Chapitre 27




Sous les pâles lueurs de la lune Svend s'avança en direction de la taverne et ouvrit la porte assez sèchement. Les hommes et femmes qui s'y trouvaient cessèrent de rire et de bavarder pour se tourner vers lui.

Satisfait par son entrée tonitruante il s'avança vers la première table disponible et demanda à être servi au plus vite.

- Tu viens de loin, lança un homme d'âge moyen en s'approchant. Je connais n'importe quel visage qui se présente ici.

- Je viens de très loin, affirma Svend d'une voix nonchalante.

- Comment te nommes-tu ? L'interrogea-t-il en se laissant tomber mollement sur la chaise.

À en juger son haleine, il avait suffisamment bu pour lui dire tout ce qu'il voulait savoir.

- Je me nomme Svend et toi ?

- Edelar pour vous servir, répondit-il en terminant le breuvage que contenait sa corne. Alors que fais-tu ici ?

- Je me balade, je découvre.

En étant évasif, Svend espérait poussé cet homme à parler.

- On raconte que certains villages sont éprouvés par la famine, ajouta-t-il en décochant un sourire chaleureux à la femme qui venait de le servir. Est-ce vrai ?

Edelar jeta un regard par-dessus son épaule puis se pencha.

- En effet, confirma-t-il l'air grave. J'ignore si tu viens de loin mon ami, mais il faut savoir qu'il y a deux chefs au pouvoir de l'Irlande. L'un est un viking, et l'autre était au service de l'ancien roi. J'ai combattu pour lui. Il se nomme Calister et je dois dire que cet homme est fou. Même lorsqu'il n'a plus de stratégie, il continue de vouloir gagner et quand il n'a pas ce qu'il veut, il se venge sur des innocents.

Edelar leva sa corne pour qu'on lui serve un peu d'ale.

- On raconte que le viking qui a récupéré plusieurs terres a enlevé sa future femme et Calister veut la récupérer.

Svend se frotta la barbe en faisant mine d'être pensif.

- Très intéressant, dit-il simplement.

- Connais-tu ce viking dont tout le monde parle ?

- J'en ai entendu parlé, vaguement.

- On raconte que c'est un monstre et qu'il a réduit cette jeune femme à l'esclavage. On raconte même qu'il l'a donné à ses guerriers.

Svend demeura impassible en balayant d'un regard prudent les autres hommes présents dans la taverne.

- Il semble qu'une guerre se prépare, dit-il en esquissant un sourire impatient.

- Tu veux en faire partie ? Je te conseille de te rendre vers Calister. Il est peut-être fou, mais il paye bien par désespoir de gagner cette guerre.

- Et le Jarl ? Est-ce qu'il paye bien ?

- Ça je l'ignore, en général nous évitons de nous approcher des villages qu'il a en sa possession.

- Je veux prendre le risque, lança Svend en faisant mine de le prendre au défi. Surtout s'il a une esclave à me donner.

Edalar se mit à rire fort en tapant son poing sur la table.

- Tu es courageux ! J'aime ça ! Donnez à mon ami un peu plus d'ale !

La femme s'approcha à nouveau pour le servir, mais une silhouette au loin attira son attention. Sans se départir de son sourire, il suivit la silhouette du regard alors que celle-ci se dirigeait rapidement vers la sortie.

- Ce fut une conversation agréable mon ami, mais je dois reprendre la route.

Trop ivre pour réagir, Edelar leva la main pour le saluer. Svend s'empressa de quitter la taverne pour suivre cette cape noir qui se mouvait rapidement dans la nuit noire. Svend la rattrapa sans effort et captura son bras pour la plaquer contre le mur le plus proche.

L'inconnue hoqueta sous la violence de sa prise et commença à se débattre. Svend rejeta la cape de ses cheveux pour que son visage lui soit révélé.

Son visage se peignit de surprise.

- Estrid ! Que faites-vous ici ! À des heures de marche du village !

La jeune femme aux cheveux roux baissa les yeux en remuant les lèvres sans qu'aucun mot ne sorte.

- Allons ! Parlez !

- Et vous ? S'enquit-elle avec une audace qui le mit en colère. Que faites-vous ici à faire semblant de ne pas connaître le Jarl ? Seriez-vous en train de le trahir pour sauver Holga ?

