Connexion #55
Il m'a fallu attendre deux heures pour que mes parents décident de se rendre au village pour faire les courses. À pied. Alors qu'une saucée se préparait. Dès qu'ils ont tourné le dos à la maison, j'ai rejoint mes Oncles pour leur dire qu'ils pouvaient venir prendre le petit déj' dans la cuisine s'ils le désiraient. Mais visiblement, ils n'avaient pas eu besoin de moi. Jonah et Nuka avaient pris soin de ne pas arriver les mains vides.
— Chalut, la puche, cha va ?
— Cha va bien, Cho, et toi ?
— Ch'est...
Il a dégluti le croissant luisant de beurre qui lui dépassait du gosier.
— Ce n'est pas drôle, a-t-il souri. Tu en veux un ?
— Jonah, est tout de suite intervenu Nuka, elle a déjà mangé et de toutes les manières, il n'y a pas assez de viennoiseries pour tout le monde.
Ce type est un ventre sur pattes. Il a ramené à lui le sac en papier bourré de croissants et de petits pains au chocolat et l'a jalousement encerclé de ses deux bras. Malheur à qui aurait tenté d'ôter au dragon la Toison.
— C'est gentil de proposer, Jo, ai-je souri tandis que Nuka s'empiffrait comme un goinfre. Mais j'aurais peur que notre toubib favori me mange la main. Vous avez bien dormi ?
— Très mal, a aussitôt répondu Raven – qui, ô miracle, portait ses lunettes pour lire son gros bouquin –, j'espère que cette nuit nous aurons un lit chacun. Pas ces affreux sacs de couchages sans aucun rembourrage.
Il a levé un sourcil en direction de Sawyer. Tandis que ce dernier le rassurait quant à la nuit prochaine, Boyd est passé derrière moi pour me susurrer au creux de l'oreille :
— Je me demande à quel type de rembourrage il faisait allusion...
— Boooyd, l'ai-je réprimandé d'un ton faussement indigné.
Je lui ai donné un coup de poing au creux du ventre, et il a failli recracher son café décaféiné sur Jin qui consultait son iPhone.
— Et qui c'est, la larve qui dort encore à cette heure ?
— Bah ?! Tu l'as pas reconnu, Pretty Young Thing ? C'est Ove.
L'Américain était sincèrement surpris. Il a encore du mal avec le concept de « question rhétorique » et de « sarcasme ». Sawyer s'est resservi un verre de lait pour soupirer :
— Allez, Ove, debout ! Tu n'aurais pas dû te coucher si tard. Je crois que tu t'empâtes à force de rester trop longtemps au lit, c'est mauvais pour la santé. Après, tu te décales totalement, tu es de mauvaise humeur jusqu'à neuf heures du soir, et à partir de cette heure-là, tu es surexcité. Ton mode de vie est tout à fait malsain...
Plus personne ne l'écoutait. Il est terrible quand il s'y met. Ma prof d'anglais est pas mal dans le même genre, mais elle ne l'a jamais battu.
— De plus, je ne serais pas le seul à te le dire : le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt !
— ... et les meufs à ceux qui s'couchent tard.
La réplique enrouée était montée du tas auquel Saw adressait sa harangue depuis tout à l'heure. Un-zéro. Avantage Ove. Nous avons tous bien entendu éclaté de rire, et Sawyer s'est renfrogné. Il ne pouvait pas sortir comme une diva parce qu'il commençait à pleuvoir à verse.
Le Scandinave s'est levé sans sortir du sac de couchage et s'est avancé jusqu'à la table à grand peine. Il est parvenu à ne pas se casser la figure, tenant tant bien que mal le sac sur ses hanches. Je ne porte pas mes lunettes correctrices à la piscine, donc je n'avais pas vraiment remarqué ce détail, mais Ove a des abdominaux en béton armé. J'ai buggué un petit moment sur ce point, avant de me gifler mentalement. Allô ! C'est Ove, ma vieille ! Quelle idiote. Par bonheur, personne n'a remarqué mon moment d'égarement : presque tout le monde observait le Scandinave d'un air amusé.
