VIII -- Familia Imperatoria
Précédemment dans l'Esclave de Rome :
Les portes de l'appartement du Domus Augusti s'ouvrirent sur son humble grand-père, l'Empereur Auguste, accompagnée de sa magnifique femme, l'Impératrice Livia, qui se pavanait.
Dos à eux, Julius les observa furtivement du coin de l'œil avant de retourner à ses contemplations. Il soupira de plus belle pendant que les gardes et les conseillers saluèrent l'Empereur et l'Impératrice.
« Ne me salues-tu pas, mon cher Julius ? » s'étonna l'Impératrice d'une voix doucereuse.
*
* *
La voix pointue de l'impératrice siffla aux oreilles de Julius couvrant les bruissements des feuilles qui dansaient au rythme du vent. Instinctivement, son corps tout entier s'était raidi. Ses mains exercèrent une pression sur les moulures de la balustrade. Il ne put réprimer un tic d'agacement. L'atmosphère autour de lui s'était tendue. L'une des feuilles se détacha pour se déposer sur le balustre devant le visage fermé de Julius.
Pendant combien de temps, cette mascarade devrait-elle durer ?
D'en haut, il observa, pendant quelques fractions de secondes, les gens déambuler rieurs et libres. Il aurait tout donné pour être ailleurs, en bas plutôt que là-haut. Derrière lui, les gardes étaient figés sur place. Ils attendaient une réaction de sa part.
Surtout, son grand-père dont il percevait le regard perçant son dos. Sur ses épaules, Julius sentait le poids d'un pouvoir qu'il exécrait. Il devinait aisément le sourire dissimulateur de l'impératrice qui s'enquérait auprès de chaque conseiller. Il resserra plus fort la balustrade comme pour contenir une soudaine poussée de haine.
Il savait que son grand-père aimait avoir un contrôle absolu sur tout. Si quelques discordes étaient perceptibles dans la famille impériale, cela ébranlerait le pouvoir en place.
Devant l'Empereur, son grand-père et l'Empire romain, il fallait sauver les apparences : montrer à tous une famille solide et unie malgré les déséquilibres.
Alors, à contrecœur, il fit ce que l'on attendait de lui. L'inimité qui se lisait sur son visage se transforma en une grimace figée, qui se voulait être un simulacre sourire.
D'un air stoïque, Julius se dirigea fièrement vers le couple impérial. Des esclaves avec de nombreux manuscrits leur emboîtaient le pas.
Comme au théâtre, les conseillers et les gardes s'écartèrent vers les fresques murales aux motifs élaborés. De sa stature haute et droite, les sandales de l'Héritier de Rome foulèrent d'un pas contrôlé les dalles colorées de la tablinium.
Les rayons du soleil couchant l'auréolaient d'une lueur rougeâtre, lui conférant une allure divine. Une brise joua avec sa toge, laissant imaginer la puissance de chacun de ses muscles, et vint à mourir dans les boucles qui s'échappaient du sobre voile de l'impératrice.
Ses esclaves s'affairaient autour d'elle. Pendant qu'une arrangeait le pli de sa stola en soie, une autre lui présenta des mets. De ses doigts en porcelaine, elle porta une succulente datte à sa bouche.
Une aura puissante se dégageait de lui.
Incapable d'endurer plus longtemps cette force qui se dégageait de Caius Julius, elle posa son regard en direction de son mari dont le coin de ses lèvres se soulevait en un léger sourire.
Livie décelait l'éclat de satisfaction et l'admiration valser dans ses yeux glauques, telle une étincelle.
« Rome a enfin un héritier à sa hauteur. »
Cette étincelle déclencha une flamme de rage dans la poitrine de l'impératrice.
Elle croissait au fur et à mesure que l'ombre rutilant grignotait la toge de l'Empereur dont le visage était béat.
« Cela aurait dû être mon fils, Drusus », fustigea-t-elle intérieurement.
Si seulement, Drusus était encore vivant, elle n'aurait guère à se préoccuper de « ces héritiers » de Rome. Il aurait été le fils que Rome attendait. Mais, tout espoir n'est pas vain. Il reste encore Tibère. Si imprévisible, songea-t-elle anxieuse.