Svend accusa le coup en lâchant un rire sombre et moqueur.

Ses yeux noisettes tombèrent alors et elle voulut s'échapper. Le viking la coinça en plaquant sa main sur le mur.

- Je me suis proposé de partir en éclaireur afin de connaître les plans de Calister. Le Jarl a accepté, expliqua-t-il gravement.

- Oh...

Elle parut sincèrement gênée de l'avoir accusé à tort.

- Et vous ? Allez-vous enfin me dire ce que vous faites ici et seule ? Comment avez-vous fait pour vous rendre ici sans homme ? Êtes-vous folle ?

Estrid leva son regard et le viking y décela de la colère.

- Je suis venue vendre un peu de mon travail pour vivre avec un peu plus de dignité ! Ulla, Meredyce et moi n'avons plus rien pour nous nourrir !

Svend secoua de la tête, l'air incrédule et suspicieux qu'elle mente.

- Vous vivez dans le village, que dites-vous là ? Est-ce un mensonge ?

- Holga se chargeait de nous, répondit-elle d'une voix sèche. C'est elle qui se chargeait de nos besoins parce qu'elle...nous étions ses esclaves. Depuis qu'elle est partie et qu'elle vous a trahi, nous sommes seules et ignorez de tous comme si nous étions des traîtres également. Les filles ont faim, j'ai faim, je dois vendre mon travail pour gagner quelques pièces.

La honte colora ses joues si furieusement que même les pâles lueurs de la lune ne furent suffisantes pour la masquer.

Elle chercha à fuir l'humiliation, mais Svend la rattrapa.

- Vous allez rentré avec moi.

- Non, je n'ai pas terminé.

Svend ne lui laissa pas le choix de le suivre, même si elle tenta de lui échapper.

- Vous n'étiez pas autorisée à quitter le village, lui dit-il l'air mécontent en la hissant sur le cheval. Encore moins sans escorte.

La fille se rattrapa à selle du cheval alors que le viking l'avait hissé à l'envers et elle se retrouva face à son torse lorsqu'il monta à son tour.

Il passa ses mains autour de sa taille pour saisir les rênes.

Estrid osa lever son regard vers cet homme qu'elle avait tant regarder avec l'espoir qu'il la regarde à son tour.

Et ce soir c'est ce qu'il faisait...

- Depuis combien de temps vous faites ça ?

- Je vous demande pardon ?

- Depuis combien de temps vous partez du village pour vendre vos tissages ?

Estrid se pinça les lèvres parce qu'elle hésitait à le lui dire.

- Je l'ai fait deux fois.

Le viking fronça des sourcils l'air intrigué.

- Et vous n'avez toujours pas saisi cette occasion pour vous enfuir ?

- Pour aller où ? S'enquit Estrid avec humeur. Je ne sais pas où aller et je ne vais pas prendre le risque de tomber sur les hommes de Calister. Quant autres villages que possède le Jarl, je ne connais pas ces vikings.

- Sage décision...

Estrid déglutit en baissant les yeux sur son torse.

- Freya, où est-elle ? Osa-t-elle demander.

Svend se rembrunit.

- Elle se trouve dans un endroit sûr.

- De gré ou de force ?

Le viking avisa la fille rousse avec humeur et elle s'empressa de baisser la tête, consciente qu'elle allait trop loin.

- Je vous prie de m'excuser, murmura-t-elle.

- Le Jarl sait ce qu'il fait.

- Je sais, glissa-t-elle doucement. Freya est une femme si douce et si amoureuse.

- En effet, affirma le viking en accélérant son cheval. Nous sommes tous attachés à elle pour une raison évidente.

- Mais saura-t-elle le pardonner si le Jarl va trop loin ?

Perdu dans ses songes, Svend ne répondit pas.

Parce qu'il n'avait pas la réponse.

De l'autre côté des falaises dangereuses, tout semblait calme dans le village, mais ce n'était qu'une apparence.

L'ensemble de son armée se préparait à la guerre. Bientôt le Jarl en finirait avec son ennemi, mais la première conséquence pesait sur son cœur comme un coup de poignard.

Harak remonta le village après s'être entraîné et il leva son regard sur le château. Un élan de colère dirigé contre lui-même l'oblige à détourner le regard. Pourtant, il ne put s'empêcher de marcher jusqu'au château et de monter toutes les marches qui le séparaient de sa femme.

