Chapitre 10



Les porteurs d'instruments de musique n'avaient de cesse de jouer, mais Freya avait l'impression que l'atmosphère n'était plus la même. Au moment où le Jarl reprit sa place sur le trône elle sentit s'émaner de lui une dangereuse froideur dont elle pensait être la responsable. Son cœur se mit à marteler dans sa poitrine et elle fut saisie d'un mal de dos assez désagréable.

Son estomac criait de faim et elle pouvait s'en prendre qu'à elle-même.

Freya se risqua de lever son regard en direction du profil inquiétant du viking et aperçut que sa bouche portait un rictus menaçant.

Épuisée et n'ayant qu'une seule envie, partir d'ici, elle baissa la tête sur sa botte et l'effleura dans l'espoir insensé d'attirer l'attention de son maître.

Au lieu de réagir, il resta de glace.

Freya exhala un soupir tremblant en posant sa tête sur le bois du trône et se risqua un regard en direction de la foule.

Ils dansaient, riaient, n'étaient pas inquiétés de son sort et lorsqu'elle leva les yeux vers le viking elle eut toujours cette impression qu'il était en proie à une vive colère.

Prudemment elle se redressa sur la marche en regardant Holga déambuler autour des guerriers en balançant ses hanches avec cette volonté de séduire. Pendant une seconde, Freya fut impressionnée par son assurance. Une assurance qu'elle n'avait pas.

Soudain une ombre se projeta sur son visage et elle découvrit le cœur battant à tout rompre que le Jarl venait de se lever.

Il but une lampée de son breuvage favoris et tendit ensuite sa main vers elle pour l'inviter à se lever.

Enfin ! Songea-t-elle en se laissant conduire car pressée de quitter cette salle.

Pour le pire comme pour le meilleur.

Sans un mot il l'entraîna dans la nuit sombre jusqu'à sa maison qui se trouvait à l'écart des autres et referma la porte assez violemment.

Freya sursauta avant de réprimer la peur qui la submergeait déjà.

- J'ai faim, annonça-t-il sur un ton bourru.

Heureusement, il restait du ragoût d'agneau qu'elle avait eu le temps de préparer dans la journée.

Elle porta la marmite jusqu'au feu pour le faire réchauffer.

Une fois prêt, elle lui apporta un bol jusqu'à la table et au moment de repartir il lui attrapa le poignet.

Elle réprima un sursaut en se risquant à plonger son regard dans le sien.

- Tu dois avoir faim, va te chercher un bol, ordonna-t-il.

Freya lut sa colère et elle ne voulait pas qu'elle s'étende jusqu'à elle alors Freya attendit qu'il libère son poignet pour s'exécuter. Elle avait faim, terriblement faim, mais prit une portion plus faible que celle qu'elle lui avait servi.

Et maintenant ?

Que devait-elle faire ?

S'installer en face de lui ? Par terre ? Près du banc ? Du feu ?

- Où dois-je me mettre ?

Il désigna le banc sans un mot.

Ce n'était pas sa place et elle peinait à comprendre les raisons qui le poussaient à lui offrir autant de privilège. Il en arrivait même à lui faire maudire Arkin qui lui avait narré tant d'histoires terrifiantes.

- Quelle est cette tête ? Dis-moi tes pensées esclave.

- Esclave, s'enquit Freya en le regardant droit dans les yeux, le cœur battant si vite qu'elle n'arrivait plus à respirer. Je suis votre esclave et pourtant vous m'offrez des droits que je ne devrais pas avoir.

Une lueur sombre passa lentement dans les yeux du viking et elle se rendit compte qu'elle venait d'aller trop loin. Beaucoup trop loin.

- Ainsi je ne suis pas assez violent avec toi ?

- No...non ce n'est pas ce que je voulais dire je...

- Désires-tu que je te fouette le dos parce que tu ne t'es pas occupé de mon linge ? Veux-tu dormir par terre ? Le bain gelé qui t'a rendu si malade te manque à ce point ou mieux encore...désires-tu que je t'asservisse à mon bon plaisir de mâle ?

Freya se sentit pâlir et son sang cessa de couler dans ses veines.

Les larmes aux yeux, elle secoua négativement de la tête.

- Je suis désolée, je réalise que je suis stupide et imprudente, mais...

Freya baissa les yeux et voulut se cacher le visage.

- Mais ? Mon manque te cruauté te perturbe à ce point ?

- Je suis perdue et terrifiée, ce n'est pas comme les histoires qui m'a été narré sur vous et vos hommes.

- Je suis un barbare, mes hommes sont des barbares, n'en doute jamais, répondit-il froidement. Je te traite à ma façon et soit heureuse que ce soit celle-là au lieu de t'en plaindre.

