VII - Luernius (1)

Précédemment dans l'Esclave de Rome:

« Je crois que Luernius a des gros ennuis... »

*** ***

Les doigts de Théa se crispèrent sur l'anse de la corbeille. Une boule d'effroi se forma dans le creux de son ventre.

Sans qu'elle s'en rende compte, Marcus l'entraîna avec lui avec empressement.

« Où vas-tu, Théa ? s'étonna une voix mielleuse derrière eux.

Théa, tracassée, tourna sa tête vers Hyppolotius et Roxanna qui la dévisagèrent, interloqués.

« Couvrez-moi, j'ai une urgence.

— Que dira-t-on à Rémigius quand il apprendra que sa joueuse préférée s'est fait la malle ?

— Improvise, suggéra Marcus plein d'aplomb.

— Improvise ! ironisa le chanteur qui les suivait. Elle est bien bonne...

— Je serai de retour à temps ! promit Théa en évitant de se heurter à une table de justesse. Il ne remarquera à peine mon absence.

— Je l'espère, soupira le craintif chanteur. Il n'est jamais bon de le voir en colère...

— Vas-y ! » le coupa Vix, le gargotier, en frottant un verre.

Reconnaissante, Théa hocha la tête.

« Dis à Luernius, cria Roxanna avec une moue boudeuse qui était sortie de la taverne. Qu'il n'est plus le bienvenu dans mon lit ! Ni ce soir ni aucun soir.»

Mais Théa, emportée par son petit frère, était déjà loin et n'entendit pas la sculpturale danseuse qui levait la pointe de son nez.

« Personne ne pose de lapin à Roxanna, termina-t-elle en scrutant le voile blanc de Théa qui volait au gré de ses mouvements.

Une vague de ressentiment envahit la danseuse de la taverne pendant que son amie rétrécissait au loin, pour devenir qu'un petit point. Pourquoi le colossal Luernius ne se reposait pas sur elle ? Pourquoi se tournait toujours auprès de Théa en cas de problème ? Pourquoi Théa passait toujours avant elle ?

« Où va-t-elle ? s'interrogea la voix mielleuse d'Hyppolitius par-dessus l'épaule de Roxanna, la surprenant par la même occasion.

— Rejoindre Luernius. » soupira la danseuse avec une pointe d'amertume en regagnant la taverne.

Hyppolitius, qui crut déceler une once de jalousie, pencha la tête intrigué. Il s'installa au comptoir avec Lycaon pendant que Roxanna, empreinte aux doutes et à la jalousie qui la dévorait, monta les escaliers.

*** ***

Le cœur palpitant, Théa, conduite par le jeune Marcus, s'engouffrait dans les ruelles sombres, à vive allure. Galvanisé par l'action, Marcus filait dans les rues comme une flèche.

La promiscuité des hauts îlots de Subure empêchait les délicieux rayons du Soleil de pénétrer dans le quartier de Subure. Avec précaution, ils évitèrent les gens. Leurs sandales usées foulèrent les gravats et les amas de décombres d'une insula qui s'était effondrée, deux jours plus tôt, comme un château de cartes.

Avec une légère appréhension, Marcus scruta les ruines derrière lui, espérant qu'une telle tragédie ne produisât pas chez eux. Théa eut un léger frisson à la vue des vêtements sous les décombres et des traces de sang. Son sang se glaça si bien qu'elle ralentit les pas.

Elle avait appris que le propriétaire, un sénateur peu scrupuleux, aurait lui-même envoyé des hommes de main pour provoquer l'effondrement du bâtiment. Il voulait augmenter le prix des appartements contre le gré des occupants. Et, c'étaient eux, ces innocents, qu'on avait exécutés. Les survivants paieront le prix que demanderait le propriétaire.
Théa, qui avait lâché la petite main de Marcus, se révolta. Comment pouvait-on faire commerce de la misère et la pauvreté aussi impunément ?

Rome était bien impitoyable. Et, un feu s'animait dans les yeux de Théa.

Elle méprisait ces riches patriciens romains qui se pensaient au-dessus de tout, même des lois. Ils étaient intouchables dans leurs villas. Tout leur était offert sur un plateau d'argent.

« Dépêche-toi ! » souffla Marcus embêté, qui avait fait demi-tour, extrayant Théa de ses pensées.

