Chapitre 29



Harak essayait sans cesse de repousser dans son esprit les présages de Inga, mais il lui était difficile de les ignorer quand tout autour de lui, la nature semblait se réveiller peu à peu.

- Rappelle-moi ce que cette femme t'a dit ? Lança Einar en grimpant sur son cheval.

- Cela n'a aucune importance, marmonna-t-il en saisissant les rênes de son cheval.

- Au contraire j'aimerai savoir ce que l'avenir nous prépare.

- Tu devrais rester ici Einar, ta femme est enceinte.

L'intéressé lâcha un rire sombre en posant sa main sur le pommeau de son épée.

- Tu penses que cela va m'arrêter ? Répondit Einar avec une lueur de défi dans le fond de ses yeux verts. Je suis un viking et ma femme le sait.

Harak passa devant en réprimant cette folle envie de se retourner pour lever le regard en direction du château. C'était pour ainsi dire le pire départ de toute sa vie. Il reviendrait, ça il le savait, mais l'achèvement de cette guerre contre Calister avait un prix.

Freya trouva-t-elle la force de lui pardonner ?

- Nous allons gagner et dans quelques jours, tout va redevenir comme avant, lui lança Cadel avec conviction. Freya finira par te pardonner.

- Je n'en suis pas aussi certain que toi mon frère, répondit Harak en guidant les troupes vers le nord là où les attendaient leurs navires.

- Les femmes sont compliquées et parfois incompréhensibles, lança Einar. Nous voulons leur bien et quand on le fait elles nous reprochent de l'avoir fait.

- Je n'ai pas le souvenir que tu aies enfermé ta femme dans une pièce loin de ta demeure parce que tu ne lui fais pas confiance.

Einar grimaça car il ne pouvait le contredire.

- Certes, mais je suis sûr qu'elle te pardonnera. Cette femme est folle de toi Harak.

Le viking grogna en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule pour regarder ses troupes qui se ravissaient de partir au combat.

La traversée venait à peine de commencer et cette guerre pouvait durer des jours car Calister était peut-être affaibli par beaucoup de pertes, mais il n'en demeurait pas moins capable de les surprendre en plaçant ses troupes à plusieurs axes différents.

- Pour tromper l'ennui, tu pourrais nous révéler ce qu'elle t'a dit, proposa Cadel l'air innocent alors qu'en réalité il brûlait de connaître les détails.

Harak serra les mâchoires en regardant droit devant lui, essayant de faire le vide dans son esprit.

En vain.

- Elle m'en veut de ne pas lui faire confiance, lâcha-t-il en espérant secrètement qu'il l'aide à mieux comprendre sa femme.

- Tu ne lui fais pas confiance ? S'enquit Cadel.

- Bien sûr que oui ! S'emporta-t-il. Cependant je la connais suffisamment pour avoir la conviction qu'elle serait capable de se sacrifier pour protéger les siens.

- C'est plutôt courageux, répondit Einar en haussant des épaules.

- Ce n'est pas courageux c'est stupide, intervint Svend qui venait de les rejoindre l'air grave.

- Merci mon ami.

- Est-ce stupide de vouloir se sacrifier pour épargner des innocents ? Insista Einar en fronçant des sourcils.

- Oui, répondit sèchement Svend. Si c'était ma femme j'aurai fait exactement la même chose. Je l'aurai enfermée pour la protéger. Freya n'est pas responsable de la folie de cet homme.

Harak passa deux doigts sur ses yeux, là où la suie couvrait son visage, lui donnant un air diabolique.

- De plus, reprit Svend l'air grave. Harak ne changera pas ce qu'il est pour une femme. Un homme ne devrait pas changer sa nature pour plaire. Nous sommes des sanguinaires, pas des nobles qui courtisent chaleureusement.

Einar regarda le viking en plissant le front.

- Tu as l'air en colère mon ami.

- Sans doute parce que je suis responsable des agissements d'Holga et que rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais tué cette femme plus tôt.

- Tu n'es pas responsable, s'empressa de dire Harak à travers ses dents serrées. Je suis l'unique responsable. J'aurai dû le tuer, et je ne l'ai pas fait parce que je voulais continuer de le traquer. Si je l'avais tué plus tôt, Holga ne se serait jamais risquée à me défier pour soigner sa jalousie envers Freya.

- Certes, mais j'aurai pu l'éviter, conclut Svend le regard froid.

- Continuons, ordonna le Jarl pour mettre fin à la discussion. Plus vite nous serons arrivés, plus vite nous finirons ce que j'ai commencé...

Dans le village silencieux et où ils ne restaient qu'une poignée de vikings pour protéger le village, Freya fut étonnée lorsque la porte s'ouvrit sur Erra.

