V. Senatum
Il la voulait, il la lui fallait. Ce besoin de la posséder le rendait fou.
Julius avait l'impression de voir chaque trait du visage de l'inconnue en traversant l'esplanade du forum de César. Ses lèvres gourmandes. Sa peau caramel. Des cheveux longs ébène.
Il la voyait partout dans les voiles qui voltaient au gré du vent, dans les regards de statue, dans le ciel bleu qui s'assombrissait, dans les éclats de rires, dans les statues de Mars.
Un simple frôlement de peau suffisait pour raviver le souvenir de sa peau douce et chaude. Son cœur l'enflammait mais pas que uniquement. Elle avait une brise brûlante dans ce début de printemps. Son souvenir le hantait, son sourire si parfait le hantait. Etait-ce un simple rêve ?
Il soupira las en passant une main dans ses cheveux. Cette inconnue dont il ne connaissait pas le nom l'obnubilait tant qu'il faillit gêner la procession d'un cortège de prêtres de Mars qui rendaient hommage à l'empereur.
Le bras parfaitement dessiné d'Angelus, où trônait deux immenses tatouages, signe de sa vie passée, le barra à temps. Son esclave qui grinçait des dents se retint de la moindre réflexion. Il l'interrogea de son regard caramel si clairvoyant et perçant mais Julius se détacha aussitôt de lui, contrarié.
Du coin de l'œil, Angelus observait son jeune maître d'une humeur exécrable continuer son chemin vers le gigantesque monument qui dominait le forum de César. Depuis qu'il l'avait retrouvé dans le forum principal, son maître n'avait décroché un mot, soit il guettait la foule ou bien il soupirait plein de désespoir.
Ils passèrent devant des citoyennes romaines qui sortaient du temple de Vénus. Cependant, Angelus constata surpris que son maître ne prêtait guère attention ni aux œillades ni aux battements de cils ni aux gloussements de ces dernières. Et cela ne voulait dire qu'une seule chose pour l'homme de confiance de Julius, son maître couvait quelque chose. Et, il n'était pas si loin de la vérité.
Les sourcils froncés, l'héritier de Rome gravit rapidement les marches des portiques aux immenses colonnades en granite rouge.
Ses sandales rouges résonnèrent sur le splendide sol en marbre. Des dizaines de messagers couraient dans tous les sens comme un essaim d'abeille autour de la reine. Certains sortaient de la gigantesque porte où étaient postés deux soldats de la garde impériale. Certains demandaient l'autorisation d'y entrer. Certains messagers attendaient en trépignant pour alimenter les manuscrits de l'Acta Diurna. Tous s'échangeaient des multitudes de boites cylindrés où étaient glissées des diverses notes. L'un d'eux en reconnaissant l'esclave de Julius, qui ne passait pas inaperçu, s'avança vers eux et tendit deux boîtes* à l'esclave.
Avec un tic d'agacement, le bellâtre romain attendit les nouvelles, en arquant un sourcil sous l'air bien réprobateur de son esclave. Mécontent, ce dernier balança les deux notes en ne manquant pas de la poitrine de son maître.
Celui-ci toussota silencieusement devant la force ce qui amusa Angelus qui arborait un petit sourire satisfait. Beaucoup aurait fouetté, marqué ou vendu leur esclave pour tel comportement, mais Julius l'ignora. Il savait que son esclave était peu farouche et avait son petit caractère qui le distrayait fort. Il n'avait guère peur de lui et cela lui plaisait énormément.
Julius parcourut la première notice d'un coup d'œil. La première lettre fut aussi futile que son auteur mais la seconde le réjouit. Ses yeux brillèrent à nouveau de l'étincelle d'un conquérant prêt à conquérir le monde.
« Tu lis cela, Angelus ! Les Parthes reculent...
― Etes-vous fou pour parler ainsi des affaires de la guerre ? l'interrompit Angelus. Si l'Empereur t'entendait...
― Que croyais-tu qu'il fera à l'héritier de Rome ?», déclara-t-il imbu de lui-même
L'immense tas de muscles s'exaspéra devant tant d'imprudence, de naïveté et d'insolence. L'Empereur Auguste n'était guère un enfant de cœur malgré le sourire bienveillant qu'il portait.
« Soyez plus prudent. Les ennemis de Rome sont partout et les espions des Parthes grouillent à Rome. Et vous ne pouvez plus vous permettre de vous promener dans les rues comme un vulgaire citoyen. », réprima l'esclave dépité.
Les jambes musclées et dorés de l'héritier gravirent les marches blanches de la Curie Julia en envoyant valser les critiques de son esclave.
Un autre esclave interpella Angelus qui s'éclipsa pour une affaire urgente. Le jeune tribun romain rajusta sa toge en pourpre avant d'arriver au niveau des gardes dont les visages étaient cachés par leurs casques en laiton. Les deux tenaient à la main l'étendard impériale. Il les salua chaleureusement.
