6.
Une odeur de poudre planait dans l'air. Mélangée à celle d'une viande commençant à cuire sur sa broche. En position fœtale, Elie ne bougeait plus. Elle pensait être morte. Elle devrait être morte. Mais alors quoi, un miracle ? Elle entrouvrit les yeux, inspira profondément.
Devant elle, entre l'écran de télévision et son corps recroquevillé sur lui-même : David. Les yeux fermés, la mâchoire crispée, le jeune homme était allongé sur le dos. D'évidence, il avait réussi à casser les pieds de son siège et à le propulser en arrière avant que le coup ne parte, droit sur le visage atterré d'Elie.
Tout s'était déroulé si vite ! La déflagration, le renversement du fauteuil, elle qui se roulait en boule en croyant sa fin venue. Mais non, elle était bien vivante malgré la sensation que son crâne allait exploser sous la pression.
— Elie ? demanda Jean, anxieux.
Seul le silence lui répondit. Doucement, centimètre par centimètre, Elie releva la tête. Elle regarda David qui commençait à remuer sur son siège, cherchant à se dégager à tout prix.
L'écran de télévision s'était éteint, mais la voix grésillante résonna une dernière fois :
« Elie avait eu raison en choisissant cet ami. Curieux et insondable que le destin. »
Et Elie comprit. Elle se retourna lentement, observant le siège de Max. Un trou gros comme son poing, rougeoyant, sanguinolent, pointait désormais l'emplacement où devrait se trouver le cœur du trentenaire. La jeune femme ferma les yeux en sentant la bile monter dans sa gorge. Elle ne put s'empêcher de penser qu'au moins Lisa ne serait pas seule dans l'au-delà. Piètre consolation pour cet ignoble gâchis. Jean ne parlait plus. La tête baissée, les yeux perdus dans le vide, il semblait déconnecté de la réalité. Elie crut l'entendre sangloter, mais un craquement suivit d'un grincement la firent se retourner. David s'extrayait de son siège démantibulé. Il se leva précipitamment et arracha le fusil de son bras mécanique. Puis il se dirigea vers Jean sur lequel il pointa l'arme. La bouche ouverte, sur le point de crier, Elie se tut d'un geste de la main de David.
— Toi, la ferme ! Et toi, ça t'a fait du bien de donner mon prénom à ce cinglé ? siffla-t-il à l'intention de Jean.
— Oui, murmura ce dernier sans lever les yeux.
— Tant mieux pour toi.
Le coup partit. Elie ferma les yeux en entendant la détonation, n'osant plus les ouvrir, ne pouvant accepter de voir Jean mort.
Un râle retentit, un craquement puis un bruit de métal qui tombait sur le sol. Que se passait-il ? Que faisait David maintenant ? Pourquoi mettait-il si longtemps à venir la tuer à son tour ? La curiosité l'emportant, Elie ouvrit prudemment les yeux : David aidait Jean à s'extraire de son siège. Ravalant les quelques larmes qui avait pris naissance, la rouquine regarda le jeune homme brun s'avancer vers elle. Sans même un regard, s'armant du fusil comme levier pour arracher les gonds qui retenaient ses chaînes, il la libéra.
Évitant soigneusement de s'appesantir sur les corps sans vie de leurs camarades, les trois survivants se dirigèrent vers la seule porte visible de la pièce, qu'ils ouvrirent avec prudence.
A peine l'eurent-ils franchie qu'une lumière aveuglante les inonda. Les yeux plissés, se protégeant de leurs bras, les trois derniers joueurs progressaient lentement, sans qu'aucun ne se touche ou ne se parle. Ils parcoururent ainsi plusieurs dédales de couloirs et de pièces, gravirent quelques marches, jusqu'à aboutir devant une porte vitrée donnant sur l'extérieur du bâtiment.
Alors qu'un sentiment de victoire sur la mort commençait à s'immiscer en eux, alors qu'ils franchissaient la porte en s'espérant enfin libre, l'ignoble voix du haut-parleur se fit entendre :
« Pensiez-vous vraiment pouvoir me quitter aussi facilement ? »
*
« Tout le monde ment. Et je hais le mensonge. Ce n'est qu'un poison aux effets redoutables, détruisant lentement et sournoisement ses victimes. Vous vivez dans le mensonge. Vous voilà face aux conséquences de la vérité. Apprenez, ou mourez. »
Un clac retentissant. Une douleur à l'arrière de la tête. Le sol. C'était tout ce dont se souvenait Elie lorsqu'elle se réveilla. Pivotant sur le côté, elle poussa un cri de stupeur lorsqu'elle réalisa qu'elle reposait sur une plaque de métal, ou plus précisément sur un assemblage de petites plaques en équilibre au-dessus d'un gouffre au fond duquel s'érigeait une multitude de gigantesques piques en bois, pointues et tranchantes.
