Chapitre IX : Romae nocte (III)
Depuis le vestibule, Aurore, Helena et son grand-père furent enveloppés par l'odeur enivrante des mets, des épices et du vin flottant dans les airs. Des éclats de voix résonnaient, mêlés aux accords doux et harmonieux d'une mélodie jouée à la lyre. Chaque note virevoltait dans les airs.
Tandis qu'ils avançaient dans le couloir les flammes des torches dansaient sur les fresques, illuminant un colossale et majestueux loup qui les accueillait d'un regard perçant.
« Gnaius, mon ami, tu n'as jamais su faire dans la demi-mesure, » murmura le grand-père d'Aurore avec un sourire en coin, fixant le regard du loup imposant peint sur la fresque. « Un aigle ou un lion aurait suffi, mais non... tu as choisi le loup ! »
Sentant la nostalgie qui envahissait son grand-père, Aurore le réconforta doucement :
« Le loup lui allait bien, grand-père. N'était-il pas un guerrier redoutable ? »
« Tout à fait, » acquiesça son grand-père, un soupçon de tristesse dans le regard. « Ce qui rend sa disparition encore plus surprenante. Ne vous avais-je pas conté la fois où .... »
À cette évocation des exploits passés, Helena leva les yeux au ciel, soupirant discrètement tandis que sa douce cousine écoutait, amusée.
Pouvait-on faire aussi mielleuse que sa cousine ? songea Helena, jalouse, en ondulant ses hanches. D'un air narquois, elle inspecta l'atrium à la recherche du jeune homme endeuillé.
Sous ses yeux, les esclaves se livraient dans un ballet savamment orchestré parmi les invités. Ils passèrent et repassèrent avec des amphores de vin et des plateaux d'hydromel, remplissant les coupes des convives. Toute la fine fleur de Rome s'était donné rendez-vous.
Chacun était paré de tuniques somptueuses et brodées, leurs bijoux étincelants captant la lueur des torches. Les invités rivalisaient d'élégance, elle devait bien l'avouer. Neanmoins, tous les regards se tournèrent vers elle et quelques matrones lancèrent des regards en biais envieux, signe qu'elle était en beauté.
Helena n'avait rien laissé au hasard. Elle avait passé toute l'après-midi à se pomponner et à étudier sa tenue avec l'aide de sa stupide esclave. Heureusement qu'elle avait vérifié la tenue rose poudrée de sa cousine avant de partir. Aurore portait une robe rose poudrée modeste qui, cependant, mettait en valeur sa peau légèrement hâlé et ses yeux azurs.
Tout ce qui mettait en valeur Aurore, mettait en valeur Helena. Voici ce qui importait !
Tandis qu'intérieurement, celle-ci invoquait les dieux d'en finir vite avec les anecdotes militaires de son grand-père, elle reconnut le sénateur Aemilius.
Plutôt jeune, grand, vêtu d'une toge bordée d'un azur raffiné, qui faisait ressortir ses bras assez athlétiques, c'était un bel homme. Pour ne rien gâcher, il était un membre éloigné de la famille de l'Impératrice Julia. D'après les rumeurs, celui-ci avait perdu sa femme sans qu'elle lui donnât un héritier. Depuis quelques mois, il s'était lancé dans la quête d'une nouvelle compagne.
La maligne brune esquissa un sourire plein d'intérêt quand elle vit que le sénateur Aemilius s'approcha d'eux lassant sa petite cour de matrones.
« Mon cher Claudius ! » s'exclama-t-il d'une voix pleine d'enthousiasme et de respect, interrompant ainsi leur conservation.
« Aemilus, salua le grand-père des deux jeunes femmes en serrant l'avant-bras du jeune sénateur.
— Et qui, donc, est-ce cette jeune femme ravissante à vos côtés ? »
Helena toussota pour signaler sa présence, battant des cils avec tant d'insistance qu'elle semblait prête à s'envoler.
« Ces deux jeunes femmes ravissantes à vos côtés. », corrigea-t-il remarquant soudainement l'autre petite-fille de l'honorable Claudius.