Derrière les portes de la Curia Iulia, celui-ci pouvait entendre les éclats de voix et la gronde des sénateurs. Julius lança un regard irrité qui en voulait dire bien long.
« Ils sont comme cela depuis combien de temps, Brutus ? », s'adressa-t-il au garde qui portait une entaille sur la joue faite pendant lors d'une bataille.
Les soldats aimaient ce jeune héritier romain qui savait leur parler et qui les comprenaient. Il avait le sang des conquérants qui coulaient dans les veines et cela se voyait dans son regard perçant. Il n'avait pas peur de se salir, contrairement aux tribuns et à son frère qui les méprisaient. Julius Vespianus les traitait avec familiarité. Pour les légionnaires, il était l'un des leurs, tout simplement.
Sans réfléchir bien longtemps, celui-ci grogna :
« Depuis leur arrivée. Ils ne cessèrent de jacasser comme des demoiselles en détresse, n'est-ce pas Sextus ?
― Une bonne guerre ne leur ferait pas de mal ! dit le second avec étirant sa bouche où quelques dents manquaient.
― Tu rigoles ! Ils hurlèraient comme des vierges effarouchées et s'enfuiraient comme des lâches.
Les deux compères s'esclaffèrent en s'imaginant la scène. Julius aurait bien ri avec eux mais le souvenir de l'inconnue le frappa à nouveau. Son cœur se serra et il déglutit péniblement tandis que les deux compères se jetèrent des coups d'œil inquiets. Ils craignaient d'avoir fait une erreur en se moquant ainsi des sénateurs en ne voyant pas le jeune tribun se distraire avec eux.
Le prince de romain le remarqua et lança un sourire enjôleur avant de déclarer avec une certaine déconvenue.
« Il me faudra trois ou quatre amphores pour les supporter !
― Viens faire un tour avec nous après notre ronde. Une bonne femme te consolera. D'après un célèbre adage, le secret du bonheur, beaucoup de vin, des femmes qui réchauffent ton lit et une solde convenable.
― Brutus, je ne te savais pas si sage ! », s'amusa le tribun.
Brutus rougit et manqua de tomber quand Julius le frappa comme une brute. En raclant sa gorge, il replaça son casque en laiton sous les rires de ses camarades.
« Tu ne voudrais pas rater comment Brutus drague la danseuse dont il s'est entiché. Une ondulation est monsieur bave et oublie ses mots.
Brutus fut encore plus rouge aussi rouge que le pourpre de la toge ce qui n'échappa à personne.
« Si ta femme l'apprend.
― Qui le lui dira ? Croyez-moi, ne vous mariez jamais.
― Dans tous les cas, mariez-vous : si vous tombez sur une bonne épouse, vous serez heureux. Si vous tombez sur une mauvaise, vous deviendrez philosophe, ce qui est excellent pour l'homme. Aurait-il tort ? », intervint une troisième voix dure et froide derrière le brun railleur.
Immédiatement les soldats se mirent au garde-à-vous tandis que le regard glacial de l'Empereur les transperçait comme pour les garder en mémoriser.
« Ce qui doit te rendre le plus grand des philosophes alors, Grand-Père ! complimenta Julius qui le salua avec nonchalance.
― L'impératrice te salue. Elle ne cesse de quemander quand elle aura le plaisir de te voir. marmonna l'Empereur avec une pointe de reproche.
Il se détacha de son petit-fils qui perdit son sourire puis entra dans le Sénat. Ce dernier quitta ses compères à contrecœur pour rejoindre l'antre des toges violettes et pourpres dans la salle blanche et froide, aux immenses piliers gréco-romains. Un silence olympien s'installa à son arrivée.
« Comment va Artus ?
― Aussi bien qu'un homme qui vient de perdre son père sauvagement.
― Je compte sur toi, en tant qu'héritier de Rome, pour calmer la fièvre qui emporte nos chers sénateurs. Le quatrième meurtre en l'espace d'un mois, m'a-t-on rapporté. As-tu pensé à des mesures à prendre ? »
Les petits groupes de sénateurs, assis nonchalamment sur les bancs, debout, adossés aux piliers arrêtèrent toutes activités. La tension et la nervosité étaient palpables. Fier et digne, le beau romain soutint les regards tantôt hostiles, narquois, conspuant ou préoccupés qui se braquèrent sur lui. Il n'aimait guère ce lieu où les amitiés, les inimités et les alliances se défont aussi vite que se délient les langues et les lui rendait plutôt bien.
« Des mesures ? Penses-tu à un complot ?
― N'est-ce pas pour cette raison que nous sommes tous réunis, Julius. »
Il s'arrêta un moment balayant et analysant la pièce claire qui lui semblait si exiguë sous des grandes colonnes corinthiennes. Qui parmi les sénateurs qui portaient un air grave en se donnant des petits coudes de coudes en voulaient à la vie de Gnaius ?
