Chapitre 23
Freya se pencha et regarda par la fenêtre pour observer Harak qui s'occupait de son cheval avec un grand intérêt et soin.
Derrière elle, la guérisseuse fredonnait presque silencieusement un air de musique en nouant de la corde autour des herbes.
La jeune femme se retourna pour la fixer avec ce même air méfiant qui ne l'avait pas quitté depuis leur arrivée.
- Toi non plus tu ne crois pas en mes dons, lança la vieille femme en poursuivant son travail.
Freya s'approcha d'elle en croisant les bras.
- Je crois en vos dons de guérisseuse parce que vous m'avez sauvé la vie, mais je me méfie du reste.
Inga émit un petit rire en tapotant le banc.
- Viens t'asseoir mon enfant.
Freya hésita en se détournant un instant pour regarder dehors. Tout en prenant une profonde respiration elle s'installa sur le banc.
- Pourtant ce que j'ai dit à ton époux a fini par se produire, commença-t-elle en soulevant son regard dans sa direction. Je lui avait dit qu'il ne te garderait pas très longtemps en tant qu'esclave. Je lui ai prédit que tu allait devenir une arme très puissante qui lui donnera un but à sa vengeance. Jusqu'à maintenant, je ne me suis pas trompée.
- Une arme très puissante ? Lorsque je vous écoute, j'ai l'impression que vous aussi vous cherchez à soulager une vengeance est-ce que je me trompe ?
La guérisseuse n'essaya pas de la tromper ce qui inquiéta Freya.
- Ma famille a été tué par l'ancien roi, et Calister continue de décimer des innocents. Évidemment que je veux également ma vengeance.
- Les vikings tuent aussi, précisa Freya prudemment.
- Jusqu'ici et contrairement à ce que dit la légende, j'ai vu des hommes écrasés par la mort sur les champs de bataille, mais je n'ai pas vu de femmes et encore moins des enfants.
- Alors vous leur faites confiance les yeux fermés alors qu'ils possèdent de nombreuses esclaves ?
- Qui n'en possède pas ? Renchérit la guérisseuse avec un sourire en coin. Calister en possède aussi, le roi en possédait, et leur destin sont malheureusement pire que le tien.
Freya déglutit, des frissons sur le visage.
- Les géants de mer sont cruels, mais pas de la façon qui t'a été décrite. Le Jarl possède presque toutes les terres de l'Irlande, et personne n'est venu jusqu'à moi pour m'informer que les villages souffraient d'une grande famine.
Inga se pencha en avant.
- Tu essayes encore de te convaincre qu'il n'est pas bien pour toi mais nous savons l'une comme l'autre que tu es tombée en amour pour cet homme.
De vives rougeurs lui montèrent aux joues.
- N'essaye pas de me mentir Freya, il suffit de regarder dans le fond de tes yeux pour y trouver la réponse. Harak est un homme en colère, et même si cela te paraît improbable, tu es peut-être la clé pour résoudre le mal qui le ronge.
- Il a perdu sa jeune sœur, comment pourrais-je être la clé de cette colère qui n'a de cesse de le brûler de l'intérieur ?
En insistant à ce point, Freya donnait à la guérisseuse toutes les raisons de lui prouver qu'elle possédait des dons.
- Harak ne veut pas se détacher de cette colère et il l'alimente rageusement en retardant la fin de cette bataille. Sans vraiment le réaliser il a déjà vengé la mort de sa sœur. Cela ne la concerne plus.
- Que voulez-vous dire ? S'enquit Freya en fronçant des sourcils.
- Cette vengeance te concerne, acheva Inga calmement. Seulement il ne s'en est pas encore rendu compte.
Un nœud se forma dans son estomac. Elle fut saisie d'un vertige qu'elle dut contrôler parce que le viking venait d'ouvrir la porte en laissant un vent glacial s'y engouffrer.
Ses lourdes bottes se mirent à claquer sur le sol et il posa sa main sur son épaule pour la presser entre ses doigts.
- J'ai trouvé un endroit où nous pourrons passer la nuit, déclara-t-il fermement comme s'il avait déjà pris la décision de partir sans lui donner le choix.
