4.

     Jean était agenouillé et passait ses doigts le long de la jointure entre le mur et le sol lorsqu'il entendit un son familier. Il se releva, intimant aux autres de ne plus faire de bruit.

     Ce fut Lisa qui brisa le silence la première.

— Putain, c'est du gaz. On nous gaze, les gars, bordel de cul !

— Dis pas de connerie, la rabroua vertement David.

— Mais non, mon amour, voyons, ça ne peut pas..., commençait Max.

— Elle a raison, le coupa Jean. On nous gaze. Protégez votre bouche et votre nez avec vos vêtements, respirez doucement et continuez à chercher un moyen de sortir d'ici.

— J'ai peur, Max, souffla Lisa.

     Se dirigeant vers la voix de sa conjointe, Max trébucha.

— Tu vas bien, bébé ? demanda Lisa, inquiète.

     Un rire moqueur échappa à David, mais personne ne s'en préoccupa. Max arriva jusqu'à Lisa qu'il prit dans ses bras.

— Ça va aller, ma chérie, ça va aller...


*


     Le silence angoissait Elie. Les yeux sur les boutons, elle se demandait ce qu'il advenait de ses amis. Un bref cliquetis se fit entendre et la plaque de métal qui maintenait la jeune femme enchaînée s'éleva tandis que la pièce se mettait à tourner sur elle-même.

     D'un bond Elie remonta sur la plate-forme et regarda horrifiée le sol disparaître autour d'elle. Lentement, dans un grincement lancinant, une sorte de manège de foire voyait le jour.

     Quatre sièges se tournaient le dos, chacun d'eux occupé par l'un de ses amis. Ils y étaient solidement harnachés, l'ensemble fixé par des chaînes et des cadenas. Tous quatre endormis, leurs têtes balançaient au rythme du tournoiement de la machine qui achevait sa mise en place autour de la plaque de métal où s'était réfugiée Elie.

— Mais à quoi est-ce que vous jouez ? gémit Elie.

     La pièce se stabilisa enfin et le spot s'éteignit. Des lumières plus douces s'allumèrent de part et d'autre de la salle, éclairant les cinq amis.

— Et maintenant, j'imagine que c'est l'heure de vérité, souffla la jeune femme rousse.

     Jean fut le premier à se réveiller. Elie l'entendit tousser et se précipita vers son fauteuil. Mais la longueur des chaînes avait rétréci sans qu'elle s'en aperçoive et lui interdisait désormais ne serait-ce que d'en toucher le dossier.

— Jean, est-ce que tu m'entends ? cria la jeune femme.

     Jean s'agita sur son fauteuil sans parvenir à se retourner.

— Oh, mon amour, ma chérie, ça me fait du bien de t'entendre.

— Tu es le seul à être réveillé, et je suis toujours enchaînée. Tu ne peux pas me voir, mais je suis juste derrière toi, au milieu de vous quatre.

— Ce n'est pas du tout le jeu qui était décrit sur le site.

— Je sais, mais... Qu'est-ce qu'il se passe vraiment ici ? J'ai l'impression de ne plus rien comprendre.

— Je n'en sais rien. C'est trop étrange, on se croirait dans un film.

— On était juste censé faire semblant d'en vivre un. Pourtant...

— Aucun de nous n'est blessé, on peut dire que tout ne va pas si mal.

— Parce que tu crois que toutes ces questions n'ont blessé personne ?

     Jean ne répondit pas. Il n'y avait rien à répondre. Les doutes s'insinuent dans l'esprit, dans le subconscient, et nous taraudent sans que l'on ne puisse rien y faire.

     Lisa et David se réveillèrent en même temps, suivis de Max. Tous se mirent à parler de concert, la panique se propageant crescendo.

— Laissez-moi sortir, putain de fils de pute ! hurlait David.

— Mais vous allez nous foutre la paix, bordel de merde, ruminait Max entre ses dents serrées par la rage.

     Lisa avait commencé à pleurer et Jean tentait en vain de s'extraire de son siège en se contorsionnant. Elie regardait ses amis, impuissante face à leur désarroi et leur rage, sachant qu'elle ne pouvait rien faire pour eux.

     Tout à coup, devant David, un écran s'alluma, affichant une forme humaine encapuchonnée adossée à un mur blanc grisâtre. Son éclat de rire forcé emplit la pièce, grésillant aux oreilles de chaque participant tandis que la silhouette relevait la tête, dévoilant, faute d'un visage, le masque de la marionnette du film Saw. Les iris rouges du déguisement se posèrent sur le jeune homme de vingt-trois ans aux yeux sombres.

J'espère que mon jeu vous plaît, grésilla la voix modifiée de l'homme encapuchonné. Bienvenue à tous à l'étape finale.


*


David Hardel, vingt-trois ans. Serveur.

— Je t'écoute, couilles molles, répondit le jeune homme aux cheveux noirs.

Tu as passé ton temps à faire ce que tu voulais de qui tu voulais. Mais tu as touché à la femme qu'il ne fallait pas.

     David fixait l'écran d'un regard noir, plein de haine et de rage. Jean et Max se tortillaient pour tenter de s'extraire de leur harnais et Lisa pleurait en silence. De grosses larmes dégoulinaient le long de ses joues fardées, les parcheminant de longues traînées de mascara.