L'impératrice Livie se reprit. Devant tous, elle devait paraître comme un modèle de vertu. Elle était l'épouse de l'Empereur. L'épouse de Rome. Rome était à ses pieds. L'Empereur l'était. Rome était à elle. Et, elle comptait bien qu'il en demeure, refusant que l'un des fils de la dévergondée ne ruinât tout. Tous les sacrifices qu'elle avait entrepris pour Rome ne seraient pas vains.
L'éclair de fureur qu'on pouvait déceler prit une forme d'un sourire mesquin en découvrant Julius s'incliner.
« Ave , consentit ce dernier à prononcer du bout des lèvres en inclinant la tête.
- Relève-toi mon fils. Ce ne sont pas aux dieux de courber l'échine. », ordonna Auguste en effleurant le menton de son petit-fils.
En repoussant sa toge, l'Empereur s'installa sur le triclinium pourpre aux délicates coutures dorées. Il examinait attentivement son petit-fils s'entretenir avec un conseiller. La ressemblance de son petit-fils avec le dieu de la guerre, Mars, n'échappait à personne.
« Je te remercie, Manius. Tu en as assez fait pour aujourd'hui, déclara Julius en posant une main sur l'épaule du conseiller chauve.
- Mais,...
- Tu ne voudrais pas gâcher les rares moments familiaux, n'est-ce pas ? », coupa-t-il Manius en l'éloignant habilement de Livie.
- J'espère que nous n'interrompons rien d'important ? s'enquit l'Impératrice. Je pensais que cette impromptue récitation de poèmes t'aurait enchanté ! »
Le ton préoccupé qu'elle avait employé agaça profondément le jeune romain.
Il aurait largement préféré avoir une récitation particulière avec la charmante et souriante esclave blonde qui éventait la femme de son grand-père et qui le lorgnait discrètement. Ils savaient tous deux que cette « impromptue récitation » n'avait rien d'une innocente attention. Comme une vipère, elle souhaitait s'immiscer dans toutes les affaires de Rome.
Seul, l'Empereur Auguste, était assez crédule pour y croire. Dès qu'il s'agissait de sa femme, son grand-père semblait manquer de discernement, condamnant sa propre fille, Julia à épouser ce fourbe de Tibère.
Or, il était hors de question que les informations qu'on venait de lui délivrer ne tombent dans les mauvaises mains.
Le jeune romain se détacha du conseiller chauve et se tourna en direction du couple à l'allure si simple qu'il aurait été difficile de le qualifier d'impérial. Seule la prestance reflétait l'importance de leur statut. Lorsque le regard de Julius croisa les yeux azurs de sa grand-mère par alliance, un véritable bras de fer se livra.
Chacun cherchait à intimider l'autre.
« Non, rassure-toi, Avia Livia. Ta louable attention me touche. De plus, Manius et ses hommes étaient sur le point de partir, n'est-ce pas Manius ? »
La coupe qu'elle tenait se mit à trembloter. Elle était irritée par le mot Avia lui rappelant avec aigre déplaisir son âge.
Qu'elle, l'Impératrice, n'était plus en âge de donner à Rome un véritable héritier. Son échec. Cela l'affaiblissait considérablement devant tous.
Livie se contint de son mieux pour ne pas serrer le pan de sa sobre stola, comme elle souhaitait étriper ce prétentieux. D'un geste laconique, elle s'allongea sur le lit en fixant le conseiller.
« Mon cher Manius, est-ce bien, là, la vérité ? s'assura-t-elle avec un délicat rire.
- Remets-tu ma parole en doute, Avia ?
- Mon tendre petit-fils, je vous connais si bien. Je souhaite juste m'assurer que tu ne cherches pas à épargner mes sentiments. Ce qui, évidemment, me peinerait terriblement. » termina-t-elle en tendant sa coupe à une escalve.
Surpris, Manius se liquéfia perdant l'usage de la parole. Il épongea les quelques gouttes de sueur qui commençaient à suinter sur le haut de son crâne avec le pan de sa toge. Il ressemblait à une fouine pris en étau. Il ne cessait de faire des allers-retours entre l'Impératrice et Julius, essayant de prendre la meilleure solution.
Si celui-ci mentait à l'Impératrice, il risquait de finir comme cette datte qu'elle roulait du bout des doigts. Mais, son époux était âgé, paranoïaque et fragilisé par ses crises. Une fois qu'il serait mort, l'homme à côté de lui était la relève de Rome.
