Chapitre 31




Un vent glacial s'ajouta à cette sanglante bataille. Harak ne pouvait pas s'arrêter comme s'il était assoiffé de rage. Le tintement des épées se faisait de plus en plus fort et les râles d'agonies fendaient l'air alors que bientôt il savait que le silence remplacerait ces bruits qu'il ne se lassait jamais d'entendre.

Derrière lui, une caresse innocente accrochait sa nuque pour lui rappeler sans cesse que Freya était en danger. Il n'avait pas pu s'empêcher de la regarder froidement, parce qu'il mourrait de culpabilité d'avoir refusé de l'écouter et de l'avoir réduite au silence.

Avec un regard fou, il chercha Calister qui essayait de fuir jusqu'au château. Avec un sourire froid il se mit en chasse, traînant son épée sur la terre ensanglanté alors qu'autour de lui les combats continuaient de faire rage.

Harak aurait voulu prendre son temps pour le piéger, pour l'étouffer dans un étau dans lequel il ne pourrait plus sortir, mais une silhouette essayant de protéger les enfants le força à se ruer vers lui.

Les yeux fixés sur Freya qui essayait de mettre un enfant à l'abris dans le château il vit Calister se fondre sur elle avec une hache.

La jeune femme se jeta en arrière pour se protéger ainsi que la fillette qu'elle tenait dans ses bras. Calister essaya de fermer les portes pour la piéger à l'intérieur. Avec un grognement de rage, Harak se rua à temps vers les portes en les poussa avec un coup d'épaule.

Ignorant sa femme qui se reculait sur le sol froid pour s'éloigner, Harak pointa son épée vers son ennemi.

Blessé au flanc, Calister peinait à se tenir debout, mais sa fierté le faisait rugir de rage, parce qu'il sentait que c'était la fin.

- Donne-moi la fille et je t'en donnerai cinq en échange et de l'or.

Sanguinaire, Harak poussa un rire sombre.

- C'est la mort que je vais te donner !

Calister fit un pas en arrière, essayant d'atteindre Freya qui s'était recroquevillée contre le mur en tenant la fillette contre elle.

Harak sortit sa hache, la lança dans sa direction et celle-ci se planta dans son épaule. Il poussa un cri d'agonie et de rage mêlées.

- Barbare ! Siffla-t-il entre ses dents. Tu ne l'auras pas ! Je vais la tuer comme j'ai tué les tiens il y a si longtemps maintenant ! Regarde-là ! Tu la dégoûtes !

Freya ne voulait pas fermer les yeux et savait que l'expression de son visage était horrifiée.

Quand le Jarl posa son regard dans le sien elle espérait qu'il puisse voir dans ses yeux qu'elle n'était pas dégoûtée, mais littéralement effrayée par la vision qu'il lui projetait.

Elle voulait que ce combat s'arrête, qu'il y ait une fin.

Elle peinait à le reconnaître alors que les traits durs de son visage étaient sillonnés par le sang frais et la suie qui traversait son regard pour le rendre davantage cruel.

Froidement, il reporta son regard sur Calister.

Impassible, comme si plus rien d'autre comptait à ses yeux, il marcha jusqu'à l'ennemi et le saisit à la gorge. Tétanisée, le cœur fragilisé par de violents battements, elle regarda son époux tirer Calister en arrière pour le jeter dans une autre pièce. La petite fille pleurait dans ses bras, inconsolable. Freya la berça en profitant de cet instant de silence glaçant pour la rassurer.

Seulement ce silence ne dura pas. Un hurlement strident résonna dans le hall du château, l'obligeant à protéger les oreilles de l'enfant pour qu'elle ne puisse pas entendre. Les hurlements ne s'arrêtaient plus et provenaient que d'un seul homme.

Freya n'eut aucune peine pour Calister, mais craignait plutôt la suite. Elle craignait que son mari la repousse, elle avait peur qu'il ne se pardonne pas.

Une larme froide roula sur sa joue et elle se rendit compte que les hurlements avaient cessé.

La respiration difficile, elle tourna la tête vers la porte au loin et attendait désespérément qu'elle s'ouvre sur le Jarl.

- Freya !

Erra se précipita vers elle après avoir dévalé l'escalier.

- C'est fini ! Nous avons gagné ! L'informa-t-elle en posant sa main sur sa joue. Grâce à toi nous sommes sains et saufs.

