VI. Tabernae*
Contrariée par la romaine qui l'avait évincée comme un vulgaire torchon, la mystérieuse Théa déambula dans les allées nord de la Via Sacra en imitant la patricienne visiblement riche et bien guindée qu'elle ne portait pas dans son cœur. Elle se sentit inexorablement attirée par une odeur suave et gourmande. Ses pieds la conduisirent vers une devanture où étaient empilés des pains protégés par Vestale, la déesse des pistors*. Théa y entra. Les clients lui lançaient des regards de travers, choqué par le peu de pudeur. L'une des clients commenta tout bas, la tunique qui laissait découvrir ses longues jambes galbées pendant qu'une autre renifla de désapprobation, comme si Théa était une fille de mauvaise vie. Mais cette dernière ne prêta pas attention, trop occupée à s'imaginer manger tous ces pains.
« Théa ! »,
Un homme l'accueillit, avec enthousiasme derrière le comptoir avant de se faire agripper par un client.
La jeune femme le salua avec un sourire radieux, ainsi que les esclaves qui s'étaient retournés avec joie. Elle lorgna avec avidité et convoitise tous les pains de forme variés qui l'enivraient et réchauffaient son estomac, bien vide.
Elle ramena ses longs cheveux sur le côté avec un regard plein de malice. Et, comme à son habitude, elle se pencha sur le présentoir pour humer le bon panis*chaud qui sortait du vieux fourneau* en brique. Son estomac ne tarda pas pour se réveiller et à manifester. Embarrassée, elle porta ses mains sur son ventre, rougissant jusqu'aux oreilles et en se mordillant les lèvres, confuse. Les clients lui offraient des regards en biais, avec un air bien hautain en partant avec leurs commandes.
Depuis combien de temps n'avait-elle pas mangé un vrai repas ? Probablement, des jours. Là devant les étals, elle avait la sensation d'être dans les îles des Bienheureux où tout coulait en abondance.
Après avoir encaissé un client, le pistor* donna une pelle en bois à son second et s'approcha de Théa, heureux. Sa tunique verte faisait ressortir sa magnifique peau ébène. Des gros bras dont un était décoré d'un bracelet d'or entourèrent Théa. Il la souleva comme une plume légère. Ses pieds ne touchaient plus le sol de la boulangerie.
« Oh ! s'exclama-t-elle surprise. Cafilius, je suis contente de voir aussi. Tu peux me reposer, là, dit-elle à bout de souffle compressée par l'étreinte du pistor*. Comment se porte Léona ?
― Je vais bien merci de t'en inquiéter ! lui répliqua-t-il en la lâchant. Tout le monde en a que pour elle en ce moment, qui me fait tourner en bourrique ! Personne n'enquit à la santé du futur père ! »
Théa scruta l'homme soucieux dont le visage était couvert de cicatrices de part et d'autres des joues et du nez. Les commissures des lèvres tombaient amèrement en coin. Il ne dormait peut-être pas assez au vue de ses cernes marqués. Théa ne faisait doutait point Léona, qui avait le nez dans des manuscrits, et Cafilius seraient des parents formidables et aimants.
« Essaye de porter ton enfant ! Tu verras que cela est loin d'être une partie de plaisir, plaisanta Théa qui pouvait enfin respirer.
― C'est bien vrai, se mit-il à rire de son rire gras qui secoua sa poitrine. Avec la force de son père et l'intelligence de sa mère, ce petit garçon deviendra gouverneur, c'est moi qui te le dis.
― Ou une petite fille, glissa-t-elle malicieusement.
― Dans ce cas, espérons qu'elle soit aussi brave et malicieuse que toi, ma petite Théa. »
Il lui pinça les joues affectueusement en lui mettant de la farine partout sur son visage, ce dont elle ne se plaignit pas. Son sourire à l'émail blanc s'évanouit en la reposant et chercha du regard :
« Mais où est mon petit gladiateur de Marcus ?
― Il ne deviendra jamais gladiateur. Il est au Ludus*. »,répliqua sèchement Théa.
Il haussa les yeux au ciel, décidément, il ne comprenait pas ce qu'elle pouvait reprocher à ce métier plein de bravoure mais il ne voulait pas rentrer dans un énième débat où il n'en sortirait pas gagnant, contrairement aux jeux d'autrefois.