Le conseiller plia sous la douleur que le jeune romain lui infligeait. Ce dernier appuyait avec vigueur sur son épaule, manière d'asseoir son autorité. Sa force, son regard franc, son attitude altière et son galbe guerrier,... Tout en ce jeune homme lui rappelait l'impitoyable Julius Caesar dont manifestement, Auguste n'avait pas la carrure.
« Alors, Manius ? trancha l'Empereur en s'accoudant près de son épouse. Avez-vous perdu l'usage de votre langue ? »
La douleur se transforma en désespoir.
« Nous avions bien fini, César, murmura-t-il. Si vous le permettez, notre place n'est plus, ici.
- Alors, dans ce cas-là, Egil, dit Livie d'une voix blanche en direction du poète, honore mon petit-fils en récitant l'un de tes poèmes à la gloire de Mars. »
Pendant que le poète raclait sa gorge, Julius rattrapa le petit conseiller chauve.
« Par Jupiter, laisse-moi te reconduire, Manius. Peux-tu m'excuser de t'avoir mis dans cette position désagréable ? s'excusa Julius avec un petit rictus victorieux. J'ose espérer que cela restera entre nous. »
Talonnés par les autres conseillers et les gardes, il l'escorta vers la porte. Prudemment, il lui murmura quelques indications à l'abri de l'indiscrète Livie blême.
« Julius ! »
Le cri avait jailli de l'atrium secondaire où résonnaient des petits bruits de pas précipités poursuivi par deux esclaves. Une fillette aux cheveux blonds, comme le blé, et échevelées se jeta dans ses bras en riant. L'expression du visage du jeune romain se métamorphosa.
« Je t'ai guetté toute la journée ! J'ai cru mourir d'ennui. M'avais-tu oublié, mon frère ? lui murmura-t-elle, boudeuse, au creux de son oreille.
Un genou à terre, il se détacha de sa chaleureuse étreinte. Il l'observa quelques instants la petite personne à l'air éveillée et gracile qu'était sa sœur, Agrippine.
« Comment osais-je négliger la plus ravissante des créatures du palais ? » répliqua-t-il.
Il lui donna une petite pincette sur son nez un peu long. La jeune fille exposa un large sourire en sa direction avec des joues rosies.
« Laisse-moi t'admirer dans ta merveilleuse robe ! s'exclama-t-il en la tournoyant.
- Julius, tes compliments ne marcheront pas ! Je ne suis une de ces esclaves ou patriciennes que tu cherches à séduire ! » s'amusa-t-elle.
À cette remarque insolente, le jeune romain se mit à rire.
« À l'avenir, peut-être que je ne le ferai plus....
- Tu peux bien raconter cela à grand-père, si tu le désires. Mais, pas à moi ! »
De sa charmante main, elle le tira vers elle.
« Allez, viens ! Il faut absolument que tu vois ... »
Elle n'eut pas le temps de finir ces mots qu'une personne bondit sur le large dos de Julius.
« Ah, je t'ai eu ! s'écria la personne avec malice. Règle d'or : ne jamais tourner le dos à l'ennemi, Julius !
- Qu,... Que m'arrive-t-il ? Me voici pris au piège !»
Ce dernier fit un clin d'œil complice avec sa sœur en se redressant.
« Accroche-toi ! »
Debout, Julius se lança dans une course folle dans l'atrium, tout en marbre blanc, en prenant soin d'esquiver les statues, les colonnades et les esclaves de passage dont l'heureux spectacle leur arrachait des timides sourires.
Sur son dos, le pauvre enfant, rigolait s'accrochant à la toge de son frère. Il tanguait comme un bateau en pleine tempête.
Le palais d'ordinaire si austère semblait prendre vie. Les hurlements, la clameur et les rires qui inondaient l'atrium avaient ameuté plusieurs curieux spectateurs, étonnés.
La surprise passée, quelques-uns s'amusaient à faire des paris sur le vainqueur de ce distrayant jeu.
« Julius ! Arrête par pitié ! Je t'en prie ! Laisse-moi descendre.
- En es-tu sûr, Agrippa ?
- Oui ! » dit-il à bout de souffle entre deux hoquets de rire.
Sans aucun scrupule, l'enfant se retrouva les quatre fers en l'air dans la fontaine. En riant, Julius ébouriffa les cheveux blonds vénitiens de l'enfant aux joues rondes.
« Jolie tentative ! » nargua Julius, avec un large sourire, derrière Agrippine qu'il avait pris en bouclier.