Devant et derrière elle se trouvaient Jean et David, chacun sur une plaque similaire, réveillés par le cri retentissant d'Elie.
— Bordel de merde, lâcha David en regardant au fond du gouffre.
Contrairement à elle, les deux garçons avaient au poignet une manette, nouée par un simple élastique en caoutchouc. Sur le haut de la manette, un petit bouton rouge.
— Jean... commença Elie en le regardant avec tristesse.
— Ne dis rien s'il te plaît, la coupa-t-il en détournant les yeux.
David s'était tu. Il scrutait l'étrange pièce autour de lui et les piques qui l'attendaient plus bas.
— Quel fils de..., marmonna-t-il entre ses dents.
Mais il n'eut pas le courage de terminer sa phrase. Comme si, en la prononçant, il se rendait compte que son insulte ne serait jamais suffisamment représentative de ce qu'il pensait au fond de lui.
Et l'affreuse voix grésillante reprit son laïus incessant :
« L'homme, la femme... et l'amant. Quel beau tableau ! C'est un de mes préférés. Je sais, je sais, il a déjà été beaucoup utilisé auparavant, ce n'est pas une nouveauté, ce scénario. Mais... comment s'en passer ? Jean, David, je vous prie de vous saisir des manettes accrochées à vos poignets. Maniez-la avec précaution, c'est un conseil. David, ta manette te permet de disloquer la plate-forme de Jean. Jean, la tienne te permet la même chose avec celle de David. Si aucun de vous n'appuie avant la fin du compte à rebours, c'est Elie qui tombera. Vous avez cinq minutes, pas une seconde de plus, pour décider lequel d'entre vous ira faire son grand plongeon final. »
La main sur le cœur, la bouche ouverte en un hoquet de stupeur, la jeune femme rousse fixait le vide. Sa tête oscillait avec nervosité et elle se tordait frénétiquement les doigts.
— Je vous interdis d'appuyer sur vos boutons, réussit-elle finalement à dire d'une voix tremblante.
Tout d'abord, aucun des deux hommes ne répondit. Jusqu'à ce qu'un moniteur s'allume, affichant le temps restant pour prendre leur décision.
— Elie, explique-moi, implora soudain Jean d'une voix basse.
— Je ne sais pas quoi te dire.
— Est-ce que tu m'aimes ?
— Oui ! répondit-elle sans hésitation. A ma façon.
Jean baissa la tête. Son sourire jovial qu'Elie aimait tant avait disparu. Plus rien ne pétillait au fond de ses yeux. Il regarda sa manette, ne pouvant se résoudre à croiser le regard d'Elie ou de David, le pouce en l'air. Puis il abaissa son bras, un air résigné sur le visage.
— Je ne peux pas te laisser mourir, Elie, chuchota-t-il assez fort pour qu'elle l'entende.
— Non, Jean. Je te l'interdis. Vous êtes tous les deux là parce que je me suis montrée égoïste. C'est à moi de payer.
David ne prononçait pas un mot. Il fixait Elie, puis Jean. Jean, puis Elie. Puis la manette. Il ne restait que trois minutes et douze secondes.
— Je vous en supplie, lâchez vos manettes. Et fermez les yeux... enchaîna la jeune femme.
Elie se tourna une ultime fois vers les deux hommes qu'elle côtoyait, portant la main à son cœur pour un dernier adieu. A celui qu'elle aimait. Et à celui qu'elle désirait comme une enfant capricieuse implorant un deuxième bonbon. Aucun d'eux ne méritait de mourir parce qu'elle n'avait pas su se contenter d'un seul homme.
Deux minutes et huit secondes.
— Jean, mon amour. Je te jure que ta vie sera encore très belle après. Tu feras peut-être quelques cauchemars, c'est normal après un évènement pareil, sourit-elle avec tristesse, mais tu rencontreras une femme qui te mérite, et que tu mérites. Ne me regrette pas.
— Je ne peux pas, Elie...
Les yeux humides, Jean renifla. Il leva le bras, s'apprêtant à appuyer sur le bouton. Une horrible plainte métallique se fit entendre, lui arrachant un juron.
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