— Pousse tes grosses fesses, Jin, j'vais tomber.
— Tombe. MAIS PAS SUR MOI !
Heureusement pour le Viking – qui doit être un peu maso –, ce qu'avait reçu le Chinois sur son iPhone était trop important pour qu'il puisse s'en détacher. Il a donc repoussé Ove d'un simple coup d'épaule. L'autre s'est tortillé comme il pouvait pour s'installer entre Boyd et moi.
— Ah, t'es là, p'tite conne ? a-t-il soufflé en me découvrant.
— Tu sais que tu peux sortir de ton cocon, lui ai-je rétorqué en tirant un peu sur le sac de couchage. Tu es du Grand Nord, toi. Tu ne dois pas être frileux.
— Hé ! Moi non, mais tes yeux innocents doivent, eux, être un poil frileux... Remarque que si ça te dérange pas, je peux...
Tous les autres ont fait :
— NON.
— Merci, j'aimerais finir ce repas sans vomir sur la table, a grogné Sawyer.
— Raaah ! Mais c'est dégueulasse, Ove ! ai-je crié.
Je venais de comprendre. Personne n'a dit que j'étais rapide à la détente le matin entre onze heures et midi. J'ai bondi pour rejoindre le banc opposé, de l'autre côté de la table.
— J'vois pas c'qui t'dérange, p'tite prude. J'te f'rai dire que j'suis plus couvert là que hier, à la piscine.
— C'est vrai, ça, a relevé Boyd tout sourire. Ce n'est pas si dérangeant, après tout...
— Boyd, si ç'avait été toi, okay. Mais là... on parle quand même de Ove.
J'avais pris l'air le plus catastrophé possible, ce qui n'a pas plu au Scandinave.
— Non, mais oh, la limande humaine ! J'te permets pas !
— J'te signale que quand on est sorti avec une star de porno, on se la ramène pas, pauvre tache !
— Et toi...
Honnêtement, oui, c'était puéril. Gamin. Pire que ça, même. Je m'en rends compte en l'écrivant. J'ai cru entendre Jo glisser à Sawyer un « C'était drôle un moment, mais là... ». L'autre a soupiré, et, voyant que le ton montait, a failli prendre la parole. Mais c'est Jin, que nous dérangions depuis tout à l'heure, qui a frappé un grand coup avec son poing sur la table en explosant :
— BON, MAINTENANT, FERMEZ-LA ! VOUS ÊTES PÉNIBLES À LA FIN ! Et voilà, j'ai perdu la connexion... Ta nade !
Je vous ai déjà dit qu'il valait mieux faire profil bas dès que Jin employait sa langue natale ? Ove et moi avons fait profil bas. J'ai pris un donut pour m'occuper la bouche, parce que j'en avais encore de salées à lui dire. Raven a levé les yeux de son livre.
— Oh ! Écoutez...
J'ai cru que mes parents revenaient à cause de la pluie. Gros stress.
— Quoi ? Quoi ? Quoi ?! ai-je répété, prête à décoller.
— Toi et Ove êtes ensemble à la même table et il n'y a pas le moindre bruit.
Il a profondément inspiré et a lâché :
— Saint Jin, priez pour nous.
Je les ai laissés là pour aller dresser la table. Mes parents viennent de rentrer, j'espère qu'on ira jouer au babyfoot ou au ping-pong dans le château. Les Oncles sont sensés planquer leurs affaires dans la journée et ce soir, Sawyer m'a dit qu'ils allaient se répartir dans les différents lits de la maison. Ça promet...
*
Comme promis à certaines (;-)) : j'ai ajouté un petit détail inédit à cette scène !
J'avais juste ADORÉ écrire ça, à l'époque. Vraiment. J'espère que vous aimez toujours autant le lire :-D
Merci mille fois à ceux qui sont venus m'encourager sur les réseaux sociaux et à ceux qui ont acheté mes bouquins !!!! Vous êtes des amours ! 💖💖💖
Bonne journée !
Sea
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top