Arrosée, elle bondit en arrière en poussant un petit cri de surprise. La stupeur qui se peignit sur son visage les fit rire, tous.
« Tu ne perds rien pour attendre, Julius. »
Sans y réfléchir, elle prit une cruche de la main d'un esclave et poursuivit son frère, avec. Julius cherchait refuge derrière une statue.
« Voyons ça ! »
Dans les éclats de joie, l'atrium se transforma en une géante bataille d'eau.
Au bout de quelques secondes, Agrippa et Agrippine avancèrent menaçants vers leur frère aîné qui reculait prudemment.
« Vous n'oserez pas me jeter ... »
Trempé, Julius fonça vers les deux enfants et réussit à s'emparer d'Agrippine. Sur son dos, elle se débattait comme un furieux diable pour ne pas tomber dans la fontaine. Aucun stratagème, aucune négociation, ni corruption, même les plus inventifs des chantages n'eurent effet sur son frère. Il la jeta sans ménagement dans le bassin.
S'esclaffant, elle dégagea les cheveux mouillés qui collaient sur son front. Épuisée, elle tendit une main en direction de son frère pour faire la paix.
« Aide-moi à me relever, Julius ! »
Lorsqu'il lui prit la main, elle l'entraîna dans le bassin avec elle. Dans un geste désespéré, il empoigna le bras d'Agrippa pour ne pas tomber. En vain ! Les trois se retrouvèrent dans la fontaine, partant dans un fou rire général.
Un raclement attira leur attention. Lucius, écarlate de colère, se tenait devant eux, les bras croisés.
« Par Jupiter ! Dites-moi que je rêve ! Savez-vous vous tenir ? ».
À cet instant, Julius se rendit compte de la foule qui s'était agglutinée autour d'eux.
« Allons, détends-toi ! Nous ne faisions que nous amuser ! répliqua Julius en sortant du bassin.
Sa toge collait sur son torse et ses cuisses, laissant apercevoir sa parfaite musculature.
« Me détendre ? S'amuser ? bredouilla Lucius dans une explosion de rage. Avec ce qui se passe ? Tu n'as que ce mot à la bouche, Julius ! Tu ne prends rien au sérieux. Tu as toujours été comme ça. Tout est sujet à plaisanterie avec toi....
- Qu'est-ce qui te prend, Lucius ? l'interrogea-t-il en s'approchant de son frère qui recula.
- Ne comprends-tu donc pas la gravité de la situation, mon frère ? soupira-t-il amèrement. Où étais-tu ? Nous t'avons attendu avec le sénateur Quintus Marcillus. Mais, je te retrouve, ici à jouer avec ces deux garnements ....
- Ils font partie de notre famille, Lucius. Il est important...
- Important ? railla-t-il. Depuis quand as-tu le sens des priorités ? Quand il s'agit de goûter la chair, tu files comme Mercure. Rome ne se résume pas à des vulgaires sauteries et des combats qui jaugent le degré de virilité ! Nous ne sommes pas des barbares. Après tout, tu es exactement comme notre mère, le dédaigna-t-il. Rome court à sa ruine, avec toi. À quoi pensez Grand-père en te confiant cette charge ? »
Son frère, irrité, tourna les talons. Abasourdi, Julius voulut le poursuivre pour s'expliquer avec mais son esclave, Angelus, l'en empêcha.
« Maître, laisse-le se calmer. »
Confus, Julius hocha la tête, ramenant des mèches de cheveux humides en arrière. Dans un silence assourdissant, il pivota vers sa sœur et son frère et articula silencieusement des excuses.
De l'autre côté de la pièce, il aperçut le sourire malsain de Livie.
« Agrippine et Agrippa ? Quelles sont ces manières ? Allez-vous sécher. Immédiatement. »
Sans accorder la moindre attention à l'héritier de Rome, l'Empereur partit de l'atrium vers une pièce où il s'enferma. Têtes baissés, trempés, les deux enfants prirent une mine grave et s'exécutèrent.
« Et, vos révérences, Agrippine et Agrippa ? » réprimanda l'Impératrice sèchement.
Dans un silence, les deux enfants, pivotèrent et reculèrent d'un pas pour s'incliner solennellement et s'en allèrent avec des esclaves.
*
* *
J'espère que ce chapitre vous aura plus ! Je m'excuse d'avance pour les coquilles !
Rdv au prochain chapitre :)
Image : L'impératrice Livie
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