Il interrogea du regard sa sœur puis la pressa. La petite tête, dont les boucles dorées rebondissaient à chaque foulée, serra la douce main de Théa contre sa paume et la tira pour qu'elle accélèrât le pas. Elle replaça le fin voile blanc qui glissait le long de ses longs cheveux bouclés et tenta de suivre le rythme de Marcus qui déployait une vivacité impressionnante.

Son comportement attisait la curiosité de la jeune femme. Des milliers de questions tournaient et tourbillonnaient dans sa tête, l'agitant et la tourmentant. 

Les voici, donc, en train de courir sur le pavé de Subre, lorsque des vigiles en toge jaune sortaient d'une insula, en roulant des épaules. Marcus les évita de justesse.

Théa ralentit le pas et baissa la tête en observant le panier en priant intérieurement que les « policiers » de Rome de les laisser poursuivre leur chemin sans embûche. C'était sans compter sur l'insolence de Marcus. Après avoir jeté un regard hostile, il leur tira la langue.

« Toi avec l'enfant, arrête-toi ! » ordonna l'un des vigiles.

Théa s'arrêta en se pinçant les lèvres. Elle regarda sévèrement du coin de l'œil Marcus qui s'était tétanisé de peur.

« Es-tu sourde ? l'interpella-t-il dans la rue, d'une voix arrogante.

— Surtout ne fais rien. » marmonna-t-elle entre ses dents à l'attention de Marcus.

Le vigile, bien épais, agrippa violemment le bras mat de Théa et la força à se retourner vers lui sous les yeux des autres vigiles qui observaient en retrait, les bras croisés.

« Et toi, es-tu donc aveugle ? Tu as manqué de nous renverser, toi et tes hommes. » répliqua-t-elle, peu impressionnée.

Sans une once de peur, elle releva ses yeux bruns vers l'arrogant officier qui abusait de son autorité. Furieux et agacé par l'insolence qu'il releva dans sa voix, celui-ci la toisa bien décidé à la corriger pour sa défiance pendant que ses hommes chuchotaient.

« Théa, la délicieuse voleuse. Où comptes-tu aller, ainsi, sans t'excuser ? » l'interrogea-t-il, menaçant en acérant ses doigts sur son bras.

Le ton qu'il employait ne plut guère à Théa qui jetait des œillades à Marcus, renfrogné. Le vigile s'avança de quelques pas. Il caressa le fin voile blanc qu'elle portait sur la tête avec suspicion.

« Où as-tu trouvé ce fin voile que tu ne peux visiblement pas t'offrir ?

— Je l'ai trouvé dans la rue. Lâche-moi, maintenant. »

Théa tenta de se défaire de son bourreau. Avec désinvolture, il se retourna vers les autres vigiles qui se concertaient du regard.

« Dans la rue ? répéta-t-il avec un rire moqueur qu'imitèrent ses acolytes. Me penses-tu aussi sot ? »

L'homme imposant s'approcha d'elle, empiétant son espace vital. Il fixa Marcus avec intensité tout caressant le bras nu avec un sourit satisfait.

« Est-ce ton fils ? » lui souffla-t-il au creux de son oreille.

Les deux mains sur le panier d'osier, Théa détourna le regard au sol tout en gardant le silence.

« Il est beau. Mais pas aussi beau que sa mère. » continua-t-il.

Son sang ne fit qu'un tour. Elle se retenait de cracher sur le visage de cette crapule, mais elle savait ce dont il était capable. Ce chef des vigiles n'était pas un homme tendre.

« Ce serait dommage qu'il finisse fouetter sur la place publique, ma jolie, la menaça-t-il. Ou pire. Je l'épargnerai si ...

— Que veux-tu ? »

Théa devait épargner son jeune frère, et cela, malgré le prix qui l'en coûterait. Théa serra les poings sous la menace. Le vigile descendit son épaisse main vers son bassin. Elle tenta de se reculer mal à l'aise pendant que Marcus grogna. Le gardien de Rome l'agrippa par le bassin et l'enlaça avec brutalité.

« Je saurai être clément si sa putain de mère se montre généreuse. »

— Lâche-la ! s'interposa Marcus, en colère, en repoussant violemment le vigile.

— Tiens ! Tiens ! s'amusa le vigile d'un air suffisant en se tournant vers Marcus.

— Laisse-le tranquille !