- Je ne m'en plains pas, murmura-t-elle d'une voix à peine perceptible.

- Ce n'est pas l'impression qui en résulte. C'est à peine si tu ne quémandes pas pour que je te punisse. Je commence à comprendre esclave. Tu cherches à donner du sens à ta captivité.

Elle ne répondit pas, les mains tremblantes.

- Un maître domine à sa façon et si mon désir c'est de te voir allongée près de moi alors tu dois t'y soustraire.

- Oui...

Il soupira bruyamment et commença à manger.

- Mange avant que je change d'avis.

C'est en silence qu'elle glissa un morceau dans sa bouche sans jamais lever les yeux.

Au lieu de se montrer reconnaissante d'être épargnée par sa cruauté, Freya avait remis en question sa façon de la traiter.

Quelle idiote !

En silence elle mangea tout en sentant des centaines de frissons parcourir son corps pendant que le viking finissait sa portion avec humeur.

Entièrement responsable de sa colère, elle se pinça les lèvres en peinant à finir les derniers morceaux de viande.

- Quand tu auras fini, prépare-toi pour dormir, annonça-t-il en se levant brusquement. Je reviens plus tard, j'ai à faire.

Désorientée par sa brusquerie soudaine, comme s'il fuyait sa propre demeure, elle le regarda partir sans un mot.

Il ferma la porte un peu sèchement, et la laissa seule à table. Freya secoua doucement la tête en regrettant amèrement cette discussion. Pourquoi ne s'était-elle pas contenter d'accepter d'être bien traitée ?

Tristement elle se leva pour plonger les bols dans la bassine en cuivre et alla dans l'autre pièce pour se changer. Elle passa une robe plus ample pour la nuit et tira sur les cordelettes pour l'attacher.

Pour s'occuper l'esprit elle ramassa le linge sale et le mit dans la bassine en bois et se risqua à ouvrir la porte arrière qui n'était pas verrouillée pour la placer dehors comme elle le faisait au village.

Pieds nus elle traversa prudemment la hutte extérieure et déposa la bassine sur le côté.

- Tu tombes bien.

Freya réprima un sursaut et se retourna pour mettre un visage sur cette voix féminine.

Telle fut sa surprise de découvrir qu'il s'agissait d'Holga.

Que faisait-elle ici ?

Au lieu de baisser les yeux comme elle l'aurait dû, Freya la regarda dans les yeux et affronta son animosité.

- Que puis-je faire pour vous ? Demanda-t-elle en plaçant tout son poids sur un pied puis sur un autre car ils gelaient à cause du au froid.

- Le Jarl ne te l'a peut-être pas dit, mais les esclaves ont des tâches communes ici, commença-t-elle en s'adossant à la poutre tout en croisant les bras. Il serait peut-être temps que tu fasses les tiennes.

L'hostilité était si visible dans ses yeux qu'il était presque impossible de l'éviter.

Freya se mordit l'intérieur de la joue, consciente qu'elle n'avait pas le choix que d'accepter.

- Dès demain, je ferais mes tâches, lui dit-elle en s'entourant de ses bras pour se protéger du froid.

- Tu as du retard, répliqua Holga assez froidement. Tu ferais mieux de commencer tout de suite.

Freya leva les yeux sur la lune qui était caché par d'épais nuages.

- Tout près de la rivière, il y a un tas de linge de maison qui n'a pas été nettoyé, il peut-être temps de t'en occuper.

Il faisait froid, quelques flocons caressaient silencieusement la terre froide et humide. Elle ne savait pas où se trouvait cette rivière précisément et encore moins comme la rejoindre sans se perdre.

Holga la pressa du regard.

- Qu'est-ce que tu attends pour te mettre en chemin ?

- Je ne sais pas où c'est, je n'ai rien pour me guider.

- Débrouille-toi esclave, ce n'est pas mon problème, lui dit-elle froidement et avec un sourire en coin.

Freya se savait en position de faiblesse. Elle tourna la tête en direction du village à peine éclairé et inspira profondément, une peur douloureuse au ventre.

Ses épaules se mirent à trembler de froid et elle quitta la faible source de chaleur qui la tenait encore au chaud pour s'engager dans la nuit noire.

Ses dents se mirent à claquer et elle se retourna pour jeter un dernier regard vers Holga qui à sa grande surprise ne portait plus sur son visage cette expression satisfaite.

Freya avança sans regarder devant elle et rencontra un bloc dur qui la stoppa dans son avancé. Elle hoqueta en sentant une prise sur ses épaules froides et tourna la tête à la hâte. Ses yeux tombèrent sur un large torse qui se soulevait dangereusement. Elle souleva les paupières lentement vers le viking dont la bouche était tordue de colère.

