7.
Les yeux grands ouverts et sa bouche magnifiquement dessinée tordue en une grimace de stupeur, Jean regarda les plaques de métal s'agiter sous lui et lentement se disloquer.
— Non, Jean, non, putain ! hurlait Elie en tendant vainement le bras vers son compagnon.
Alors que celui-ci tentait de s'agripper aux plaques qui le maintenaient encore en vie, Elie apostropha David, folle de rage.
— Comment as-tu osé ? hurla-t-elle en articulant avec exagération chaque syllabe, dardant un regard assassin dans sa direction.
Le jeune homme ne répondit pas. Le doigt toujours pressé sur le bouton de sa manette, il abaissa le regard. Désespérée, Elie, se tourna à nouveau vers Jean. Ce dernier luttait pour sa survie, s'accrochant maintenant avec peine à l'ultime plaque métallique à sa portée.
— Jeaaaaaaaan !
Le cri d'Elie s'étouffa dans sa gorge alors qu'impuissante, bien trop loin de Jean pour pouvoir envisager quoi que ce soit, elle le regardait tomber dans le gouffre mortel, les yeux écarquillés de terreur face à l'inéluctable.
La jeune femme détourna le regard à toute dernière seconde et resta tétanisée de longues minutes, les mâchoires tremblantes, les lèvres frémissantes, à quatre pattes pour éviter de chanceler, de basculer elle aussi vers une mort certaine. Les paupières closes, Elie fut bientôt traversée d'un spasme douloureux et se pencha pour vomir. Elle demeura ainsi quelques secondes, agenouillée la tête au-dessus du vide, un filet de bile coulant encore de ses lèvres.
C'est alors que des éléments du plafonds semblèrent se détacher pour coulisser le long des murs et descendre à la hauteur des plaques métalliques d'Elie et David, créant un pont au-dessus du gouffre.
Le jeune homme à la chevelure noire ne bougeait plus, observant le dos d'Elie. Brusquement, la jeune femme se retourna et se jeta avec rage sur son ancien amant.
— Je vais te tuer, espèce d'immonde salopard ! vociféra-t-elle en l'attrapant par le bras, manquant de les déséquilibrer tous deux.
Surpris par la puissante vague de haine d'Elie, David ne réagit pas sur le coup. Mais lorsque la jeune rousse commença à le marteler de ses poings, il s'empara de ses poignets et la neutralisa en la plaquant contre son corps. Son visage tout prêt de celui d'Elie, il lui intima de se calmer. Et seulement lorsqu'elle cessa de se débattre, lorsqu'il sentit son corps se détendre et qu'il vit ses yeux se remplir de larmes, il relâcha un peu sa prise.
— Tu es calmée ? murmura-t-il.
— Tu n'avais pas le droit, gémit-elle.
— Il n'aurait pas survécu sans toi. Toi, oui. Et je ne l'aurais pas laissé me tuer, Elie, c'est normal. Tu le comprendras bientôt, quand le choc sera passé. Et tu verras que je n'ai fait qu'agir comme n'importe qui l'aurait fait.
— Je te déteste, souffla-t-elle en tentant de se dégager.
— Ce n'est pas grave, répondit-il en s'écartant de sa propre initiative.
Sans ajouter un mot, David laissa Elie rejoindre le bout du pont et lui emboîta le pas. La jeune femme ouvrit la porte qui s'y trouvait et franchit le seuil, suivie de son ancien amant. L'issue se verrouilla automatiquement derrière eux. Ils n'y prirent même pas garde ; l'essentiel dorénavant, c'était d'avancer.
Les deux rescapés empruntèrent un chemin balisé par des flèches peintes à l'encre rouge sur les murs. Des couloirs interminables, des salles, grandes ou petites, certaines vides, d'autres chichement meublées, avec toutefois le sempiternel écran et le haut-parleur qui, par chance, restait muet. Ils progressèrent en silence dans ce labyrinthe, ne se regardant pas une seule fois, marchant l'un à côté de l'autre, comme s'ils étaient seuls. Au bout de quelques minutes, ils débouchèrent dans une pièce étrangement décorée. Des miroirs sur tous les murs et même au plafond, avec des dizaines et des dizaines de polaroïds, les recouvrant, et un lit en son centre, nu, sans matelas ni draps. Posés dessus, deux coffrets portant leurs noms.
David et Elie s'approchèrent du lit en métal en observant autour d'eux avec appréhension, essayant en vain de distinguer le contenu des photos. La rousse s'empara du coffret à son nom et l'ouvrit avec précipitation, répandant son contenu sur le sol. Elle se baissa à la hâte pour ramasser le parchemin qui s'en était échappé avant que David ne puisse s'en saisir. Mais le jeune homme ne s'occupait que de son propre coffret qu'il ouvrit avec plus de précaution.
Il déroula son parchemin et en lut le contenu :
« Un seul d'entre vous sortira de cette pièce. Pour te débarrasser d'elle, tu devras simplement la placer devant le polaroïd 163 puis reculer de trois pas. Je finirai le travail. »
David replia la missive et l'enfonça dans la poche de son pantalon. Puis il se tourna vers Elie.
— C'est écrit quoi, toi ? demanda-t-il en regardant les longs cheveux qui dissimulaient le visage de son ancienne amante.
La jeune femme replia à son tour son papier, le dissimulant de son poing serré. Lentement elle tourna ses yeux noirs de haine, et les darda droit dans ceux de David.
— Elie..., commença-t-il.
— Ferme-la, siffla-t-elle entre ses dents serrées par la rage.