— Regardez ce que nous avons, dit le vigile en se détournant de Théa. Une autre petite canaille qui défie l'ordre public de Rome. »

Le vigile leva la main pour infliger une bonne correction Marcus. Celui-ci protégea son visage avec son avant-bras.

Soudain, un sifflement perça l'air au même moment qu'un aigle prit son envol. Puis un sourd bruit retentit.

Surpris de ne rien ressentir, il rouvrit les yeux et il vit avec horreur le voile de Théa volait et tombait à terre. La violence du coup avait projeté la belle Théa et son panier à terre. Les pains de Califius roulèrent sur le pavé.

« Cela te servira de leçon. » avertit-il en en piétinant le voile de Théa, sans remord.

Le vigile s'arrêta et jeta à un mauvais regard Marcus.

« Tu as eu de la chance, aujourd'hui. Je serais moins clément, la prochaine fois. »

— Sale brute ! » maugréa le bagarreur Marcus, outré.

Le garçonnet aux belles boucles se précipita vers Théa qui essuyait le petit filet de sang du revers de la main. Sa joue la brûlait. Celle-ci portait encore les traces de doigts vives et rouges du vigile. Un peu sonnée par la gifle, Théa  ramassa le voile déchiré et sali puis elle releva avec l'aide de Marcus.

« Ce chien ne t'a pas raté, s'insurgea-t-il en découvrant la lèvre tuméfiée de Théa. Pourquoi n'es-tu pas défendue ?

— Le narguer était bien plus drôle, mentit-elle en souriant. Le silence le rend fou. »

Avec un pincement au cœur, elle ramassa le panier d'où seulement quelques pains s'en étaient échappés. Elle n'avait pas voulu que son frère assiste à ce genre de scène, pour le préserver un peu. Elle dépoussiéra le voile et le remit avant de reprendre leur route.

Cependant, Marcus marcha lentement L'incompréhension et l'injustice animaient son regard. Il jeta un dernier coup d'œil par-dessus son épaule. Les " yeux de Rome " se félicitaient. Ils  imposaient leur loi, ici, tandis que Théa avait dû courber l'échine.

« Ne raconte rien à Luernius. » ordonna Théa.

Hésitant, Marcus la scruta avec ses yeux clairs. Avec un air ferme, elle attendait le petit doigt levé.

« Promets-le, Marcus ! »

Il finit par lever son petit doigt et l'enroula autour de celui de sa sœur, scellant leur promesse, au plus grand soulagement de Théa.

Essayant de chasser la tristesse et l'amertume qu'elle lisait en lui, la brune ébouriffa la chevelure abondante de son frère qui avait bien grandi. À mesure qu'il grandissait, Marcus ressemblait trait pour trait à leur défunt père, même s'il avait les yeux de leur mère. Il s'écarta d'elle avec horreur en se recoiffant.

« Tu sais que j'ai horreur quand tu fais ça !

— Mais, tu es si mignon ! » s'exclama-t-elle en le serrant dans ses bras par surprise.  

  Elle le couva de bisous ce qui lui fit oublier pendant un bref instant leur mésaventure. Marcus se débattit et réussit à s'échapper des bras qui l'emprisonnaient. Gagné par l'insouciance de l'enfance, il se mit à courir pour la fuir avec un rire si doux qu'il réchauffa le cœur de Théa. Pendant un instant, elle oublia son sordide quotidien et elle le poursuivit, amusée. Ils coururent ainsi jusqu'un mur de pierre, qui ressemblait plus à un rempart.

*** ***

Essoufflés, ils arrivèrent en bas de l'insula de cinq étages dans laquelle ils logeaient. Le mur, terne et couvert de graffitis, avait gardé les séquelles d'un ancien incendie. Théa leva les yeux vers les pots de fleurs qui ornaient les fenêtres de chaque balcon.

Le rez-de-chaussée était réservé à la boutique d'un vieil et bon homme, Xianthe, qui vendait des cartes et autres textes antiques. En apercevant Théa et Marcus, il les salua avant de retourner à ses comptes.

Ensemble, ils prirent les escaliers en bois et pénétrèrent dans l'immeuble bruyant où les pleurs des bambins croisaient les piaillements des matrones du troisième étage et les cris des enfants qui jouaient et couraient.

