ce qu'elle vit lorsqu'elle se fait une frayeur... une frayeur factice.

— Sawyer, je me sens mal... j'ai mal... gémit Boyd en saisissant sa propre chemise d'une main tremblante. Je veux y aller, je veux être sûr... et si c'était Oliver qui... et si elle avait eu un accident.

— Boyd, ma vieille, calme-toi, qu'est-ce qui te prend ?

— Ove, retourne t'asseoir, gronda Sawyer, je peux gérer ça seul.

Il eut fallu bien plus que des menaces pour forcer le grand Suédois à faire quoi que ce soit.

— Eh ! Boyd, moi aussi je me sens pas bien, okay ? Mais elle a rien. Tu crois que j'resterais sans bouger ? Hein ?

— N... non ? bredouilla le jeune homme en laissant des larmes couler sur ses joues.

— Et ouais. Allez, viens t'asseoir, Saw a fait un truc dégueulasse pour le dessert.

— Ove ! cracha Sawyer, furieux.

Mais, en tremblant toujours, Boyd retourna à sa place, presque supporté par Ove. Raven le regarda reprendre place face à lui et ne parvint pas à lever les yeux au ciel pour marquer son détachement. Le jeune Russe était également paralysé par la peur. Quelque chose n'allait pas avec l'Escortée. Et quoi qu'en dise Sawyer, il planait au-dessus de la tête de la jeune fille un danger plus grand qu'un simple film d'horreur.

*

Jonah fronça les sourcils et sortit de la maison de P¤¤¤¤¤¤, la meilleure amie de l'Escortée. Les deux adolescentes ne faisaient que hurler et se cacher derrière un canapé, dans le dernier étage de la grande maison. Elles regardaient un film d'horreur. Un stupide film d'horreur. Le géant prit garde à n'être vu de personne lorsqu'il bondit d'un balcon : il avait beau ne pas vivre aux États-Unis, un Noir qui s'échappe en douce d'une belle maison, en pleine nuit pouvait lui valoir de sérieux soucis. Et puis, la petite lui avait fait la morale : il s'immisçait trop dans sa vie privée.

Jo descendit rapidement la petite ruelle tranquille pour aller prendre place sur un banc, face à la Loire. Il faisait chaud, la nuit était étoilée. Son cœur battait encore sous la frayeur : il avait beau être habitué... on ne s'habituait jamais assez. Le front ridé, il leva la tête, reconnaissant les constellations de l'hémisphère nord. Dans sa langue natale, elles ne portaient pas les mêmes noms qu'ici, mais qu'importe. Le passé était le passé. Rapidement, il envoya un SMS à Sawyer, le rassurant sur la sécurité de l'Escortée. L'Irlandais répondit lentement – comme à son habitude –, expliquant que les plus jeunes s'étaient également sentis mal. Boyd, surtout. Jo soupira et rangea son portable dans la poche de sa chemise bleu ciel. Il allait s'étendre un moment sur le banc, pour profiter à loisir de la voûte étoilée, lorsque des pas se firent entendre sur le bitume encore chaud. Le Jamaïcain se redressa. Il avait conscience, après toutes ces années, que sa couleur de peau, sa stature et sa carrure pouvaient facilement terrifier. Surtout la nuit. Il n'aimait pas faire peur. Il n'aimait pas lire la surprise et l'anxiété sur les visage d'innocent. Il n'aimait plus.

Les pas convergèrent dans sa direction, alors que, d'un raclement de gorge, il avait parfaitement manifesté sa présence.

— Salut, Jonah.

Si le géant n'aimait pas faire ressentir de la peur, il n'appréciait pas y être sujet.

— Qu'est-ce que tu fais là...

Ça n'avait rien d'une question. Le géant avait grondé comme un fauve, sans se retourner. Réflexion faite : il aurait bien aimé que cette personne-là ait peur de lui. Au moins une fois. Mais cette personne-là n'avait pas peur. Pas souvent, du moins.