— Voici mes petites-filles, Helena et Aurore, présenta ce dernier.
Aemilius prit furtivement la main d'Helena, pleine de coquetteries futiles, qu'il relâcha aussitôt pour capturer celle la belle blonde. Il garda la main d'Aurore avec une douceur exagérée, le regard braqué sur elle avec une intensité qui n'échappa à personne.
« Aurore, murmura-t-il pour lui-même. Rome semble s'embellir davantage ce soir et j'ose penser que ce n'est pas dû qu'à la décoration de ce feu Gnaius. »
La jeune femme rosit légèrement et esquissa un sourire poli, retirant gracieusement sa main.
« Vous me flattez, sénateur, » répondit-elle d'une voix douce mais légèrement distante. «Cependant, il est vrai que tout Rome resplendit, ce soir, pour rendre hommage à notre hôte. »
Le sénateur poursuivit sans se démonter :
« Vos yeux sont tout aussi envoutants que le sortilège de Vénus. Peut-être, après quelques affaires discutées avec votre honorable grand-père, pourrais-je vous conter quelques histoires de nos lois ...
-- Quelle chance as-tu, Aurore ! se moqua légèrement Helena, visiblement vexée. Cela promet d'être passionnant. »
Genée, la jolie blonde réprima un sourire et replaça une mèche blonde derrière son oreille : « Ce que ma chère cousine voulait signifier est que cette invitation est flatteuse, sénateur Aemilius. Mais je crains que mes connaissances des lois romaines ne soient pas à la hauteur de vos attentes, sénateur. Néanmoins, mon grand-père serait ravi d'en apprendre plus. »
Claudius, remarquant le malaise d'Aurore, intervint avec un sourire amusé. « Allons, sénateur, si nous parlions plutôt de ces fameuses taxes provinciales qui, semble-t-il, nécessitent toute votre attention... »
Un léger éclat de contrariété traversa le visage du sénateur, mais il retrouva rapidement son sourire courtois, contraint de détourner son attention vers Claudius, tandis qu'Aurore lui adressait un regard soulagé.
« Tu as bien fait de le jeter dans les bras de grand-père. Il se donnait des airs comme s'il était l'empereur lui-même." jugea Helena avec un rire méprisant, en déambulant aux cotés de sa cousine. De plus, qui cherchait-il à impressionner avec sa broche incrustée de lapis-lazuli ?! »
En réponse, la jolie romaine haussa les épaules et contenta de grimacer tandis que sa cousine évaluait et critiquait chaque invité. Bras dessous, bras dessous, elles se dirigèrent vers les canapés pour s'asseoir afin d'avoir un « meilleur poste d'observation ».
« Regarde, celle-là. Aurelia, la fille d'un consul, parait-il. Qu'est-ce donc c'est horreur sur sa tête ?
-- Le diadème ? s'enquit Aurore. Il est ravissant.
Alors que cette dernière tendit la mains prendre une datte, Helena lui tapa légèrement les mains avec son voile.
-- Tu es beaucoup trop gentille, Aurore. Ce serait un cadeau de son fiancé pour honorer .... Eh bien,
-- Sa beauté. finit Aurore, exaspérée.
— J'en doute. », glissa une voix masculine d'un ton sarcastique.
Surprise, Aurore tourna la tête vers le jeune homme vêtu de satin noir qui venait de s'asseoir à côté d'elle. Une aura mystérieuse, presque dangereuse, émanait de lui. Il porta sa coupe à ses lèvres avec un air indifférent, les saluant d'un léger hochement de tête. Aurore le dévisagea, se demandant ce qu'il pouvait bien faire là. Ses cheveux bruns, légèrement en bataille, encadraient un visage anguleux et parsemé de quelques taches. Ses yeux sombres, encadrés de sourcils épais, semblaient sonder son âme, la faisant frissonner d'inconfort. Une boucle d'oreille argentée scintillait à son oreille, attirant le regard vers sa mâchoire ciselée, tandis qu'une chaîne en métal reposait contre sa clavicule, ajoutant une touche de mystère à son allure.