Elle essuya les larmes qui lui mordaient les joues et se releva du lit pour l'accueillir.

- Que fais-tu ici ? Tu es souffrante ?

- Non, je vais très bien, dit-elle d'une voix rassurante en se caressant le ventre. Je suis venue pour te libérer. Allons viens !

- Je ne peux pas sortir ! Lui rappela-t-elle avant qu'elle ne sorte.

- C'est Harak qui m'a ordonné de te faire sortir après son départ, précisa Erra. Il sait maintenant qu'il t'est impossible de partir sans cheval. Il est beaucoup trop loin désormais.

Freya quitta la pièce qu'elle ne supportait plus de voir et descendit l'escalier à la hâte pour constater avec douleur qu'elle disait vrai.

- Alors le Jarl avait raison, lui dit Erra après l'avoir rejoint dehors.

- Que veux-tu dire ?

- Je t'ai laissé sortir sous ses ordres et tu t'es empressée de voir si un cheval serait à ta portée pour le rejoindre.

Freya baissa les yeux, mais ce fut bref car elle n'avait pas l'intention de s'en vouloir d'être ce qu'elle est et qu'elle continuera d'être jusqu'à son dernier soupir.

- Je suis inquiète, j'ai un pressentiment qui ne me quitte pas depuis des jours maintenant.

Erra la considéra en silence, une lueur inquiète dans le regard.

- Quel pressentiment ?

Sensible à sa grossesse et aux nombreuses épreuves qu'elle avait dû traverser pour avoir cet enfant, Freya secoua doucement la tête en forçant un sourire. La dernière chose qu'elle souhaitait c'est l'inquiéter.

- Sans doute que mon époux a raison, je me fais trop de soucis.

- En effet, confirma la femme d'Einar en s'approchant la main sur le ventre. Tu te fais trop de soucis, mais je pense que c'est l'amour que tu portes à cet homme qui te rend si inquiète.

Pas seulement l'amour, mais la peur de perdre ce village, cette nouvelle famille, et également Arkin et sa femme qui lui auraient été d'une grande aide.

- Où se trouve Holga ?

- Toujours attachée dans la maison de Svend, Estrid la surveille.

Soucieuse qu'Estrid soit seule avec cette femme, Freya se précipita en direction de la maison de Svend et ouvrit la porte sans attendre.

Son cœur fut soulagée de trouver Estrid assise sur un tabouret et en bonne santé. Holga quant à elle reposait sur le sol, les cheveux en bataille et visiblement en mauvaise posture.

- Je suis heureuse de te voir enfin libre, lança son ennemie avec un sourire moqueur. On raconte que Harak t'a enfermé pendant des jours. Cela veut bien dire une chose, c'est qu'il n'a aucun respect pour toi. Il ne te considère pas comme sa femme mais comme son esclave.

Freya ignora ses paroles blessantes et se dirigea vers Estrid qui tissait des fleurs.

- Je peux t'aider ?

- Surtout pas ! C'est pour un grand événement et tu ne peux pas participer.

- Un événement ?

Sans rien lui dire, Estrid poursuivit son tressage.

- Il s'agit d'un rituel, lui expliqua Erra depuis la porte. Un rituel qui aurait dû être fait il y a longtemps et qui se fera à leur retour.

Freya dévia son regard sur Holga dont le visage était marqué d'un sourire.

C'est ainsi qu'elle comprit...

Rien de ce qu'elle avait dit depuis le début était vrai.

Absolument rien.

- Tout était prévu n'est-ce pas ? Lui lança-t-elle la gorge déjà nouée.

- Qu'est-ce qui était prévu ? S'enquit Erra en pénétrant la maison.

- Faire partir le Jarl et ses hommes vers un combat qui n'aura pas lieu là-bas, mais ici.

Au plus profond de son être Freya espérait que ça ne soit pas vrai, mais Holga se réjouissait déjà qu'elle ait enfin compris.

- Tu étais une diversion.

- Holga est-ce qu'elle dit la vérité ? S'enquit Erra sur un ton inquiet.

- Calister ne devrait plus tarder à présent, il n'y aura pas assez d'hommes pour protéger le village.

Une folle angoisse traversa le visage de Freya et elle se rua dehors. À sa suite Erra courait déjà vers le château pour prévenir les hommes qui n'avaient pas accompagnés Harak au combat.

Les oreilles bourdonnantes comme un essaim de guêpes, Freya tourna sur elle-même en regardant avec effroi les femmes courir avec les enfants pour les mettre à l'abris.

- Que faut-il faire ? Harak est trop loin pour revenir à temps ! Dit Estrid la respiration affolée.