Mais à quel prix ?

Était-elle la seule à se rendre compte que son mari l'avait enfermé et ne l'avait pas cru ?

Était-elle la seule à savoir au plus profond de son être que Harak sortirait de cette guerre blessé ?

Une larme roula sur sa joue et elle ne voulait plus lâcher la fillette qui était contre elle.

- Où est-il ? Demanda-t-elle d'une voix faible. Est-ce qu'il y a des blessés ? Des morts ?

- Je ne sais pas, répondit Erra en lui prenant la main. Freya tu es gelée, est-ce que ça va ?

Incapable de répondre, ayant pour seul désir le voir réapparaître, Freya resta silencieuse et regarda la mère de la fillette qui essayait de la lui reprendre pour la serrer dans ses bras.

Un sursaut d'énergie l'aida à se relever et son regard se tourna instinctivement en direction des portes closes.

- Pourquoi il ne revient pas ? Lança-t-elle alarmée en essayant d'avancer.

Erra tenta de l'en empêcher, mais elle la força à lâcher sa prise et se mit à courir pour atteindre les portes.

Elle les ouvrit en ignorant les protestations de Erra.

Horrifiée, bouleversée, Freya se rua vers Harak mais s'arrêta à mi-chemin lorsqu'elle découvrit la marre de sang dans laquelle Calister baignait.

- Freya ! Gronda une voix forte. Sors d'ici !

Hélas c'était trop tard. Freya ne pouvait plus détacher ses yeux du cadavre qui gisait sans vie et dont la tête n'était plus rattachée au reste de son corps.

Une ombre imposante se plaça devant elle. Freya leva les yeux et eut du mal à masquer la peur qui lui rongeait le sang.

- Tu dois partir ! Ordonna-t-il assez froidement. Tu ne dois pas rester ici !

Freya resta figée, suivant le sang qui continuait de sillonner son visage méconnaissable.

- Tu es blessé, murmura-t-elle en voulant toucher son épaule.

Il attrapa sa main avant qu'elle atteigne son épaule.

- Je sais, dit-il froidement.

Freya essaya de dégager sa main de la sienne, ne supportant plus sa froideur alors qu'il essayait seulement de se punir.

Bouleversée elle tourna les talons et quitta la salle sans un regard en arrière. Il lui fallait de l'air et pour cela elle courut dehors. Sa première pensée fut pour Estrid.

- Comment se porte Estrid ? Demanda-t-elle en regardant tous ces hommes blessés qui aidés par les autres, essayaient de rejoindre le château.

- Svend est en train de la soigner, l'informa Olan en déchirant un morceau de sa tunique pour l'appliquer sur le bras blessé d'Evander.

Freya accourut jusqu'à sa maison pour pouvoir aider et s'arrêta au seuil.

- Comment va-t-elle ?

- Elle va s'en sortir, répondit le viking en plongeant un linge propre dans la bassine en cuivre pour l'appliquer sur le front de la jeune femme. Merci Freya, reprit Svend l'air très sérieux. Tu as épargné à notre village un bain de sang qui nous aurait rappelé à tous le jour où...

Il détourna les yeux sur Estrid.

- Harak est rongé par la culpabilité, ajouta-t-il.

- Je sais, murmura-t-elle en baissant les yeux.

Elle disparut dehors en proposant son aide qui fut acceptée par les autres femmes. Grâce à cela, Freya essaya d'oublier qu'elle n'avait pas pu se jeter dans les bras de son mari qui l'a repoussé encore et encore.

La nuit commençait à tomber quand elle décida de rejoindre leur maison.

En poussant la porte, elle fut étonnée de découvrir le Jarl assis sur le fauteuil près du feu. Torse nu, il tenait son épée qui était tendue dans le feu jaillissant.

Le cœur battant parce qu'elle savait ce qu'il s'apprêtait à faire, Freya entra et ferma la porte en silence.

Tout en l'ignorant elle se dirigea vers la boite en bois dans laquelle la jeune femme avait caché ses potions et alla jusqu'aux bains pour remplir une bassine d'eau.

Elle revint vers lui et s'agenouilla près du fauteuil.

- Je sais ce que je fais, marmonna-t-il en sortant la lame du feu. J'ai l'habitude.

- La plaie doit être nettoyée ! Ça suffit ! S'emporta-t-elle en jetant l'eau froide dans le feu et sur l'épée.