« Fais taire ton maudit gamin ! »

Les marches craquaient sous le poids de Théa qui grimaçait en entendant la voix stridente. Elle soupira et leva les yeux au ciel. Dans l'escalier, elle croisa la hideuse tunique bleue de Lala qui lui jeta un bien mauvais regard. Théa n'avait pas le temps pour elle. L'épaisse bonne femme accourut de réveiller son mari qui cuvait de son vin.

« La putain est de retour. »

Le mari somnolent envoya balader sa femme et piqua du nez. Elle le lâcha en l'insultant de bon à rien. Elle accueillit froidement sur le palier Théa et Marcus où une fenêtre laissait à peine la lumière passer.

« Théa, tu n'as pas payé le loyer. Donne-moi ta clé. les bloqua-t-elle avec un sourire non dissimulé.

— Monte, Marcus.

— Je ne crois pas. »

De tout son poids, elle lui barra la route. Le coquin Marcus siffla puis un sourire des plus charmants s'étira sur les lèvres. Théa avertit la gardienne bien fardée.

« Lala...

— Tais-toi ! coupa-t-elle en clignant des paupières. Ton petit manège ne va pas marcher avec moi... »

Un filet d'eau froide tomba sur la gardienne qui hurla, préoccupée par sa coiffure qui était ruinée. Les cris et les rires de Marcus et son complice interpellèrent tous les habitants de l'insula. Marcus échangea un regard complice avec Théa qui, bien qu'elle dût se mettre en colère, éclata de rire comme tous les locataires.

« Espèce de vaurien ! »

Mouillée jusqu'aux os, Lala tenta d'attraper avec ses longs ongles l'agile enfant qui se faufila entre elle et le mur.

« Essaye de m'attraper, vieille chouette. Puis cette coiffure ne t'allait pas du tout » la nargua-t-il en montant les escaliers avec un sourire canaille.

Rouge, la gardienne se tourna, voûtée par la colère, vers Théa qui haussa les épaules faussement désolée. La jolie brune n'arrivait pas à supprimer ce petit sourire taquin. Les rires étouffés des locataires qui resonnaient dans la cage d'escalier ne cessaient de taper sur les nerfs de la gardienne humiliée.

La jolie Théa fouilla dans la panier et lui donna quelques pièces.

« Cela couvrira deux mois de loyer. Un pain, proposa Théa amusée.

— Que regardez-vous, tous ? cria la vilaine Lala en apercevant les têtes qui se cachèrent de peur. Où as-tu trouvé cet argent ? s'enquit-elle suspicieuse. Que t'es-tu arrivé ? Quelqu'un t'a enfin corrigé...

— Elle a payé, non. Rentre donc, vieille mégère ! » intervint son mari, réveillé par le boucan.

Il murmura un désolé à Théa. Mécontente, la gardienne laissa Théa passer.

« Je me vengerai. » jura-t-elle en fermant sa porte.

Les rires de Luca et Marcus, ainsi que de tous les locataires, raisonnaient dans le petit escalier. Les deux tapèrent dans leur main, fiers de leur coup. Ils continuèrent à se moquer de Lala. Les deux enfants malins se cachèrent dans l'appartement du troisième étage pour éviter le courroux de Théa.

Elle monta au cinquième étage où elle logeait avec Marcus. Elle aperçut des gouttes sombres sur bois. À la fine lumière que laissait entrer la fenêtre, elle constata avec stupeur que les gouttes rouges était de plus en plus nombreuses et épaisses sur les marches. Son cœur cogna fort contre sa poitrine. Sa clé tomba. Pendant qu'elle ramassa la clé, elle toucha le sang qui était encore frais. Alarmée, elle suivit les traces sur le long du mur et sur la lampe à l'huile.

Ces traces la conduisirent jusqu'à la porte de son appartement. La belle brune inspira profondément. Elle glissa la clé dans le verrou.

Avant qu'elle ne put ouvrir la porte dans, deux robustes mains hâlés l'attrapèrent brutalement. Théa laissa échapper un hoquet de surpris. Elle se débattit pendant qu'elle fut traînée par l'individu vigoureux. Elle se figea soudainement lorsqu'elle sentit la froide et tranchante contre sa gorge. 

 « Qui es-tu ? » lui chuchota une voix grave. 

*** ***

Fin de la Première Partie
En média: Hyppolitius - Orlando Bloom
J'espère que cela vous a plu :)

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