« Alors, tu ne sais pas encore la nouvelle ? lui demanda-t-il en lui offrant un gâteau, ne supportant d'entendre son ventre gargouiller.
― Quoi, donc ? répliqua-t-elle avec désinvolture la bouche pleine. Ne me dis pas que toi aussi tu veux te rendre à la fête impériale en espérant conquérir un des héritiers ? N'es-tu pas trop vieux, Cafilius ?
Avec un mauvais sourire, elle croqua dans le morceau le pain, nonchalamment pendant que les employés ricanaient.
« La vieillesse n'est que dans la tête, Théa. Et non, quoique apporter du panis là-bas ne ferait pas de mal à mes affaires !
― Excuse-moi, Cafilius, interrompit un esclave pâle.
― Khéopus, que fais-tu à cette heure-ci ? »
L'esclave jeta des regards pressants et frétilla sur place comme s'il portait les sandales ailées de Mercure.
« Excuse-moi mais Dominus veut sa commande spéciale, immédiatement. »
Théa s'intrigua en sourcillant pendant que Cafilius râla en se grattant les quelques cheveux blancs sur son crâne avant de s'exécuter. Les esclaves de Cafilius soupirèrent et Théa s'étonna devant la quantité de pains que devait porter l'esclave bien plus maigre qu'elle.
« Dominus devient un vrai glouton lorsqu'il est nerveux, très nerveux, expliqua Khéopus.
― Qu'est-ce qui le rend si nerveux ?
― Comment ne le sais-tu pas ? Le Sénat tient une assemblée spéciale, à l'heure qu'on parle, répliqua-t-il d'une voix basse. Mon maître est sénateur.
― Pour voter une nouvelle loi que personne n'appliquera, dédaigna Théa.
― Comment connais-tu les lois romaines, toi ? Pourquoi je te pose la question, je ne veux pas savoir, haussa Cafilius des larges épaules.
― Tiens-toi bien ! comméra Khéopus surexcité. Le sénilisme sénateur Gnaius a été retrouvé mort dans sa vil-... »
En entendant le nom du sénateur, Théa eut l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Elle avait dû mal comprendre. Tout autour d'elle était un sourd bourdonnement malgré les ragots qui animait la boutique. Elle manqua de s'étouffer avec son met ce qui interpella du coin de l'œil le boulanger. Cela était impossible. Le sénateur Gnaius était mort ? Comment ? Quand ?
Un des esclaves de Khalifius, avec des grands yeux admiratifs, lui porta de l'eau qu'elle accepta volontiers.
« La nouvelle s'est répandue dans la ville comme une nuée de farine ! », s'éleva la voix grave de Califus.
Théa essaya de dissimuler sa surprise en cachant sa main qui tremblait sous le coup de l'émotion. Les deux autres clientes étaient rentrées dans la boutique pendant que les personnels de la boutique étaient emportés par la fièvre des potins.
« Le meurtre de Gnaius ! C'était HORRIBLE ! Il a été retrouvé dans une mare de sang, ce matin, chuchota une cliente émue en secouant la tête, horrifiée. D'après certains esclaves, il aurait été poignardé par sept coups de couteau comme le Sénateur.
— Comme Caesar.
— Lui c'était quarante-quatre
— Vingt-trois, objecta avec mépris un autre esclave qui étalait la pâte.
— Crois-tu que ce serait son fils, comme lui ? », s'enquit du bout des lèvres une autre cliente qui attendait.
Son interlocutrice secoua la tête, disant que le fils était si parfait que l'Empereur le nommerait tribun. Après avoir récupéré deux piles de pains qui montaient jusqu'à son long cou , Khéopus baragouina dans une langue inconnue. Puis, il dit à mi-voix assez fort pour parvenir aux oreilles de Théa.
« Le passé se répéterait-il ?
— Dans leurs villas dorées enduits de marbre, tous les sénateurs tremblent de peur, s'en inquiéta la femme à la tunique verte.
— On se demande qui sera le prochain sur la liste, maugréa Khéopus. Le plus étonnant c'est que tu ne le saches pas, pointa-t-il Théa de son long nez à bosse. Pour quelle famille travailles-tu ?
