Interlogue : Rage pure

— Je vais les tuer ! Je vais les massacrer, t'entends ?

— Ove ! Maintenant, ça suffit !

Nuka avait forcé le jeune homme à monter dans la voiture de Jonah, qui était resté avec l'Escortée. Les larmes aux yeux, le Scandinave essuyait le sang qui coulait sous son nez.

— Regarde ! Mais REGARDE, PUTAIN !

— J'ai vu, Ove.

— Calme-toi, dude, souffla Boyd, qui était lui aussi monté dans la voiture.

— T'as vu ce qu'elle m'a fait ?! s'insurgea le Suédois en se tordant le cou pour dévisager l'Américain.

Ce dernier, très impressionné par la scène violente qui venait de se dérouler, recula, se plaquant en arrière. Les yeux de glace de son ami l'avaient transpercé comme jamais auparavant. Nuka actionna la fermeture automatique des portières et saisit la clef du véhicule que Jo abandonnait toujours sous le siège conducteur. Ove se débattit contre sa propre portière :

— Non ! Tu m'emmènes nulle part ! Je vais lui parler à cette sale peste, cette petite conne pourrie gâtée ! Je vais...

— C'est bien pour cette raison qu'on s'en va, Ove, rétorqua calmement le médecin en s'engageant dans la rue. Tu es nul en psychologie. Plus nous tentons de la convaincre, plus Oliver apporte des preuves de son innocence... et plus nous la dressons contre nous-mêmes. Si tu fais un scandale, elle te chassera de chez elle et elle aura raison.

Ils abordèrent le pont qui traversait la Loire et Ove cessa de tenter de s'échapper. Boyd lui tendit un mouchoir en tissu pour qu'il s'essuie à nouveau : il saignait toujours.

— Et elle m'a décollé la tête, en plus !

— Ove, tu l'as provoquée, gronda Nuka, qui conduisait de plus en plus vite.

— Tu veux pas aller moins vite, Nuka ? demanda Boyd d'une toute petite voix.

— Fous-moi la paix.

Ove fronça les sourcils : il n'était plus assez en colère pour ignorer l'étrange accent que l'Amérindien avait pris.

— Eh, Docteur Jekyll, calme-toi, hein ?

Le silence du conducteur inquiéta ses deux compagnons. Tout en passant la main sur sa joue encore douloureuse, le Suédois se tourna vers le médecin :

— T'as pris ton traitement, ce matin ?

— En quoi ça te regarde ?! siffla Nuka en mettant le pied au plancher.

— Ove, arrête la voiture ! Arrête-le ! s'exclama soudain Boyd. Où est-ce qu'il va ?!

— Nuka, tu vas où ?! répéta le Suédois sans oser poser la main sur le volant.

Les yeux en amande de l'Amérindien étaient devenus métalliques, son nez froncé n'annonçait pas de bonnes choses et ses lèvres généreuses s'étaient affinées. Il était dans un état de fureur rare. Ove ne l'avait jamais vu ainsi. La voiture de Jonah s'engouffra dans la forêt solognote et accéléra encore. La route s'étrécit. Ove comprit que la gifle qu'il avait reçue quelques minutes plus tôt était le cadet de ses soucis.

— Nuka, t'as pas pris tes cachets ! Arrête ! Tu vas nous tuer ! hurla le Suédois.

— Comme si on pouvait mourir... grinça Nuka avec un sourire mauvais.

— Nuka, s'il te plaît, tu peux tuer quelqu'un d'autre, intervint Boyd, en se plaquant contre le siège du conducteur.

Pour toute réponse, l'Amérindien accéléra encore.

Ils traversèrent la Sologne sans décélérer, évitant soigneusement les autres usagers et animaux imprudents. Après une petite heure de voyage, après que Nuka ait filtré tous les appels de Jonah ou Jin, ils s'arrêtèrent devant une propriété entourée d'un parc à l'anglaise.

— Tiens ! Il est là ! Va lui dire ! Si tu veux emmerder quelqu'un, va l'emmerder, lui ! cracha l'Amérindien, toutes griffes dehors. Arrête de toujours en vouloir à cette pauvre gosse !

L'hiver avait recouvert de givre le parc et la grande demeure. Une silhouette, ameutée par les rugissements du véhicule, apparut sur la terrasse. Ove se figea.

— C'est lui... souffla-t-il.

— Ove, s'il te plaît, fais pas ça ! supplia Boyd, retenant son ami par les épaules. Jo serait pas d'accord ! Saw non plus !

— Lâche-moi !

— Nuka ! You son of a bitch! Démarre ! Démarre la voiture ! Non !

Au contraire, Nuka déverrouilla les portières et le Viking, furieux, jaillit de l'habitacle. Il lança un puissant juron en suédois et se rua vers la terrasse. Boyd, mort d'inquiétude, insulta à son tour Nuka et sortit en toute hâte sur les pas de son ami. L'Amérindien saisit son paquet de cigarettes et, s'asseyant sur la règle de Jonah qui ne souhaitait pas que l'on fume dans sa voiture, décida qu'il pouvait bien en griller une.

La silhouette, sur la terrasse, ne bougea pas, apparemment divertie par le spectacle qui s'offrait à ses yeux. Nuka détourna le regard, soufflant la fumée par la fenêtre, son nez commençant déjà à rougir sous les rigueurs de saison. Une violente déflagration fit vibrer les vitres de l'automobile. Le conducteur ne sursauta pas, il ne poussa pas même un soupir. Il perçut les cris de fureur du Suédois et comprit qu'il avait vu juste.

