Chapitre 9 : Elmin (2/2)

Des bruits sur la rive l'alertèrent. De toute évidence, son plongeon n'était pas passé inaperçu. Ils venaient vérifier que personne ne sortait du tunnel. Elle plongea, entraînant sa compagne sous l'eau. Là, juste à la profondeur nécessaire pour ne pas être repérée, elle observa. Quelques vinsihons plus tard, elle vit des lampes éclairer la surface. Les malfaiteurs la cherchaient. Heureusement, l'opacité de l'eau était telle que même si le stoltzt qu'elle soupçonnait être leur complice sortait par le tunnel, ils ne les trouveraient pas.

Pour ne pas faire de bruit, elle se laissa couler passivement. Quand elle estima avoir atteint une profondeur suffisante, elle commença à nager.

Elle savait qu'il y avait des poissons dans la rivière. Mais elle ne s'était pas douté qu'il y en eut tant. Attirés par la traînée de sang que laissait la blessée derrière elle, ils affluaient en grand nombre. Certains étaient presque aussi gros qu'elle. Avec leur mâchoire qui faisait presque un quart de leur corps, ils pouvaient facilement lui arracher une main. Pour la première fois depuis le début de l'expédition, elle se sentit en danger. Elle sortit son couteau pour se défendre.

Le premier qui lança l'offensive était un petit, de la taille de son bras. D'un coup, elle lui ouvrit le flanc sur presque toute sa longueur. Blessé, il tenta de s'échapper. Mais il devint la proie de ses congénères qui se jetèrent sur lui. Cela donna un répit à Saalyn qui en profita pour s'échapper.

Sa compagne de fuite se mit soudain à se débattre. Elle n'avait plus de souffle et paniquait. La guerrière libre resserra son étreinte et lui bloqua le nez. Les lumières éclairaient toujours la surface. Pourtant elle avait parcouru une bonne distance. Elle ne pouvait pas remonter pour respirer. Pour elle ce n'était pas bien grave, elle était très loin de ses limites. Mais pour la jeune femme qu'elle tentait de sauver, il fallait espérer que sa destination ne soit plus très loin. Il lui restait un stersihon tout au plus avant qu'elle meure. Elle n'attendit pas que le corps s'amollisse. Bien au contraire, elle reprit sa progression vers l'aval sans perdre un instant, entraînant l'humaine derrière elle. Au bout d'un instant, elle sentit qu'elle perdait connaissance. Elle espérait que ce n'était pas avec un cadavre qu'elle allait émerger.

Sur la rive, les lumières la suivaient. Elles ne progressaient pas aussi vite qu'elle, signe qu'elle n'était pas repérée, mais ils cherchaient quelque chose. C'était la preuve qu'ils connaissaient les capacités des stoltzt à la nage. Cela confirmait la présence d'au moins un parmi eux. Elle les distançait, mais elle craignait que ce ne soit pas suffisant pour émerger en toute sécurité au point de rendez-vous. D'autant plus qu'elle allait devoir remonter à la surface pour se repérer.

Au-dessus d'elle, la poursuite sembla cesser. Les lumières s'étaient immobilisées. Mais les poissons étaient revenus à la charge. Elle comprenait pourquoi très peu de corps avaient été retrouvés. Elle dut s'arrêter pour se défendre. Un gros, de sa taille, passa à l'attaque. Une gueule pleine de dents grande ouverte, fonça sur elle. Elle l'esquiva de justesse. Elle se tourna pour lui faire face. Mais il n'était pas seul. Un deuxième se présenta par le côté. Elle surveillait les deux, mais doutait d'arriver à les tuer. Elle esquiva une seconde fois. Le monstre la frôla. Elle s'était trop refroidie, ses réflexes s'étaient émoussés, elle avait surestimé ses capacités. Elle allait mourir ici, ou allait être obligée d'abandonner sa compagne.

