Stand up and fight (1)

Désolée, ça fait trois jours, je sais. J'ai commencé à apprendre à me battre sans que Saw me dise à l'avance quels coups enchaîner. J'ai trouvé que j'avais pris beaucoup de muscle. Trop pour que ça soit normal, d'ailleurs, en si peu de temps. Un soir, alors que l'Irlandais se trouvait à mes côtés dans la salle de bains pour vérifier une petite entorse qu'il m'avait faite au pouce, j'ai indiqué par un geste que je désirais poser une question. Pour une fois, il m'y a autorisée sans négocier.

— C'est normal que mes muscles se développent aussi vite ?

— Chez toi, oui.

Point à la ligne. Il n'empêche : je ne trouve pas ça normal, je suis sûre que ça a un rapport avec cette histoire de « Shalhebito ». J'ai essayé de faire comme si je considérais sa réponse parfaitement acceptable, alors que mon côté cartésien ne l'acceptait pas du tout et j'ai profité du fait qu'il m'avait autorisée à parler pour réclamer le droit de poser une seconde question.

— Hmm. Bien. Ce sera la dernière, m'a-t-il prévenue d'un ton menaçant.

— Comment ça se fait que mes parents n'aient pas déjà appelé la police, Sawyer ? Que tout le monde trouve la situation normale ? Qu'ils l'aient trouvée normale... aussi vite, du moins ?

Le Proscrit a cessé un instant de respirer. J'ai cru que j'allais me faire gifler parce que je n'avais pas fait de phrase courte, mais il a fini par souffler :

— Disons que je... qu'il existe des... méthodes de persuasion que les Vétérans seuls peuvent employer. Que je sais employer, pour ma part, même si tous les Proscrits ont cette capacité à se rendre discrets de façon assez surnaturelle. Tes proches ne se rendent pas réellement compte de ce par quoi tu passes, si ça peut te rassurer.

— Comment tu... Pardon.

Le regard qu'il m'a lancé m'a fait baisser les yeux et rentrer la tête dans les épaules. Je brûle de savoir quelle « méthode de persuasion » Sawyer utilise, pas vous ? Je me demande si ça a vraiment rapport avec sa qualité de Proscrit ou bien s'il s'agit d'une technique celtique d'hypnose ancestrale... parce qu'il l'utilise aussi contre mes autres Oncles, j'en suis certaine.

Sinon, comme d'habitude, je me suis fait crier dessus à longueur de journée. Mon entorse au pouce, quoique vraiment mineure, me lançait à chaque frappe que je devais donner. Dans l'après-midi, Sawyer m'a emmenée en voiture dans la forêt. J'ai discrètement jeté des coups d'œil dans les rétroviseurs, mais je ne voyais personne nous suivre. J'ai eu peur que Sawyer ne m'enlève loin des autres Oncles et qu'il dévisse à nouveau ou m'emporte chez Oliver et Eva, mais je savais pouvoir faire confiance aux autres Proscrits. Jonah n'était pas fou. Il pleuvait fort, et le sol dégorgeait. J'avais l'impression de marcher dans de la colle à papier. Là, le rouquin m'a enseigné comment me battre malgré un environnement gênant : les arbres et les buissons épineux, notamment. Il m'a même appris à utiliser cet environnement à mon avantage. J'aurais dû me douter que ça sentait mauvais lorsque, une fois l'après-midi finie, Sawyer a redoublé d'efforts pour attaquer. Nous n'avions pas échangé un seul mot durant toute cette session. J'ai entendu un craquement du côté de mon adversaire, alors que je m'entraînais à employer le tronc d'un chêne pour majorer une de mes attaques.

— Ici ! a aboyé Sawyer.

Je me suis approchée.

— Attaque, en bélier !

Je me suis projetée de toute la force de mon corps dans sa direction, exactement comme il me l'avait enseigné plus tôt. J'ai vu la branche qu'il tenait une seconde trop tard, mais je l'ai très bien sentie s'enfoncer dans ma cuisse. Une vague de panique a déferlé en moi : jamais au cours de notre entraînement il ne m'avait attaquée avec une arme. J'ai cru qu'il était redevenu cinglé, comme la fois où il avait blessé Jonah, dans l'aéroport, mais l'Irlandais affichait un calme olympien. Il était glacial, en réalité :

— Parfait. Lorsque je me fatigue à te dispenser des leçons primordiales, peut-on savoir où se trouve ton esprit ? Lâche-moi cette jambe, elle ne va pas partir sans toi et redresse-toi ! Redresse-toi ! Tu es ridicule !

À contrecœur, j'ai cessé de maintenir le point de pression nécessaire pour empêcher la plaie de saigner. La branche dépassait toujours du sarouel détrempé, elle était fichée profondément dans une région externe de ma cuisse et le morceau de bois ne suffisait pas à empêcher le sang de couler, comme dans les films. Malgré tout, j'ai éviter de le retirer. J'avais vraiment envie de le retirer de ma plaie, quitte à ce qu'il se casse dans ma cuisse ou que je me vide de mon sang, je m'en fichais. Tant que je ne voyais pas l'extrêmité de la branche sortir de ma cuisse. J'ai crispé ma mâchoire pour retirer mes larmes.