« D'un si mauvais goût, » commenta-t-il avec un sourire narquois.
« Remigius ! s'exclama Helena, espiègle. Ici ?! Ce n'est pas vraiment le genre de soirée que tu fréquentes, non ? C'est un peu trop...
Intriguée, Aurore observait les échanges entre ce Remigius et sa cousine. Ils étaient visiblement très complices. Comment s'étaient-ils connus ?
— Morne. Ennuyeuse, je te l'accorde, ma douce Helena, répondit-il en haussant les épaules. Après tout, Gnaius n'était-il pas mon oncle ? Mais qui as-tu amené avec toi ? Une nouvelle ennemie ? » demanda-t-il en jetant un coup d'oeil intrigué vers Aurore.
— Voici ma cousine...
— Aurore Cornelia Aloisius Claudius, se présenta Aurore en masquant son agacement par un sourire poli.
— Elle revient de la province d'Achaïe.
— Achaïe ? En Grèce ? releva-t-il avec un demi-sourire. Qu'est-ce qui vous amène notre princesse grecque, à Rome?
— Mon père, Cornelius Aloisius Claudius, avait été nommé général de la province, répliqua-t-elle en déglutissant péniblement. Il est décédé il y a quelques mois.
-- Vous êtes revenue chez votre famille. »
Helena le prévint d'un regard appuyé :
« Doucement, Remigius. Elle n'est pas de ce genre. »
Le jeune homme éclata de rire, amusé par sa propre réputation.
« De toute manière, elle n'est pas mon style. Je les préfère... moins innocentes, répliqua-t-il en scrutant la salle avec désinvolture.
« Cette petite fête est-elle à votre goût, chère princesse grecque ? »
— Plutôt... surprenante, murmura Aurore, incertaine.
— J'ai d'autres surprises en réserve, répliqua-t-il en relevant un sourcil. Qui fera honneur à ma réputation et à Rome.
— Que manigances-tu ? interrogea Helena en penchant sa tête vers le côté. D'ailleurs où est ton cousin ?
— Artus ? Seul, Jupiter le sait. Peut-être entouré de jeunes femmes cupides comme toi. Je suis libre, moi.
Ces mots fit rouler les yeux Helena et grimaça de dégout, provoquant un rire sonore de Remigius.
《 Tiens, ne serait-ce pas Julius ? Artus ne doit pas être loin. 》
À la simple évocation de ce nom, le cœur d'Aurore se serra, manquant un battement. Un frisson la traversa alors qu'elle balayait la pièce. Puis, au milieu d'un groupe d'hommes en grande conversation et de jeunes filles gloussant timidement, elle l'aperçut.
Julius.
Il se tenait là, élégant et sûr de lui, ses lèvres s'étirant en un sourire poli. Les années avaient sculpté sa silhouette avec une grâce qui n'avait fait que renforcer son allure ; ses épaules, désormais larges et puissantes, trahissaient la force tranquille de l'homme qu'il était devenu.
Le cœur battant, elle ne pouvait détacher ses yeux de lui, éblouie par la solidité séduisante qui émanait de sa personne. Son esprit vagabonda un instant, s'imaginant ce qu'il se passerait s'il tournait vers elle, s'il la reconnaissait, s'il se souvenait, lui aussi...
Soudainement, les yeux noisette rencontrèrent les siens.
Pendant une seconde suspendue, le monde autour d'eux disparut ; il n'y avait plus que Julius et Aurore. Elle crut y déceler de la surprise. Elle retint son souffle, espérant, presque implorant, un signe de lui. Juste un geste, même infime.
Mais rien.
Il détourna les yeux, rappelé à sa conversation par un murmure de l'homme blond, Angelus. Déçue, elle était devenue un visage parmi tant d'autres.
Julius inclina la tête avec élégance pour prendre congé. Il s'éloigna pour rejoindre son ami, Artus, dans les jardins. Celui-ci, seul, était adossé à une colonnade la mine soucieuse. Il semblait plutôt préoccupé. Après tout, cette fête était une vaste mascarade. C'était Rome.