Soudain, une forme massive fut sur elle. Elle se précipita vers le plus petit des deux prédateurs et l'éventra. L'autre délaissa la proie vivante et dangereuse qu'il convoitait pour cette nouvelle plus facile. Öta se retourna alors vers son mentor et lui fit signe de remonter. Ils étaient arrivés au point de rendez-vous.

L'endroit déniché par le jeune disciple était encore plus discret que le premier. Il était constitué par l'arrière-cour d'une maison, isolée des voisins par des murs hauts. Pour le moment les lieux étaient vides. Mais le jeune apprenti les avait investis plus tôt dans la journée. Il aida Saalyn à sortir la jeune femme de l'eau. Elle ne respirait plus. Il l'allongea sur le sol pierreux et lui ouvrit le corsage.

Saalyn était épuisée. Et elle était frigorifiée. Elle tomba à genoux, incapable de faire un pas de plus.

— Occupez-vous de Saalyn, ordonna Öta, réchauffez la.

Les deux prostituées l'aidèrent à s'éloigner de la rivière, elles l'installèrent sur un petit banc de pierre qui rajouta au froid. Elles l'enveloppèrent dans une grande couverture et commencèrent à la frictionner. La guerrière libre se laissa aller entre les mains attentionnées.

— Les bouillottes, dans le sac, ordonna Öta tout en s'occupant de sa patiente.

Lentice ouvrit le sac que l'apprenti désignait. Elle en sortit une de ces bouillottes mise au point dans un lointain royaumes désertique au bord de la Grande Route de l'Est. C'était une sorte de sac étanche rempli de liquide. Quand on le tordait violemment, le liquide se cristallisait en dégageant beaucoup de chaleur. Il suffisait de le réchauffer, en l'exposant par exemple au soleil du désert, pour le rendre à nouveau liquide. La jeune femme en voulait une depuis longtemps. Mais elles étaient trop chères. Et là il y en avait une vingtaine, une vraie fortune. Avec l'aide de sa compagne, elle les activa toutes et les glissa sous la couverture, directement contre la peau de la stoltzin. Elles étaient trop chaudes pour être tenues à la main sans douleur par une humaine, mais pour une stoltzin il n'y aurait aucun risque de brûlure.

De son côté, Öta s'était occupé de la victime des ravisseurs. Il s'était assuré que le cœur battait encore. Il était faible mais perceptible. Il chassa ensuite l'eau de ses poumons. Il n'y en avait pas, Saalyn l'avait bien protégée. Il lui bascula ensuite la tête en arrière et lui souffla dans la bouche. La poitrine se souleva, puis retomba. Il recommença, et encore. Et encore. Et encore

Les deux humaines le regardaient faire, tout en continuant à réchauffer la stoltzin. Elles étaient à la fois intéressées par la technique qu'il utilisait, et surprise que quelqu'un se donne tant de mal pour sauver une personne exerçant leur métier. Elles vivaient en compagnie des deux Helariaseny depuis une bonne douzaine pourtant.

Au bout d'un moment, la jeune femme respira de nouveau seule. Öta la surveilla. Puis estimant qu'elle était tirée d'affaire, il referma son corsage. Il s'occupa alors de sa compagne. Elle allait bien. Elle était juste engourdie par le froid. Les stoltzt ne régulaient pas leur température aussi bien que les humains. Ils supportaient que leur corps descende plus bas que pour ces derniers, mais au prix d'une réduction de leurs performances. Et comme elle était légère, Saalyn perdait sa chaleur beaucoup plus vite qu'une personne de la corpulence d'Öta. C'est l'adrénaline qui l'avait soutenue. Quand elle s'était retrouvée en sécurité et que la tension était retombée, la physiologie avait repris le dessus, elle s'était effondrée.

— Nous allons dormir à l'intérieur, annonça Öta. Nous ne partirons que demain. Nous serons plus discrets au milieu d'une foule.

Les deux femmes approuvèrent ces paroles. L'apprenti serrait son maître contre lui. Elle cherchait sa chaleur ; en vain, les stoltzt en produisaient peu. Il la confia aux deux femmes pour retourner chercher la blessée. Il la souleva délicatement dans ses bras et entra à l'intérieur.

