Connexion #83
Après deux heures de torturante attente, Jin et moi nous sommes levés pour nous rendre directement vers la chambre de Raven.
— Tu sais où il est ?
— Nuka m'a dit que c'était chambre 314, service ophtalmologie. On va bien voir si Raven y est toujours... Si on s'est trompés, il suffira de retourner demander notre chemin à cette adorable hôtesse d'accueil.
— Nuka est dans la clinique ?
— Non.
Mes jambes – je ne sais pas pourquoi – ont flageolé lorsque nous sommes parvenus devant la porte de la chambre 314. Elle était entrouverte, le Chinois n'a eu qu'à la pousser pour entrer.
Raven était le seul occupant de la pièce. Il m'a semblé encore plus pâle, encore plus mince qu'avant, accoutré d'un immense pyjama d'hôpital. Il nageait littéralement dedans. Et ce n'était pas qu'une illusion donnée par le large habit : le jeune homme devait avoir perdu plusieurs kilos. Une perfusion avait été appliquée à son bras droit et des bandages maintenaient contre ses yeux deux pansements blancs et ronds. Il n'y avait pas de sang. Ni Jin ni moi ne savions s'il dormait, car sa tête reposait sur l'oreiller et il avait la bouche fermée. Presque sur la pointe des pieds, nous nous sommes approchés du chevet du malade. Au moment où Jin déplaçait une chaise pour s'asseoir dessus, Raven s'est redressé en effectuant un lourd effort :
— Qui est là ?
— Bonjour, Raven. Rallonge-toi, c'est Jin. Je suis venu avec la gamine.
Impressionnée de le voir ainsi alité, j'ai eu du mal à prononcer les premiers mots :
— Salut, Raven. Je... je t'ai amené des M&M's.
Le bruit des friandises qui se sont entrechoquées dans le sachet a résonné dans la chambre. J'ai posé le paquet sur la table de nuit.
— Encore des cochonneries bourrées d'additifs, c'est ça ? a grincé le malade. Évite de penser à m'acheter quelque chose, la prochaine fois... Merci d'avance.
Alors lui, hein ! Il pourrait avoir deux jambes en moins, être sourd-muet et pestiféré, il trouverait encore le moyen de vous faire des réflexions désagréables ! Indécrottable, je vous jure !
— Eh bien je vois que les tranquillisants ne font plus effet. Tu devrais demander à ton médecin de doubler la dose, Raven.
— Toujours aussi aimable, petite idiote. D'ailleurs je ne sais pas ce qui t'as pris de venir me voir.
J'ai ouvert la bouche pour répliquer vertement, mais Jin a froncé les sourcils.
— Ils t'ont dit quand tu sortirais, Raven ? s'est-il enquis.
Boudeuse, je me suis rabattue sur les M&M's.
— Pas avant la fin de la semaine. Ils voulaient faire un tour d'inspection à mon domicile, pour décréter quels seraient les changements à effectuer, mais Nuka leur a dit qu'il s'en chargerait.
— Tu comptes retenter une...
— Non.
Sa réponse a été nette, catégorique. Jin a eu le tact de ne pas plus l'interroger, mais j'ai pris le relais, songeant qu'il ne méritait pas autant de doigté vu son caractère de cochon.
— Et pourquoi ça ?
— De quoi je me mêle ? Ça ne me dérange pas tant que ça d'être aveu...
Pour le coup, la réflexion qu'il allait conclure m'a échauffé le sang.
— Excuse-moi, mais je ne vois pas bien à quoi ça sert de toujours vouloir t'enfermer dans un carcan de solitude. Tu regardes tout le monde de haut, comme si tu étais meilleur que nous tous...
Jin a soupiré mais n'a rien fait pour m'empêcher de livrer ce que j'avais sur le cœur.
— ... mais comment tu peux savoir ce que tu vaux si tu ne vis pas un peu avec les autres, hein ? Tu crois que c'est plus facile de surnager, de se laisser flotter sans rien faire ? De ne pas se battre ? C'est ça que tu crois ?!
Avec le recul que j'ai, je m'aperçois que ma tirade ressemblait pas mal à celles qu'on trouve dans les bonnes grosses séries américaines. Mais attendez, je n'avais pas fini.