— Comme toi, Jo !

L'importun vint prendre place sur le banc, aux côtés du géant. Ce dernier se força à lui faire face.

Brun aux yeux noirs, un sourire de vendeur à domicile et une bouche généreuse, Oliver avait tout du type latin. Il était cependant marqué au visage par des cicatrices rondes, parfois un peu allongées, comme des grains de riz. Il les dissimulait sous des piercings argentés, ce qui donnait une impression désagréable en le regardant. C'était du moins l'avis de Jonah. Mal à l'aise, le Jamaïcain regretta d'avoir envoyé un message rassurant à Sawyer. Il doutait être de taille face à Oliver. Ce dernier sourit largement et étendit les bras. Son accent chantant rappelait le sud, l'Italie – son pays natal –, les oliviers et les cigales. Il donnait envie de devenir aussitôt son ami. Mais Jo ne savait que trop bien qu'il s'agissait d'un leurre.

— J'ai eu peur pour elle aussi, Jonah, c'est pour ça que je suis venu.

— Tu mens.

Oliver posa la main sur le cœur et adopta une expression outragée.

— Comment, Jonah ? Tu m'accuses de mentir ? Toi ?

— Tu rôdes depuis un certain temps déjà. Même si c'est la première fois que tu t'aventures si près.

— On ne peut rien te cacher, Jo ! sourit gentiment Oliver. Tu es inquiet ?

— Pourquoi t'es-tu rapproché d'elle ?

— Elle vieillit. Et puis... j'ai eu peur pour elle, moi aussi ! Leur film est bien effrayant.

Une pierre tomba dans la poitrine du Jamaïcain : Oliver se trouvait donc également dans la maison de P¤¤¤¤¤¤. Et il ne l'avait même pas vu. L'Italien aurait pu faire n'importe quoi : Jonah n'aurait rien pu faire !

— Je n'aime pas te voir aussi inquiet, Jo, admit Oliver en soupirant profondément.

— Ne me prends pas pour un imbécile.

— Je pensais en fait me présenter à l'Escortée. Elle était trop petite, quand on s'est rencontrés... et quand on s'est quittés pour la dernière fois aussi !

Jo vit luire dans les yeux sombres de son compagnon indésirable une chose atroce. Une chose qu'il n'aurait jamais voulu lire. Une chose qu'il aurait préféré ignorer. Le Jamaïcain réprima la colère qui s'emparait de lui – cette colère si dominatrice, si mauvaise... – et se leva. Oliver resta assis, les jambes croisées négligemment.

— Ove... c'est pour ça que tu as incendié...

— Personne ne peut s'opposer à moi. Encore moins un raté comme lui, fit Oliver avec un sourire que démentait son ton désormais agressif.

— Nous allons la mettre en garde contre toi, l'ignora Jonah, agité.

— Tant mieux ! C'est une adolescente. En pleine montée hormonale, elle n'a qu'une seule idée : vous contredire ! Tu ferais mieux de ne pas lui parler de moi, ajouta doctement Oliver.

— Pars d'ici, gronda le Jamaïcain, qui sentait la colère prendre possession de lui. Tu n'es pas chez toi.

— Oh que si...

Jonah, les yeux écarquillés, remarqua trop tard l'éclair que la lumière du lampadaire fit briller entre les mains de l'Italien. Le coup plus que la morsure de l'acier lui vida les poumons et, la bouche remplie de sang, il tomba à genoux devant Oliver, qui avait bondi sans que le géant puisse cligner des yeux. Avant de tourner les talons, l'Italien essuya la lame couverte d'un sang rouge et chaud sur la chemise bleu ciel de Jo. La voix aimable, il murmura :

— Je suis chez moi.

*

Voilà ! Comme promis ;-)
J'espère que ça vous a plu ?? Qu'en avez-vous pensé ?
Que pensez-vous de Oliver ? Je pense qu'il reviendra bientôt, pas vous ?
Bon dimanche ! :-D
Sea

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