« Julius, il y a quelque chose que je dois te dire... » murmura-t-il, son ton devenant plus sombre.
Le petit-fils de l'Empereur, surpris par le sérieux de son ami, se pencha légèrement pour l'écouter.
《Qu'y a-t-il, Artus ? »
Le meilleur ami de Julius jeta un coup d'œil autour d'eux pour s'assurer que personne ne les écoutât, puis chuchota d'une voix tendue :
« Je ne crois pas que la mort de mon père ait été naturelle. Il y a... des détails étranges, des choses que je ne peux ignorer. On a aperçu un intrus... »
Julius, attentif, fronça les sourcils et croisa les bras.
« Mon père n'est pas le seul sénateur à mourir d'une manière suspecte, poursuivit Artus. Nous savons tous les deux que cela n'a rien d'anodin.
— Ton père a toujours été loyal envers l'Empereur, il n'avait aucun ennemi, du moins, à ma connaissance. Était-il impliqué dans quelque chose d'illicite ? T'en a-t-il parlé ? »
— Entends-tu ce que tu dis, Julius ?! Tu insultes la mémoire de mon père ! cracha Artus, sa voix empreinte de colère et de douleur. Peut-être que cette loyauté même lui a coûté la vie. Peut-être que certains le voyaient comme une menace pour... l'équilibre des choses. C'est peut-être un coup politique. »
Julius serra la mâchoire. « Mais as-tu des preuves, Artus ? Ce ne sont que des soupçons... »
Artus soupira, l'air hanté. « Des preuves, non. Pas encore. Mais il y a eu des rumeurs, des serviteurs qui ont entendu des conversations étranges, et la disparition de certains documents dans ses appartements. »
Julius posa une main ferme sur l'épaule de son ami. « Écoute, Artus. Tu sais que je t'aiderai. Mais nous devons être prudents et discrets. Nous ne savons pas qui pourrait être impliqué, ni jusqu'où cela remonte. »
Le tintement d'une cloche retentit. Toute l'attention était tournée vers Remigius, le cousin d'Artus. Rien de bon ne sortait de la bouche du cousin d'Artus.
« Citoyens de Rome ! », lança-t-il en levant la main. « Ce soir, nous honorons la mémoire d'un homme qui fut un pilier de notre cité. Son absence nous afflige, mais elle nous rappelle aussi de célébrer chaque instant. En l'honneur de mon cher oncle, Gnaius. »
D'un geste théâtral, il invita quelques esclaves à éteindre quelques torches. Un chanteur, posté dans un coin de l'atrium, entonna une mélopée en hommage aux exploits du sénateur. Accompagné d'un petit orchestre, vêtu de noir et dissimulé dans l'ombre, il était difficile de distinguer leurs visages, que l'obscurité rendait indistincts. Les musiciens, cependant, étaient remarquablement talentueux.
La mélodie mélancolique s'éleva, envoûtant les convives. La dernière note de la lyre s'éteignit brusquement, aussi tranchante qu'un glaive. Au même instant, des servants arrivèrent avec des torches. Artus déglutit difficilement tandis que des murmures choqués s'élevaient autour de lui. Certains Romains se redressaient sur leurs banquettes, d'autres échangeaient des regards d'incrédulité tandis que des jongleurs de feu et des danseuses s'avançaient, prenant possession de l'atrium.
En un instant, Artus se précipita vers le vestibule, bousculant des invités sur son passage. Julius tenta de l'interpeller, mais Artus, emporté par son élan, s'enfonça dans une allée latérale, s'éloignant des lueurs des torches et des rires de la fête.
Le jeune Romain le suivit, ses pas résonnant sur les dalles froides et humides.
Pendant plusieurs minutes, il déambulait à bout de souffle dans les ruelles tortueuses et silencieuses. Chaque nouvelle allée, tournant ne lui offrait que le silence.
Alors qu'il s'apprêtait à finir sa quête désespérée, une silhouette le heurta de plein fouet.
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En image, une image qui m'a inspiré le personnage de Rémigius.
Qu'avez-vous pensé de cet épisode ?
À la semaine prochaine pour la suite.
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