- Tu en es certain viking ? Demanda Inga qui ne semblait pas le moins du monde irritée par cette décision.
- Ta maison est trop petite pour que nous y dormions et je désire me retrouver seul avec ma femme.
- Tu as entièrement raison, déclara la guérisseuse en la laissant troublée.
Freya se leva pour se tourner vers lui.
- Tu en es sûr ? Insista Freya les mains glacées par les dires de la guérisseuse.
Il happa ses yeux avec son regard très sombre et se contenta d'incliner la tête.
Pourtant, Freya insista du regard et refusa de céder à la pression qu'il y avait dans ses yeux pourtant si impassibles.
- Il souhaite se retrouver seul avec sa femme, lança Inga derrière elle. Vas-tu lui interdire ?
- Bien, céda Freya en allant chercher sa cape pour s'enrouler dedans. Alors j'aimerai prendre la route maintenant avant que la nuit tombe.
- Sage décision, conclut le viking en jetant un dernier regard en direction de la guérisseuse.
- Au plaisir de te revoir guerrier, lui dit-elle avant qu'ils franchissent le pas de sa maison.
Freya voulut ignorer les paroles de la guérisseuse, mais son cœur lui ordonna de ne pas les laisser mourir dans son esprit, même si elle peinait à y croire.
- Est-ce tu crois en ce qu'elle dit ? Demanda-t-elle au viking une fois qu'ils furent loin de sa main.
- Oui, répondit-il sombrement. Je crois en ses paroles, même si celles-ci m'insupportent.
Étonnée de sa réponse Freya pivota sur le cheval pour le regarder.
- Quel est cet air suspicieux ? L'interrogea-t-il en plissant le front.
- Je ne pensais pas que tu attachais autant d'importance à ce genre de choses, admit-elle en se remettant droite sur le selle.
- Jusqu'ici je suis forcée d'admettre qu'elle ne s'est pas trompée.
- Vraiment ?
- Depuis ta fièvre, elle m'a dit tant de choses...
À sa voix, Freya nota une sorte de fatalité, comme s'il ne se donnait plus le choix d'y croire et cela voulait dire qu'elle se devait à son tour d'y croire.
Seulement les dires de la guérisseuse l'avaient effrayé.
- Je peux savoir ce qu'elle t'a dit ? Lança-t-il soudain.
Freya se pinça les lèvres en balayant les arbres hauts qui se dressaient de façon si effrayante.
- J'aimerai que tu m'emmènes là où tu veux m'emmener avant de commencer à parler, lui dit-elle en espérant qu'il accepte.
Pour seule réponse, Harak accéléra la cadence de son cheval. Freya craignait que le redoutable viking ne soit pas satisfait des réponses qu'elle lui donnerait bientôt.
- Voici l'abris dans lequel nous passerons la nuit, annonça-t-il d'une voix assez tendue.
Il s'agissait d'une maison abandonnée qui n'inspirait rien de bon, mais Freya lui faisait assez confiance pour accepter d'y rentrer.
Il poussa la porte et elle fut surprise de découvrir que l'endroit semblait avoir été habité par le passé.
- Il me semble que quelqu'un a déjà vécu ici, lui dit-elle en se tournant vers lui. Tu es certain qu'il s'agit d'une bonne idée ?
Il referma la porte l'air grave.
- Cet endroit a déjà été habité par un homme effectivement et cet homme c'est moi, révéla le viking en ôtant ses gants en cuir.
Il la rejoignit et posa sa main froide sur sa joue.
- Cette époque me paraît si loin maintenant, ajouta-t-il en allant trouver sa bouche pour y déposer un chaste baiser.
- Tu as vécu ici ? S'étonna-t-elle en posant ses mains à plat sur son torse.
- Oui, il y a longtemps, commença-t-il d'une voix qui semblait affectée par ce souvenir. Lorsque moi et mes hommes avons commencé à gagner certains territoires je me suis installé ici, loin de tout.
Il lui retira la cape et ôta ses vêtements lourds pour les poser sur la table poussiéreuse. Freya comprit à son regard que ce souvenir n'était pas des plus agréables.
- À cette époque j'étais trop dangereux pour rester avec les miens. Je craignais de les blesser.