— Mais tu sais que les seules choses qui surnagent, en vrai, c'est tout ce qui est pourri, tout ce qui est mort ! On t'offre des solutions inespérées, il y a des tas de gens qui vendraient leur parents au rabais pour pouvoir accéder à ce qu'on te propose ! Toi qui donne sans cesse des leçons de morale, qui lance des piques cyniques à longueur de journée, tu peux me dire pourquoi tu adores rester dans ton coin sans rien faire d'autre que de critiquer les autres ? Tu as déjà essayé de vivre ? Hein ?! Et d'être humain, t'as déjà essayé d'être humain une fois dans ta vie ? Non, parce que tes grands airs, tu peux te les garder ! Monsieur Raven ne supporte pas de se mêler à la populace, il refuse de se retrouver dans la tourbe, c'est ça ? C'est pour ça que tu préfères rester aveugle ? Pour ne pas voir les autres ? On n'est pas assez bien pour toi ? Notre vue te révulse ? Et ben dis-le, qu'est-ce que t'attends ?! Dis-le !
J'avais chaud. D'ordinaire, à la fin de mon monologue, me rendant compte de ce que je venais de dire, j'aurais rougi jusqu'à la racine des cheveux pour ensuite présenter à Raven mes plus plates excuses. Mais là, je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris. Ça me faisait du mal de voir cet idiot se laisser dépérir année après année. Plus je le connaissais, plus il s'isolait. J'ai insisté :
— Vas-y ! Dis-le !
Le malade est resté la bouche ouverte. Il n'a rien ajouté à ce que je venais de lui servir. Surpris, sans doute. Dérouté, peut-être ? Non, un Raven ne peut être dérouté. Quoi qu'il en soit, Jin s'est relevé :
— Bien, je crois que ça suffit comme ça. On va te laisser te reposer. Tu en as besoin.
N'allez pas croire que l'Asiatique a fait là preuve de bienveillance, oh que non ! Son ton suintait l'ironie.
Au moment où on allait quitter la chambre, j'ai entendu un :
— Hé !
Raven est comme Iphicrate dans L'Île des Esclaves. Il m'appelle « petite idiote » ou « Hé ! » Habituée à ce genre de surnom, je me suis retournée. Impérieuse, la taciturne personne m'a ordonné :
— Amène-moi le paquet de M&M's, je n'arriverai pas à l'atteindre tout seul.
Pas un « s'il te plait », ni même un « merci », mais ce qu'il venait de faire valait toutes les politesses du monde.
Bon. À part ça : que vous dire sur la baraque de Jin ? Déjà, ce n'est pas une maison, c'est un appartement. Un peu miteux, d'ailleurs, l'appartement. Le Chinois n'a aucun sens de l'harmonie décorative, ou alors il en a un sens très avant-gardiste. Bref, l'appart' n'est pas petit mais il y a plein de pièces, ce qui donne l'impression d'être dans un endroit exigu. J'ai une chambre rien que pour moi. Il y a un matelas à même le sol, un bureau, une bibliothèque et un cactus. Jin m'a rendu mon ordinateur, donc j'en ai profité pour tout vous raconter.
Lorsque nous sommes arrivés, il m'a demandé de ne pas le déranger parce qu'il devait travailler. Ça fait une heure qu'il attend le livreur de pizza. Ah ! La sonnerie retentit. Je l'entends qui se lève. Il me semble furieux.
— Ça va barder...
La porte s'ouvre :
— DITES-DONC, ÇA FAIT TROIS PLOMBES QUE JE...
— Hey ! Zen, le vieux ! Tu vas nous faire un AVC si tu continues à gueuler comme ça !
— Ah, c'est toi. Entre.
— Qui c'est qu't'attendais avec autant d'empressement ? Ton rencard du mois ? Elle est bien roulée ? Aouch !
Si je comprends bien, un dîner avec mes deux Oncles préférés m'attend... Je vous laisse, je vais voir s'il y a une connexion WiFi dans la maison. Quoi ? Mais pourquoi j'irais dire bonjour à Ove ? Je l'ai déjà eu au téléphone, souvenez-vous...
*
Wouaouh !!! Merci pour votre enthousiasme pour le dernier chapitre !!!
J'espère que celui-ci vous a plu... même si je pense qu'il en a déçu certains. La relation entre l'Escortée et Raven est extrêmement compliquée, et le jeune homme a de grosses blessures du passé qui l'empêchent encore de s'ouvrir aux autres mais... ça viendra ;-)
Encore merci pour tout !
Sea
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