« Je ne vois personne, ici, grand-père. Ce genre de choses est plus du ressort de Lucius. As-tu vu que les Parthes reculent en Dacie. Quand irons-nous ...
― Nous avons tous des ennemis, Julius. Les apparences sont bien trompeuses », coupa simplement l'Empereur.
Son grand-père prit place dans l'assemblée et le petit-fils rejoignit son frère, Lucius qui rédigeait un nouveau décret. Lui, il se voyait au front à la guerre avec les hommes en Dacie, pas à enquêter sur le meurtre du père de son ami. Les tribuns assis se levèrent et ceux qui étaient debout se tournèrent vers l'Empereur qui s'assit majestueusement sur le trône, plus impressionnant que jamais.
« Messieurs. Vous avez convoqué le sénat d'une manière exceptionnelle. L'ordre du jour est semble-t-il la mort de ce brillant Gnaius. Le sénateur fut estimé par Rome pour sa bravoure. Sa gloire et sa loyauté n'étaient plus à démontrer. Pour tous les services qu'il a rendus à Rome et à son empereur, je déclare une journée de jeux en son hommage. »
Les murmures s'élevèrent dans les tribunes. L'inquiétude était lisible sur les mines sévères. L'annonce que venait faire l'Empereur ne les satisfait guère. Les sénateurs ne se gênaient pas pour le manifester.
D'un geste de la main, Auguste les fit taire. Il savait mieux que quiconque qu'il n'était pas bon de voir les tribuns se retournaient contre lui. En frottant ses mains entre elles, il prononça durement :
« J'entends vos inquiétudes par ailleurs. Sachez que l'Empire prend au sérieux ce meurtre...
― Comment ? s'égosillèrent plusieurs en se levant.
― Avec des jeux ? Crois-tu que nous sommes des plébéiens que tu peux aveugler, Auguste ?
― Ne voulons nous distraire comme la plèbe, nous voulons la justice.
― Hier c'était Velleius, et maintenant Gnaius ? Qui sera le prochain parmi nous ?
― L'Empereur ne peut-il assurer la sécurité de ses plus dignes citoyens ? »
Auguste se leva en tournant en rond dans son hémicycle en scrutant chaque dissident, ce qui les calma aussitôt sauf un haut de la salle, toujours debout. Le quêteur Statius le défiait.
« Statius, désires-tu prendre la parole ? siffla l'Empereur plus menaçant que jamais.
― Nous désirons qu'un des héritiers de Rome gère cette crise. Ainsi l'Empire montrera son engagement et l'importance qu'il accorde à ses sénateurs. Par ailleurs, nous voulons un châtiment exemplaire pour le meurtrier. Que l'on montre, comment nous punissons quand on attaque Rome ...
― Soit, Julius Vespianus officiera pour Rome dans la disparition du meurtre. Il vous informera de l'avancée. Je mets à sa disposition à sa guise d'une centaine de nos meilleurs légionnaires. Nous lui laisserons un délai de trois mois pour résoudre ce mystère. »
Julius bondit de son banc, les poings serrés. Il se sentait comme un gladiateur lâchait dans la fosse. Le stylet de Lucius grinça sur le papyrus. Comment ? Son grand-père lui avait promis plus tôt de mener les investigations. Il n'arrivait pas à en croire ses oreilles.
« Il a d'ores et déjà toute la confiance de l'Empereur, déclara l'Empereur Auguste en le lâchant pas des yeux. Nous lui devons les acquisitions de villes à l'Ouest de la Dacie.»
Ainsi, ce dernier quitta l'assemblée en virevoltant sa toge violette tandis que Lucius foudroya du regard son frère. Cependant non loin de là, un sénateur s'empressa, lui aussi, de quitter les lieux. Soupçonneux, il jeta des coups d'œil derrière son épaule pour s'assurer qu'il n'était pas suivi. Derrière un pilier caché à la vue de tous, un homme vêtu sombrement l'attendait.
« Es-tu sûr que l'on ne t'a pas suivi, Statius ? »
Le tribun opina du chef.
« Tout s'est passé comme prévu. Tu as eu ce que tu désirais. Maintenant que j'ai fait ce que tu attendais de moi. Où est ma récompense ? »
L'homme sortit la bourse puis s'approcha de lui pour la lui donner discrètement dans une accolade. Mais, le sénateur reçut un premier coup de poignard qui transperça son ventre puis un second droit sur son cœur.
Statius s'effondra livide tandis que le mystérieux homme s'enfuit à tout hâte en prenant soin de glisser l'arme dans la main du mort.
*** ***
Fin du Chapitre 5
Merci d'avoir lu !
Veuillez m'excuser pour les fautes d'orthographes
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