Boyd avait eu raison : il aurait dû prendre ses médicaments. Nuka mettait tout le monde en danger lorsqu'il ne les prenait pas. Mais il fallait que Ove comprenne. Il fallait que cette tête de mule réalise pourquoi Oliver l'utilisait. Comment il le manipulait.

Nuka souffla la dernière bouffée de fumée en l'air et observa la scène : devant la terrasse, à quelques mètres, le Viking s'était agenouillé devant une forme sombre recroquevillée sur la terre gelée. L'Amérindien était trop loin pour le certifier, mais il savait que Boyd baignait dans son propre sang. Il se leva et marcha jusqu'à la terrasse, dépassant le Suédois silencieux qui tentait d'endiguer l'hémorragie.

— Couvre-le, conseilla le médecin du bout des lèvres. Il fait froid.

Oliver, qui avait posé sur le rebord de la terrasse un pistolet encore chaud, s'accouda lorsqu'il vit Nuka arriver : 

— Comment a-t-elle réagi ? ricana l'Italien. Mal, pas vrai ? Et lui ? Cette pauvre tâche n'a toujours pas compris ?

— J'aimerais bien que tu cesses de nous importuner.

— Oh, non ! Rapp allait enfin se faire des amis ! Déjà qu'il ne dort plus dans sa voiture sur des parkings à cause de vous...

— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? demanda Nuka qui s'était étrangement calmé.

Il ignora le cri de douleur que quelqu'un poussa derrière lui. Boyd venait de se réveiller. Ou bien la réalité de sa situation venait de rattraper Ove.

— Rapp ? Il m'a insulté !

— Passe l'éponge ! rétorqua froidement Nuka. Tu sais très bien qu'il n'est pas aussi fort que toi.

— Il m'a dit que j'étais un lâche. Il a dit qu'Eva avait fait de moi un esclave et que j'étais trop lâche pour l'admettre.

— Mais...

— Il a aussi parié la vertu d'Eva qu'il parviendrait à trouver une solution à la... à notre... situation. Un pari qui ne valait pas bien lourd, d'après lui. Il a dit cela devant Eva. Je ne peux pas le lui pardonner.

Et Oliver referma les mains sur la rambarde blanche de la terrasse, son visage se crispant violemment.

— Il l'a insultée... ajouta-t-il entre ses dents. Il l'a injuriée et il ne faut pas injurier...

Nuka remarqua que l'Italien avait la voix soudainement plus claire. Il vit les muscles de son cou se contracter brutalement. Oliver se mit à trembler, se courba en deux, frissonnant. Le médecin crut qu'il s'agissait d'un piège – après tout, l'arme était toujours posée là, sur le rebord en pierre de la terrasse ! L'Amérindien n'attendit pas une seconde et bondit. Il escalada le mur, il vola presque, et atteignit le pistolet en un instant. Oliver était resté figé, plié en deux, les coudes sur la rambarde. Des images défilèrent sous les yeux de Nuka : Ove dans un lit d'hôpital, les membres brisés, l'incendie, un nourrisson prématuré, la noyade, l'empoisonnement de Léa, les tortures infligées à Sawyer. La malédiction qui les tourmentait. Oliver, lui, en profitait. Et maintenant, l'Escortée pensait qu'il était un héros, un chevalier au grand cœur. Nuka vit rouge.

Lorsque le médecin reprit une parfaite conscience de ce qui l'entourait, des bras puissants le plaquaient contre la pierre froide. Un pistolet vide et brûlant se trouvait à quelques mètres et du sang rouge sombre souillait désormais la blancheur immaculée de la terrasse.

— Nuka, arrête ! Calme-toi !

Le désespoir pointait dans la voix de Ove. Ce dernier avait quitté Boyd, qui gisait encore au sol. Il n'avait pas supporté de voir Nuka vider l'arme sur Oliver. De le voir se jeter sans merci sur le corps étrangement tétanisé de leur ennemi. De le passer à tabac. Ove repensait au coup de feu qui avait étendu Boyd : il avait compris. Mais Nuka n'était pas mauvais. Si ? Non. Nuka était l'un de leurs mentors, il ne pouvait pas s'acharner de façon si barbare sur un homme à terre.

Bien sûr, Oliver – contrairement à Boyd – ne mit pas longtemps à se relever, malgré les blessures sanglantes qui lui couvraient désormais le corps. Nuka dévisagea son ennemi, réalisant que oui, il aurait dû prendre son traitement lorsqu'il était encore temps. Ove, sans se préoccuper davantage de l'Italien, entraîna de force le médecin vers Boyd, qu'ils emmenèrent dans la voiture. Ce fut le Scandinave qui prit le volant, la rage au cœur à l'idée de s'enfuir ainsi comme des voleurs. L'Américain reprenait peu à peu conscience. Il souffrait le martyre. À ses côtés, Nuka lui apportait les premiers soins, par pur réflexe. Il ne songeait qu'à deux choses, en réalité : le regard de haine pure que Oliver avait accordé à Ove.

Et le fait que le menton et la poitrine de l'Italien, lorsqu'il s'était redressé, étaient couverts de salive.

*

Merci pour votre lecture ! J'espère que ça vous fait toujours plaisir, comme j'ai assez peu de retour ^^" !

Plein de bisous, merci à ceux qui partagent, votent et laissent des critiques et autres commentaires :-)

J'avais vraiment aimé écrire ce passage : j'espère qu'il vous aura également plu :-*

Sea

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