Le viking se rembrunit violemment et tenta de se redresser sur le fauteuil.

Freya posa sa main sur son épaule qui n'était pas blessée.

- Ça suffit ! Tu es en colère ? Tu ne veux pas me voir parce que tu es rongé de culpabilité ? Alors laisse-moi te soigner et je partirais ensuite ! Je vais rejoindre mon village et retrouver Arkin.

- Je te l'interdis ! Siffla-t-il entre ses dents. Tu es ma femme !

- Alors parle-moi ! Répliqua Freya en élevant la voix. Comment peux-tu te montrer si distant après tout ce qu'il...

- Parce que tu aurais pu mourir par ma faute ! Mon obsession a failli te tuer ! Je n'arrive plus à te regarder dans les yeux sans t'imaginer morte.

Le cœur serré, Freya laissa les larmes tomber sur son visage.

- Je suis en vie, Calister est mort et...

- J'étais tellement en colère que tu veuilles te sacrifier que cette colère m'a ordonné de ne pas t'écouter alors que tu avais raison, la coupa-t-il sans la regarder. C'est seulement après avoir franchi la forêt que j'ai ressenti quelque chose en moi qui me hurler que j'avais été trompé par ma colère. C'est en voulant te protéger que je t'ai poussé vers la mort. Comment peux-tu rester agenouiller devant moi alors que je suis un terrible mari. Je t'ai forcé à devenir ma femme et je n'ai pas l'impression de te rendre heureuse.

- Dans ce cas pourquoi veux-tu que je reste ? S'enquit-elle d'une voix emplie de douleur.

- Parce que je m'y refuse ! Gronda-t-il en enfonçant sa paire d'yeux encore cernée de noir dans la sienne.

- Alors laisse-moi t'aimer au lieu de me repousser ! Tu as eu tellement peur de me perdre comme tu as perdu ta sœur que tu as réagi comme une brute mais je sais au plus profond de mon cœur que tu voulais seulement me protéger.

Freya renifla et se passa une main sur les yeux. Sa blessure avait l'air sérieuse.

- Je vais te soigner, nous parlerons plus tard.

- Freya...

- Non ! Le coupa-t-elle durement. Tu es blessé, les blessures peuvent s'infecter ! Je ne te donne pas le choix !

Il grogna doucement mais se rejeta contre le dossier du fauteuil.

Freya plongea le linge dans l'eau qu'il restait dans la bassine et la posa sur son épaule.

- Je ferais n'importe quoi pour te garder auprès de moi, même si je suis un monstre.

Le cœur battant à la chamade elle ferma les yeux un instant pour fuir son regard éprouvé de remords.

- Je suis prêt à tuer n'importe qui pour ne jamais te perdre.

- Tu ne vas pas me perdre Harak, mais si tu continues à me repousser, mon cœur va mourir de tristesse et pour le sauver, je suis prête à partir.

Ses yeux noirs devinrent fous puis soudain, les traits de son visage devinrent plus doux.

- Une part de moi allait te répondre que je serais capable de t'enfermer à nouveau pour t'en empêcher, mais si je fais ça, je vais...

Freya trempa le linge humide et tâché de sang puis essuya les contours de sa plaie.

- Ne me repousse pas s'il te plaît, murmura-t-elle d'une voix à peine perceptible, mais qu'il entendit.

Harak posa son regard monstrueux dans le sien alors qu'elle ne le regardait pas et il en eut mal au cœur.

Il serra le poing puis écarta sa main pour la lever vers son visage pâle et fatigué.

Elle pensait qu'elle ne s'était pas sacrifiée, mais elle l'avait fait en essayant de divertir Calister. Il aurait pu la tuer. Abuser d'elle. La pendre.

À cette simple pensée il tourna son visage vers le cheminée éteinte, dépourvue de chaleur.

- Voilà, annonça-t-elle en se relevant.

Harak se leva à son tour, la dominant de sa hauteur tout en voulant l'embrasser, la prendre dans ses bras.

Hélas la culpabilité était en train de le ronger.

- Fais-moi une promesse Freya.

- Laquelle...

- Promets-moi d'être là à mon retour.

Désorientée et attristée elle cligna des yeux en hochant faiblement la tête.

Sans un mot il enfila une tunique propre et quitta la maison.

- Où vas-tu ? L'entendit-elle lui demander alors qu'il s'enfonçait dans la pénombre.

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