Il déverrouilla la porte, incapable de rester plus longtemps sans la voir, sans pouvoir la toucher, le sentir, lui parler, même si elle refusait de le voir.

Assise sur le lit, elle lui tournait le dos et il savait que c'était délibéré. Une colère froide lui monta dans la gorge quand il s'aperçut qu'elle n'avait pas touché à son dîner.

- Tu dois manger, lança-t-il en serrant le poing pour se retenir d'avancer.

- Je n'ai pas faim, déclara-t-elle sèchement.

Harak s'approcha du lit et se plaça devant elle pour lui attraper le menton.

La jeune femme essaya de se rebeller...en vain.

- Ne m'oblige pas à le faire à ta place.

Dans ses yeux clairs brûlait une colère qu'il n'avait jamais vu auparavant.

- Pourquoi fais-tu ça Harak ? Lui demanda-t-elle d'une voix désemparée. Je pensais...j'avais la conviction que tu me faisais confiance.

- Je ne fais pas confiance en ta bonté, et nous avons déjà eu cette conversation.

Il relâcha son menton et s'abaissa à sa hauteur afin de plonger son regard dans le sien.

- Après ton entretien houleux avec Holga, j'ai pu voir dans ton regard cette culpabilité qui me menace. Tu étais prête à épouser cet homme répugnant pour épargner les tiens. Qu'est-ce qui me prouve que tu ne vas pas recommencer ?

- Je n'ai pas l'intention d'aller défier Calister ! Ta réaction est disproportionnée et tu le sais Harak ! Tu m'enfermes ici comme si j'étais coupable d'un crime.

- Je suis sincèrement désolé ma douce, mais je ne te fais pas confiance.

Il lut dans ses yeux une déception telle qu'il préféra se relever.

- Tu es trop sensible, tu as une fougue cachée qui me permet d'affirmer que tu serais capable de te donner à Calister pour éviter à mon peuple de souffrir parce que Holga est parvenue à t'accabler.

- Tu n'as pas le droit de me retenir ici contre mon gré ! Je suis ta femme !

- Tu as encore beaucoup à apprendre de moi.

- Pourquoi ici ? Je serais bien mieux dans notre maison.

- Tu serais trop tenté de partir, et je serais trop tenté de te faire confiance.

Elle lui jeta un regard noir.

- Alors tu as décidé qu'ici serait mieux ? Harak je t'en prie !

- Ici tu es bien et sous bonne surveillance. Mes gardes n'éprouvent rien pour toi.

Une lueur plus douce passa dans ses yeux et elle baissa la tête.

- Je ne pardonnerai jamais...

- Ton pardon m'indiffère, en revanche ta vie m'est précieuse, rétorqua le Jarl fermement en lui masquant la douleur qu'il ressentait.

Avec autorité il lui prit les joues et se pencha pour lui voler un baiser qu'elle ne refusa pas, mais ses lèvres restèrent inertes.

- Quand as-tu décidé de partir au combat ?

- Quand le moment sera venu.

- Ce n'est pas une réponse ! Tu sembles aimer me torturer l'esprit.

- C'est toi qui me torture l'esprit ! Gronda-t-il froidement.

Elle sursauta en détournant la tête.

La respiration difficile à cause de sa rage intérieur, Harak se recula.

- Ne me combat pas Freya, ne me combat pas, dit-il tout bas.

Freya ferma les yeux au moment où la porte se referma. Une douleur sourde dans la poitrine elle s'entoura de ses bras en ayant l'impression que sa vie se dérobait sans qu'elle puisse l'arrêter.

Harak ne semblait pas réaliser à quel point elle l'aimait, mais le pire c'est qu'elle avait sous-estimé l'implacable viking.

Elle n'avait de cesse de se dire qu'il faisait cela par amour, mais elle n'aurait jamais imaginée qu'il puisse aller aussi loin.

Le plus terrifiant c'est qu'elle craignait que la mort vienne se glisser entre eux au pire moment.

Peur d'être responsable.

Freya soupira bruyamment en avisant le repas froid posé sur la table et le rejeta du regard avec une nausée.

Si cette guerre n'en finissait pas rapidement, elle craignait que son mariage ne puisse y survivre.

Car dans son cœur résonnait maintenant un chant de souffrances insupportable.

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