- Sauf si une personne fait diversion, précisa Freya la peur au ventre.

- Quoi ? À quoi penses-tu ?

Freya se tourna vers elle et la prit par les épaules.

- Si tu sais monter à cheval alors fonce les prévenir avant qu'ils prennent la mer.

- Et toi ? Que vas-tu faire ?

- Je vais divertir Calister...

Estrid écarquilla les yeux horrifiée par cette idée, mais Freya ne lui laissa pas temps de la convaincre d'y renoncer. Elle ne pouvait pas renoncer lorsqu'elle voyait ces enfants si petits se faire emmener par leurs mères, l'expression apeurée.

Elle monta sur un cheval au hasard et prit la direction de l'Ouest en ignorant les appels derrière elle qui lui ordonnaient de revenir.

- Estrid que fais-tu ? S'écria Erra en la voyant elle aussi s'élancer vers un cheval.

- Je vais prévenir le Jarl en espérant que ça ne soit pas trop tard.

À son passage l'esclave saisit la corne de guerre que les guerriers utilisaient pour se prévenir les uns les autres d'un danger imminent et lança le cheval au galop vers la direction prise par les vikings plus tôt dans la matinée.

Plus loin dans la forêt, Harak et ses hommes émergèrent enfin des bois pour rejoindre le chemin des falaises. Au loin, plus bas, il pouvait apercevoir son drakkar l'attendre, caressant les vagues calmes de la mer froide et dont il connaissait les secrets.

Derrière le silence, Harak éprouva soudainement une sensation jusqu'alors jamais connue.

Une sensation de froid courut dans son dos et il arrêta son cheval, obligeant ses hommes à l'imiter.

- Harak que se passe-t-il ?

Le Jarl dévisagea la mer au loin alors que le vent soufflait plus violemment.

Le visage de sa femme s'imposa à lui, aiguisant un peu plus ce courant glacial dans son dos.

Ce pressentiment...commençait à le contaminer sans comprendre pourquoi maintenant.

- Demi-tour, ordonna-t-il d'une voix dure. Immédiatement !

- Harak tu as perdu l'esprit ! Demanda son frère en le regardant tourner son cheval pour faire demi-tour. On vient de dépasser la forêt, nous sommes proches du but.

- Je vous ai dit de faire demi-tour ! Gronda-t-il sévèrement. Il nous faut rentrer immédiatement ! C'est un ordre !

Harak contourna la nasse pour ouvrir la marche.

- Harak, lança Svend derrière lui. Si au moins tu nous expliquais ce qu'il se passe !

- Et si Freya avait raison, dit-il froidement en pénétrant dans la forêt. Si ce pressentiment était réel ?

- Ce n'est qu'un pressentiment d'une femme inquiète ! Répondit Einar en essayant de le rattraper. Si je devais écouter Erra chaque fois qu'elle s'inquiète je serais déjà mort d'ennui.

- Je ne l'ai pas écouter ! Aveuglé par la vengeance ! Obsédé de vouloir la garder à l'abris ! Je ne l'ai pas écouté Einar et je crois que nous sommes en train de faire une erreur.

Le regard froid ancré dans le sien, Harak éprouvait déjà une terrible culpabilité et enfin les présages de Inga s'effondrèrent sur lui.

- Tu es le Jarl, c'est toi qui décide, conclut Einar sérieusement. Même si je pense que tu te trompes, même si je pense que tes remords envers ta femme te poussent à prendre une décision déraisonnée.

Harak regarda froidement Einar ainsi que l'ensemble de ses hommes qui refusaient de lui cacher l'écrasante déception qu'ils ressentaient.

- Si je me trompe alors je vous laisserai me juger si je suis encore capable d'être votre chef ou non.

Einar et Cadel furent choqués.

- Nous n'irons pas jusque là ! Dit Einar fermement. Tu es un excellent seigneur, mais sans doute que l'amour te joue de mauvais tours. Allons ! En route !

Harak pressa son cheval sans se préoccuper des chuchotements de ses hommes.

Il voulait que le retour soit rapide, il mourrait de savoir s'il s'était trompé ou non.

Peu lui importait...

Ils galopèrent en force serrée, fouettant la nature avec violence jusqu'à ce que...

- Attendez ! Arrêtez ! Lança Cadel.

Harak tira sur les rênes pour ralentir son cheval incitant les autres à faire de même.

- Que se passe-t-il mon frère ?

- Vous entendez ? Écoutez !

Alors il tendit l'oreille et entendit le corne soufflante retentir au loin...

Lui confirmant qu'il s'était trompé et avait laissé à son ennemi une longueur d'avance impardonnable...

- Freya, souffla-t-il glacé jusqu'au sang.

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