- Que fais-tu ! Gronda-t-il entre ses dents serrées.

Ses puissantes mâchoires convulsaient, un éclat de rage se formait dans ses yeux déjà très sombre.

- Je...je...elle m'a dit que...

Sa gorge se serra et elle craignait de ne pas pouvoir poursuivre tant son sang était glacé d'effroi.

- Holga m'a dit que j'avais des tâches en retard, trouva-t-elle la force de lui dire en peinant à soutenir son effroyable visage.

- Rentre immédiatement !

Harak attendit qu'elle se soit enfuie dans la hutte pour foncer sur Holga qui essayait de s'échapper par l'arrière.

En deux grandes enjambées Harak la saisit par le bras et la tira violemment en arrière pour la plaquer contre la hutte.

- Que fais-tu près de ma demeure sans autorisation ? Que faisais-tu avec mon esclave ? Réponds femme !

Bien que toujours fière, Holga eut un sursaut de peur.

- Je lui rappelais seulement son rôle d'esclave mon cher Harak. Elle doit faire ses tâches quotidiennes comme les autres esclaves.

Harak frappa le plat de sa main sur le mur en la dévisageant avec colère.

- Et qu'espérais-tu d'elle si tard ! Gronda-t-il si fort qu'il craignait de réveiller le village. Tu désirais peut-être qu'elle déambule dans le village en tenue si légère que certains de mes hommes n'auraient pas pu contenir leur soif ! Ou espérais-tu qu'elle tombe malade ?

Holga le regarda avec des yeux exorbités.

- C'est une esclave et tu te comportes comme si elle avait de l'importance à tes yeux ! Fulmina-t-elle en soutenant son regard. Dois-je te rappeler qu'il faut les déshumaniser ?

Harak dont la bouche tremblait d'une rage à peine contenue abaissa sa main jusqu'à sa gorge pour la serrer.

- Tu sembles oublier à qui tu t'adresses femme, dit-il d'une voix dangereuse. Je sais à quel point tu t'efforces d'attirer mon attention, mais tes efforts ne servent à rien. Je ne te prendrais pas comme épouse et encore moins comme maîtresse.

- Tu en es certain ? S'enquit-elle avec un sourire insolent. Si au moins tu me laissais une chance de te montrer.

- Tes exploits dans le village m'ont été amplement suffisant. Je crois que le plus pénible pour toi c'est l'ignorance que t'accorde tes amants une fois le soleil levé.

Son sourire la quitta remplacé par un feu de honte et de colère mêlées.

Harak esquissa un sourire cruel et poussa un rire moqueur.

- Si tu veux de la compagnie, va donc trouver réconfort auprès de Svend, il n'attends que ça.

Il resserra sa prise sur son cou et approcha son cruel visage face au sien.

- Ne t'approche plus jamais d'elle ou tu en paieras le prix de ta vie, la menaça-t-il tout bas.

Il lui lâcha le cou et Holga partit en trombe, un éclat d'humiliation dans les yeux.

- Regarde un peu ce que tu as fait mon cher Harak, lança Estrid qui émergea de l'ombre. Tu ramènes ta toute première esclave et les femmes s'en retrouvent anéanties.

Cette légère moquerie de la part de la guerrière aurait pu le faire sourire s'il n'y avait pas une grande part de vérité dans son discours.

- Qu'a-t-elle de si important que les autres décèlent mais que je ne vois pas ?

- Trop d'innocence peut-être ou bien le fait que sa compagnie te plaît bien plus que tu veux l'avouer, répondit Estrid en haussant des épaules. Tant d'années ont passées Harak et dans lesquelles ton seul objectif était de prendre terre après terre. La fille est un imprévu qui ne te déplait pas et je dirais même que tu en avais besoin pour attendrir un peu la bête cruelle qui est en toi.

Harak ne répondit pas, attendant avec impatience la suite du jugement de sa plus fidèle guerrière.

- J'ai cru comprendre que Edmund Calister cherche à la récupérer, et il me tarde de savoir si tu la lui donneras en échange d'un peu d'argent.

Pour seule réponse Harak grogna et la femme viking lui sourit en retour.

- Ainsi voilà ce que tu ne vois pas Harak, tes réactions imprévisibles quand on te parle d'elle et de la possibilité qu'elle te soit arrachée.

Satisfaite de le laisser sur ces paroles qui achevèrent de le marquer, Estrid s'éloigna et très vite Harak se souvint des paroles de la guérisseuse.

Une prédiction ou un mauvais présage...

Peu importe !

Il voulait plus de réponses de la part d'Inga alors il sauta sur son cheval et s'enfonça dans la forêt à grand galop.

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