Le jeune homme n'insista pas. Il se détourna et s'approcha de l'un des murs afin d'examiner les polaroïds. Et pour la première fois de sa vie, David eut vraiment peur. Sur chaque photo, lui et Elie à chacun de leurs rendez-vous. Leurs moindres faits et gestes immortalisés sur papier glacé, recouvraient maintenant les cloisons de leur dernière salle de torture.
De son côté, Elie faisait la même découverte sur un autre mur. Elle suivait le décompte indiqué sur la partie blanche au-dessous des clichés. Photo 56, Photo 57, Photo 58, ...
Une rage indescriptible enflait à l'intérieur de son ventre. L'impuissance à laquelle elle était réduite la rendait folle et l'empêchait de pouvoir réfléchir rationnellement. Les mots inscrits sur son parchemin tournaient et tournaient encore dans son esprit, perdant peu à peu leur sens. Elie ne savait pas ce qu'elle devait faire. Incapable de focaliser ses pensées sur une seule idée. Mais la voix grave de David la ramena à la réalité.
— Tout à l'heure, tu avais l'air de dire que tu pensais savoir qui c'était. De qui tu voulais parler ?
La jeune femme ne répondit pas. Elle jeta un rapide coup d'œil à la caméra face à elle puis à celle qui se trouvait dans son dos. Enfin elle redescendit ses yeux jusque dans ceux de David, levant un sourcil si haut qu'il ressemblait à une virgule. Puis elle pencha la tête sur le côté et le gratifia d'un clin d'œil rapide, presque indiscernable.
— Je ne pensais à personne en particulier. J'avais juste compris que ce n'était pas qu'un jeu, répondit la rousse d'une voix forte.
David n'argumenta pas en retour. Il avait compris qu'Elie ne voulait pas que la personne derrière tout ça sache qu'elle l'avait démasquée. Les deux anciens amants poursuivirent leur contemplation des polaroïds, se demandant comment ils pu pour ne jamais remarquer que quelqu'un les pistait.
Arrivé devant la photo 160, David stoppa. Il observa de biais la 163puis jeta un regard à la ronde.
De son côté, la jeune femme commençait à décrocher les polaroïds des miroirs, dévoilant peu à peu diverses inscriptions.
Intrigué, David l'imita, dégageant plusieurs portions de miroir sauf celle où se trouvait la photo 163. Mensonges et Vérités ornaient un des murs. Conséquences et Souffrance décoraient un autre, Apprenez et Payez le troisième. Ne restait plus qu'un pan de mur encore recouvert de photos. Elie s'y dirigea, se postant tout près du polaroïd 163.
— Attends, dit David en la retenant par le bras.
Il la fit pivoter face à lui et la prit dans ses bras. La jeune femme se débattit, le repoussa, mais il l'enlaçait de toutes ses forces, comme s'il voulait la briser en deux. Elle finit par s'alanguir contre lui, laissant s'échapper des larmes de rage et de tristesse qui constellèrent le tee-shirt du jeune homme.
Après d'interminables minutes durant lesquelles David caressa du bout des doigts les longs cheveux de son ancienne amante, il la lâcha enfin, l'abandonnant pantoise et en larmes au milieu de la pièce. Puis le jeune homme se tourna vers le mur encore recouvert de photos et observa la numéro 163. Elle les représentait s'embrassant avec passion dans une bouche de RER, près d'un ascenseur. David esquissa un sourire triste. Il aimait ce souvenir.
Elie s'approcha et regarda la photo sur laquelle David posait ses doigts. Elle tourna son regard résigné vers lui et ne résista pas lorsqu'il la plaça face au cliché. Il se tint derrière elle pendant quelques secondes, embrassant ses cheveux à l'arrière de son crâne, sa main caressant sa joue et sa mâchoire, lui imposant de poser sa tête contre son torse.
Puis le jeune homme s'éloigna. Deux pas en arrière. Une seconde d'indécision... et finalement un troisième. Ses jambes cognèrent dans le lit en fer. Le crissement du métal sur le sol ne fit pas se retournait Elie. La tête baissée, les yeux fermés et les poings serrés, elle savourait la sensation de ses larmes qui s'écoulaient en flot continu le long de ses joues et de son cou. Brûlante, douloureuse. Puis lentement, tandis qu'un cliquetis métallique s'élevait du miroir devant elle, elle fit volte-face pour plonger une dernière fois son regard dans celui de David. Un sourire timide égaya son visage pâle, illuminant ses yeux redevenus émeraude avant qu'elle ne les ferme. Inconsciemment, il fit de même.
Contrairement aux fois précédentes, aucune détonation ne claqua aux oreilles de David. Le coup de feu fut silencieusement mortel. Seul le bruissement d'un corps s'affalant au sol troubla le silence.
Le jeune homme fronça les sourcils, un tremblement naissant sur ses lèvres, puis rouvrit doucement les yeux. Son regard tomba immédiatement sur ses cheveux. Ils paraissaient plus clairs que d'ordinaire, étalés en corolle sur le sol en béton. Il descendit ensuite jusqu'au dos partiellement dénudé de la jeune femme. A hauteur des omoplates, sur son tatouage végétal, - de fines lianes gracieusement enlacées -, naissait une tache vermillon. Telle une rose en train d'éclore, la tache se propagea peu à peu, arrachant une expiration douloureuse au jeune homme. David passa sa main sur son visage, ne pouvant regarder le corps de son ancienne amante une seconde de plus.
Le haut-parleur grésilla une dernière fois tandis qu'une porte dérobée s'ouvrait sur l'extérieur :
« Ce n'est pas toujours le favori qui l'emporte. Mais c'est le jeu. Félicitations, David, tu es malheureusement sauf. J'espère que ta leçon te sera profitable. »
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