- Alors tu es resté seul ? Ici ? Pendant combien de temps ?
- Assez de temps pour réaliser que cette solitude ne m'aiderait en rien.
Freya ressentit un pincement au cœur. Le viking avait tant souffert qu'elle comprenait pourquoi il n'avait plus d'humanité en lui, ou plutôt il était mort de l'intérieur.
Pouvait-elle le sauver ?
Rien n'était moins sûr, songea-t-elle en frissonnant.
- Alors ? Qu'est-ce que Inga t'a dit ?
- C'est pour cette raison que tu m'as amené jusqu'à elle ? Pour qu'elle me parle ou dessine une prédiction sur moi ?
- Plus précisément pour qu'elle m'aide à comprendre ce qu'elle m'a dit.
Freya tortilla ses doigts sous le regard pesant du Jarl.
- Elle ne m'a rien dit d'exceptionnel, mentit-elle le cœur battant à la chamade parce qu'elle craignait qu'il lise dans ses yeux qu'elle mentait.
Il s'avança d'un pas si lent qu'elle en eut un vertige. Tel un prédateur se fondant sur sa proie, il la couvrit de sa haute autorité et prit son visage en coupe.
- Ne me mens pas Freya, je risquerai de ne pas aimer ça, déclara-t-il tout bas.
- Elle n'a pas arrêté de parler de toi, de ta vengeance, de ta colère, du passé et du futur, finit-elle par dire en soutenant son regard. Je ne sais pas réellement ce qu'elle voulait dire, mais ce que je sais, c'est que je ne veux pas porter d'intérêt à cela. Attendre une prédiction n'a aucun sens pour moi.
Il grogna doucement, mais consentit à accepter de mettre un terme à cette discussion.
- Tu es frustré, nota-t-elle lorsqu'il s'éloigna d'elle d'un pas furieux.
Dévorée par l'angoisse qu'il lui en veuille de ne pas avoir pu lui en dire davantage, elle fixa son dos qui se soulevait presque par saccade.
- Je ne voulais pas faire ce voyage, ajouta-t-elle d'une voix remplie de déception. J'avais visiblement raison de le redouter.
- Tu m'es importante, lâcha-t-il soudain et sur un ton agacé. Tu m'es trop importante et j'ai l'impression que cette fois-ci je n'ai pas le contrôle. Je ne contrôle rien !
Elle déglutit puis décida d'avancer prudemment vers lui.
En levant sa main vers son dos elle craignait qu'il la repousse, mais il ne repoussa pas à son plus grand soulagement.
Le ventre cependant noué, elle priait intérieurement qu'il se retourne et la rassure.
- S'il te plaît Harak...
C'était la première fois qu'elle s'autorisait à l'appeler par son prénom et cette audace eut l'effet escompté.
Il se retourna si violemment qu'elle poussa un hoquet et se recula prudemment. À son geste, il changea d'expression parce qu'il se maudissait sans doute de lui avoir fait peur.
- Approche, ordonna-t-il doucement en tendant sa main pour qu'elle s'en saisisse.
Une part de crainte la retenait encore captive de la peur qu'elle éprouvait envers lui, mais un sentiment indescriptible la poussait toujours à prendre des risques.
Après tout, il était son mari...
Alors elle glissa sa main dans la sienne et il la tira vers lui pour la placer dans le creux de son torse.
- Je ne voulais pas t'effrayer, murmura-t-il en la serrant fort contre lui.
Freya ferma les yeux en savourant la chaleur de son corps qui la réchauffait.
- Je ne voulais pas faire ce voyage, répéta Freya en enfouissant son visage dans son torse.
Harak plaqua sa bouche dans ses cheveux en se maudissant d'être aussi intraitable avec cette jeune femme qu'il ne méritait pas.
Quelque chose en lui s'éveilla et plus puissant qu'il l'aurait imaginé, mais cet étrange sentiment disparut brutalement lorsqu'il entendit derrière lui des coups frappés à la porte.
Agacé d'être importuné dans un moment si important, Harak sortit son poignard et ouvrit la porte violemment.
- Par les dieux ! Que fais-tu ici ! Siffla le Jarl en découvrant Holga à genoux, frigorifiée et humiliée...
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