— Tu as intérêt à ne pas te mettre à pleurnicher, a insisté Sawyer d'une voix menaçante. Enfin, c'est hallucinant ! Ça doit bien faire, quoi... dix jours ? Quinze jours ? Et tu te laisses prendre à un piège dans lequel un gamin de six ans ne serait pas tombé ! Mais qu'est-ce que je t'ai appris ?!

Il me tournait autour, sous la pluie battante qui ne semblait pas le gêner le moins du monde. Vous savez ce qui était le pire ? La déception dans sa voix. J'ai baissé la tête. La honte qui me submergeait faisait battre le sang à mes tempes encore plus fort que dans ma cuisse, au niveau de la blessure.

— Qu'est-ce qui a bien pu entrer dans cette boîte vide, là, hein ?! Ní mórán thú, cac ar oineach! (1)

L'Irlandais m'a frappée du majeur et de l'index sur le crâne.

— Une branche d'arbre, a ironisé Sawyer d'un ton quasi-désespéré. Tu n'avais pas entendu le craquement lorsque je l'ai brisée ?

— S... si...

— Tu n'avais pas vu que mon épaule partait dans une direction contraire à celle permettant un coup franc ?

— Si.

— Tu avais analysé ce que j'avais dans les mains avant d'attaquer en bélier ?

— N... non.

Il s'est un peu éloigné, me tournant le dos. Lorsqu'il m'a à nouveau fait face, il a croisé les bras et a secoué la tête, assénant comme un couperet :

— Je n'y arriverai pas.

Malgré le froid, mes joues étaient en feu. Je savais que j'étais rouge de honte.

— Et tu sais pourquoi je n'y arriverai pas ?

Je ne parvenais plus à articuler le moindre mot. J'étais mortifiée au pire sens du terme.

— J'AI POSÉ UNE QUESTION !

— N... non, je ne sais pas.

— Parce que, ma très chère petite amie, c'est toi qui ne veux pas y arriver.

J'ai relevé les yeux, soudain électrisée. Ça, c'était faux.

— Je...

— Tu rechignes à faire ce que je te dis de faire. Tu n'y mets aucune bonne volonté !

— Non, je...

— Ne me réponds pas ! Tu considères tout ce qu'on fait comme une corvée dont tu crois devoir t'acquitter pour faire plaisir à tes parents, aux Proscrits, et pour être en paix avec ta conscience ! Tu ne te rends même pas compte de l'énergie démentielle qu'il me faut fournir pour t'aider, une fois de plus, à atteindre un but que tu ne te fixes même pas ! Tu es une enfant, puérile, sans ambition ! Tu es passive dans tout ce que tu entreprends ! Tu veux seulement te défendre contre des « méchants », a fait l'Irlandais en me singeant. Au mieux, tu vas me dire que c'est ton âme noble et pure qui te pousse à te dire que tu devrais aussi nous défendre, c'est ça ? Eh bien si ce sont tes seules motivations, reste chez toi, nous n'avons pas besoin de quelqu'un comme toi !

— Mais...

J'avais envie de hurler. Plus à cause de ce qu'il disait qu'à cause de la douleur lancinante dans ma cuisse, mais Sawyer ne m'a pas donné l'occasion de répondre.

— On ne te demande pas de te défendre, petite conne ! a-t-il craché. Si c'était le cas, j'aurais demandé à papa et maman de t'inscrire à des cours de self-défense féministe ! Tu écoutes ce que je dis ?! On ne t'a jamais demandé de te défendre ! On te demande d'attaquer !

— Saw ! ai-je gémi d'une voix plaintive. Je suis déso...

Erreur fatale. J'ai senti l'une des mains du Proscrit s'enrouler en minerve autour de ma gorge pour faire basculer ma tête dans un angle douloureux. Un choc très violent, au niveau du sternum a suivi sur le champ. J'ai cru qu'il m'avait donné une décharge électrique avec un taser ou un quelconque shoker, mais il ne s'agissait que d'un coup de poing. Néanmoins, la douleur m'a coupé la respiration et m'a mise à genoux. J'ai commencé à saliver abondamment.

— Tu me dégoûtes, a conclu Sawyer en me faisant à nouveau m'étaler dans une boue mêlée de feuilles et de brindilles. Démerde-toi pour rentrer, tiens. Si tu n'es pas là-bas à six heures, on arrête. On arrête tout. Je ne te laisserais même pas dire au revoir aux autres, j'espère que j'ai été clair.

Il a jeté un truc devant moi. Je suis restée pliée en deux, essayant d'évacuer la souffrance et la honte. J'étais tellement concentrée sur la gestion de mon stress et de ma douleur que ne l'ai même pas entendu repartir. Tout ce que j'arrivais à faire, surtout après le choc que je venais de recevoir à la tête – oui, il m'avait frappée en plein sur le crâne, remerciements de la part de mes neurones – c'était me concentrer suffisamment pour ne pas tomber dans les pommes.

*

(1) Suite d'injures gaéliques soulignant que la narratrice est inutile et se couvre de honte. Je ne traduirai pas littéralement ces insanités. Merci à Sawyer de se contrôler. NdT

*

Merci pour la lecture ! N'hésitez pas à laisser une étoile sur les chapitres pour m'encourager, merci mille fois à celles qui le font :-*

A très vite ! 

Sea


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