— Cela suffit, l'ami, lui claqua Califius puis il rajouta une nouvelle pile de pain. Va apporter cela à ton maître, cela l'enchantera.»
Khéopus fila aussi vite que Mercure de la boutique, les bras chargés de dizaines de pains jusqu'à sa tête. Cafilius la dévisagea étrangement en lui tendant une corbeille assortie de plusieurs pains dont un pain romarin, le préféré de Marcus. Bien qu'elle hochait, elle semblait dans un autre monde. Blême mais un millier de questions fusaient dans sa tête.
Hier soir ... L'avait-on vue ? Si seulement, elle ne s'y était pas rendue. Etait-ce un piège ?
« Probablement, un fou ou d'un tueur en série comme Rome en a. Promets-moi d'être prudente avec Marcus. Les rues de Subure sont mal famées et dangereuses, Théa, l'avertit-il en croisant les bras sur sa poitrine comme un père.
― Ne t'en fais pas, Cafilius, le rassura-t-elle avec un faible sourire.
― J'ai promis que je veillerai sur vous. »
Elle déposa quelques sesterces sur le comptoir que l'affranchi nubien refusa d'un air autoritaire, presque sévère.
« Achète-toi de la viande. Par pitié, Théa, nourris-toi. Que les Dieux veillent sur vous.», glissa-t-il comme s'il le savait qu'elle se sacrifiait pour son jeune frère.
Il lui fit un clin d'œil en glissant deux gâteaux tandis que Théa déposa un doux baiser sur sa joue, ce qui agaça ses employés. La jeune femme prit congé.
Sur le chemin, Théa était inquiète. Le Sénateur Gnaius avait été très nerveux hier soir mais pas plus que d'habitude. Assassiné par qui ?
Elle tourna à sa gauche où l'artère fleurissait les librairies et des boutiques qui vendaient des amulettes à l'effigie des gladiateurs triomphants dans les jeux. Elle croisa des groupes de filles s'arrachaient les fioles contenant la sueur des gladiateurs, des broderies et plats sur lesquels étaient dessinés d'Héraclès, un thrace célèbre pour sa force physique. Une romaine s'extasia en poussant un cri qu'on pouvait difficile imaginer qu'il sortait de son frêle corps puis montra du doigt un oreiller qui reposait sur une étagère.
« Achilleus, regarde comme il est beau avec ses yeux bleus !
― Ses yeux sont verts, d'abord ! Lorsqu'il combat-... »
Prise d'émoi, leurs cœurs s'enflammèrent. Elles lâchèrent un soupir en s'imaginant dans les bras du beau et grand gladiateur. Théa les observa avec incompréhension, et dégoût.
Achilleus risquait sa vie tous les jours pour divertir ces jeunes romaines qui ne se préoccupaient guère, trop occupées à débattre sur la couleur des yeux du guerrier.
Thé arriva enfin sur la via Argilete, dans son quartier de mauvaise réputation qu'était Subure. Les péninsulae* étaient bondées de monde et de vie. Les cris aigus des bambins perçaient les tympans, les enfants sales jouaient dans les rues, avec insouciance pendant les femmes, accostaient les hommes venus chercher du réconfort.
Certains hommes huaient, sifflaient Théa sur son passage, comme si elle était du miel. Son charme était loin de passer inaperçu. Était-ce la manière dont elle bougeait ses hanches, ou le balancement de ses cheveux sur son dos ou bien était-ce la manière dont elle laissait entrevoir sa jolie peau caramel ou bien encore, sa démarche presque féline. Cependant les hommes avaient cessé toutes activités et bavaient en délaissant les biens grossières femmes de misère. Théa avait conscience de son effet sur la gente masculine mais cela avait le don d'agacer, de la frustrer. Elle ne demandait pas cette attention, elle se couvrit du châle blanc et grinça des dents. A chaque parole obscène, elle tendit son majeur discrètement, caché sous l'anse tressée du panier.
Parfois, elle les dévisagea avec cette furie envie d'aubade. Un florilège d'insultes lui traversa l'esprit à chaque sifflement, à chaque regard bestial, à chaque geste pernicieux des esclaves, des artisans du quartier, ou des gladiateurs qui la lorgnaient avec un gobelet de vin.