Öta n'avait pas occupé toute la maison, seulement le salon et la cuisine. Il déposa la jeune femme inconsciente sur un canapé en cuir. Il contrôla qu'elle respirait toujours. Derrière lui, sa compagne était guidée par les deux Alminaties. Saalyn avait cette docilité des stoltzt en état d'hypothermie. Il n'aimait pas la voir dans cet état, elle qui était si vive quand elle était en pleine possession de ses moyens. Il fit asseoir l'une des femmes et cala la stoltzin contre elle.

En préparant la mission, il savait dans quel état allait être Saalyn. Les bouillottes étaient épuisées. Elles produisaient une chaleur intense mais pour une courte durée. Il avait donc prévu un tas de couvertures. Il en étala une sur sa compagne et une autre sur la blessée. Puis il en prit une pour lui et s'installa dans un fauteuil libre. La dernière femme du groupe vint le rejoindre.

En la sentant se blottir contre lui, il pensa que Saalyn et lui avaient engagé deux prostituées et qu'elles avaient fait plein de choses, mais aucune en rapport avec leur métier. Il n'avait couché avec aucune des deux bien qu'elles soient mignonnes. Et Saalyn n'avait pas de goût pour ça. Bon, il les avait un peu chahutées au début, peloté quelques seins ou pincé des fesses à portée. Mais ça n'était pas allé plus loin. Il n'était pas étonnant qu'elles s'accrochent à eux. Elle devait bien se douter qu'elles ne seraient jamais payées pour la totalité de leur prestation. Apparemment, le ticket de passage vers la Pentarchie était un motivateur suffisant. Elles auraient certainement fait le voyage depuis longtemps, comme tant d'autres avant elles, si leur proxénète n'y avait veillé. D'ailleurs, il était bien discret celui-là. Tôt ou tard, il allait s'inquiéter de la disparition de deux tapineuses. C'était certainement déjà fait. Il n'allait pas mettre longtemps à remonter la piste. Même s'il ne présentait pas de danger, il risquait de tout faire rater en attirant l'attention sur eux au mauvais moment. Il était temps que cette mission se termine.

La veille, Öta avait pris soin de parquer une calèche fermée dans le garage au cas où ils auraient dû partir en toute discrétion. Ce genre de véhicule, signe d'une certaine aisance, n'aurait jamais été arrêté par des brigands en pleine ville. Surtout en plein jour avec des patrouilles en permanence dans les rues. De toute façon, jamais on irait chercher une prostituée dans l'une d'elle.

Le jeune stoltzt enfila un costume de cocher. Il avait prévu des vêtements pour les filles aussi. Lentice devait jouer le rôle d'une grande dame, Saalyn et Ralsynthe étaient ses suivantes. On faisait moins attention aux domestiques. Si la calèche était fouillée en route, elle aurait plus de facilité pour agir. La blessée allait jouer son propre rôle. Elle était toujours inconsciente, Lentice lui prendrait la tête sur les genoux, comme une grande sœur protégeant sa cadette malade.

Saalyn avait retrouvé toute son énergie. Elle aida son compagnon à organiser leur départ. Il ne fallait pas que reste une seule trace d'eux dans la maison. Elle fit le tour des lieux, vérifiant qu'ils n'avaient rien oublié.

Enfin, les quatre femmes entrèrent dans la cabine fermée. Öta, fidèle à son rôle, ouvrit le portail de la résidence. Il monta sur son banc et guida l'attelage dans la rue. Puis il referma derrière lui. Le quartier, purement résidentiel, était quasiment vide. Il guida habilement les chevaux sur les rues pavées jusqu'à atteindre une grande artère, noire de monde. Leur destination n'était pas l'hôtel de passe qui leur avait servi si longtemps de base, mais le consulat d'Helaria dans la direction exactement opposée. La foule gênait leur progression, mais ils n'étaient pas pressés. D'autant plus qu'elle assurait leur sécurité. Il leur fallut plus d'un monsihon pour atteindre leur objectif.

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