Elle joua des coudes pour traverser la petite rue pour pouvoir rentrer dans la salle de la taverne où quelques soldats éméchés qui avaient passé la journée à dépenser leur solde, à l'allure froissée de leurs tuniques, avaient la sensation que les rayons du soleil brûlèrent leurs pupilles. Deux gladiateurs gaussaient devant la porte niaisement. Elle passa derrière le comptoir et embrassa sur la joue le grand et colossal gargotier, Vix, qui avait toujours un air blasé.
Théa passa devant eux et pénétra dans la taverne enfumée à moitié-vide où l'odeur des épais ragoûts planait. Certains clients postaient dans la pénombre étaient déjà attablés et mangeaient goulûment. Elle retira son voile, laissant danser ses cheveux et se dirigea vers le fond de la salle.
Lorsque le patron, Rémigius, à demi-allongé sur le lit de table drapée en satin noir, entouré de son harem, l'aperçut, celui-ci l'apostropha. Il la convoitait de loin ce qui rebutait la jolie Théa. Derrière le propriétaire de la taverne, la sulfureuse Erna, aux longues tresses dorées, lui indiqua du doigt où se trouvait Lycaon. Mais Rémigius désirait ardemment la belle Théa, et non n'était pas une réponse pour lui. Il se releva, en jetant un regard noir aux femmes qui ondulaient lascivement de leur corps pour voir Théa. Il vida sa cruche.
Théa déglutit péniblement, effrayée. Elle ne supporterait pas les mains de cet homme qui la tripoterait mais elle était à lui. La gauloise Erna vint au secours de Théa. La blonde passa ses mains sur les épaules de Rémigius. Elle le massa et lui susurra quelques mots qui visiblement détourna son attention de Théa. Le propriétaire l'attira vers lui et l'embrassa fougueusement, ne lâchant pas Théa du regard avant de se laisser conduire dans les chambres.
Rieuse, Erna lança un regard perplexe par–dessus son épaule à Théa, révulsée et gênée, qui lui souffla un merci et se dirigea vers l'arrière-salle. Après avoir dépassé les rares clients qui se bagarraient, elle accéda enfin à la table du comédien
Panier à la main, Théa pouvait entendre Lycaon rouspéter amèrement après sa mise. II se servit du vin et frappa du poing en exigeant une revanche. Théa soupira et posa sa main sur l'épaule voûtée de Lycaon qui sursauta.
« Mon argent, Lycaon. »
Théa s'assit pendant il sortit la bourse en bougonnant. Lycaon la lui glissa discrètement dans le panier.
« N'est-il pas mignon avec cette petite bouille ?», s'extasia Roxanna, la danseuse perse de la taverne.
La sculpturale Roxanna jouait avec les boucles aux reflets dorés d'un petit garçon qui souriait de toutes ses dents d'un air filou.
« A qui peux-tu appartenir ? », chatonna Hyppolytius avec sa voix mielleuse, bien trop mielleuse au goût de Théa.
Cette dernière asséna d'un petit coup les mains baladeuses d'Hyppolytius et de Roxanna qui firent mine de bouder, avec des airs bien capricieux.
« Marcus Alexandre Hélios ! »
L'enfant se figea, pris en faute. Il sourit d'une manière faussement innocente pour attendrir sa grande sœur dont les fumées sortaient des oreilles.
« Théa, te voilà enf-...Aie ! M-ais Aie ! Euh cela fait m... »
Le panier d'une main, elle le tira par les oreilles de l'autre hors de la table sous les grimaces de compassion du chanteur, du comédien et de la danseuse qui n'aimeraient pas être à la place de l'enfant.
« Que fais-tu, ici ? Pourquoi n'es-tu pas au Ludus* ? chuchota-t-elle mécontente à l'abri des regards près d'un escalier.
— C'est Luernius* qui m'a envoyé te chercher, le coupa-t-il en tripotant nerveusement ses doigts. Il n'avait pas l'air bien. Je crois qu'il est blessé... »
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Fin du chapitre VI
J'espère que ce chapitre vous aura plu ;)
N'hésitez pas à me signaler les fautes d'orthographes ou à me faire part de vos commentaires ou suggestions.
Seriez-vous intéressés par une fiche des personnages ?
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