     Seule Elie semblait stoïque, agenouillée au milieu de ses amis qui lui tournaient le dos, enchaînée et les poignets en sang. Mutique, immobile, concentrée, comme si elle venait de comprendre quelque chose. Une lueur triste brillait dans son regard durci par les épreuves. Elle murmura, trop bas pour que quiconque l'entende hormis elle-même : « On est foutu... »

David, dans un instant, Elie devra faire un choix. J'espère pour toi que le petit jeu auquel tu as joué ces dernières semaines te sera profitable.

     Le manège s'ébranla et lentement pivota, faisant grincer ses rouages. Il s'arrêta quelques secondes plus tard, de sorte qu'Elie se retrouva face à l'écran sans que le siège de David ne lui gênât la vue.

Elie, Elie, Elie... Tu as dansé toute ta vie sur le fil de la normalité, échappant aux exigences imposées en endossant un rôle que tu revendiques. Il est temps de tomber le masque. A partir de maintenant, tu devras dire la vérité, rien que la vérité, sous peine de voir tes amis mourir sous tes yeux.

     Le cliquetis caractéristique d'une arme qui se charge se fit entendre et les cinq amis levèrent la tête. Un fusil monté sur un bras mécanique s'activa et amorça sa descente. Il se promena autour du manège avant de s'arrêter face à Elie.

— Bon dieu, souffla-t-elle, les yeux exorbités.

— Qu'est-ce qu'il se passe, Elie ? demanda Jean, paniqué.

— Je pense que l'un de nous risque de se faire tirer dessus. Y a une saleté de flingue pointé sur moi.

— Putain !

J'ai toujours admiré ton intelligence et ton esprit de déduction, Elie, commenta la silhouette.

— Tu sais qui c'est, mon amour ? s'étonna Jean.

— Je commence à me douter de qui peut faire ça, oui.

— C'est qui, cet enculé ?! marmonna David, les mâchoires contractées par la rage.

Commençons, interrompit la silhouette. Elie, sans mensonge cette fois-ci. Si Max disparaissait, est-ce que Lisa irait vers David ?

— Oui, répondit la jeune rousse sans une once d'hésitation.

Le bras mécanique leva le fusil et un coup partit dans les airs, arrachant un cri à Lisa.

J'aime les vérités. Elie, merci. Si Lisa se retrouvait confrontée à la vérité de sa relation avec David, continuerait-elle à mentir ou bien avouerait-elle ce qu'ils font lorsqu'ils se retrouvent tous les deux ?

— Non, mais tu vas pas répondre à ça, Elie ? cracha Lisa.

— Tu préfères qu'elle crève pour tes mensonges ? s'énerva Jean.

— J'ai pas menti, j't'emmerde, toi ! jura la blonde hystérique.

— Elle continuerait à mentir, dit soudain Elie.

— Putain de conne, c'est toi qui mens ! Tu fais quoi, putain ! Bébé ! Bébé, écoute pas, je te jure que tout est faux.

     Des années d'amitié, de fous rires, de sorties ensemble et de repas les uns chez les autres. Tout semblait n'avoir jamais existé. Avec quelques questions dérangeantes, l'auteur du jeu infernal avait fait voler en éclat tous liens entre les deux femmes.

     Lisa était rouge de colère. Elle tremblait, crachait, reniflait bruyamment et gesticulait dans tous les sens, incapable de contenir sa rage. Max restait silencieux ; il attendait, attentif. David bouillonnait, il ne pensait plus qu'au timbré derrière tout ça et à tous ceux à qui il fera passer un sale quart d'heure lorsqu'il aura trouvé un moyen de s'extirper de son siège.

     Le fusil tira un second coup en l'air puis disparut quelques instants dans une trappe du plafond. Un nouveau chargement de balles se fit entendre et il réapparut.

Merci de rétablir certaines vérités, Elie. En voici maintenant une autre qu'il est temps que ton petit ami connaisse. Aimes-tu Jean autant qu'il t'aime ?

     Le silence se fit soudain lourd. Perturbant. Malsain.

— Non...

     Le fusil tira à nouveau en l'air.

Elie, voici maintenant ma question préférée. Si tu devais choisir une des personnes ici présente pour sacrifier sa vie au profit de celle des autres, qui choisirais-tu ? Un homme ?

     Au grand étonnement de certains de ses amis, Elie répondit sans aucune hésitation, comme si elle acceptait sans s'émouvoir ce jeu perfide et les conséquences dévastatrices de ses réponses.

— Oui.

S'agit-il de David ?

— Non.

— T'es sérieuse, meuf, putain, tu le connais même pas ! s'indigna Max.

— Fous-lui la paix, le rabroua sèchement Jean.

S'agit-il de Max ?

— Oui.

— Va te faire foutre, Elie !

     Le fusil tira à nouveau en l'air.

— Merci de ton honnêteté, Elie.

     Et le fusil partit rejoindre sa trappe au plafond tandis que le manège s'ébranlait à nouveau. Il tourna encore et encore, jusqu'à ce que Lisa se retrouve face à l'écran. Totalement hystérique, les cheveux en bataille, les yeux bouffis et le visage barbouillé des reliquats de maquillage, la jeune femme avait perdu toute beauté.

Pauvre, pauvre Lisa. Tu as beaucoup menti...

— C'est faux ! cracha-t-elle.

Lisa, Elie a-t-elle menti une seule fois lors de l'interrogatoire précédent ?

     Lisa haletait, cherchant un moyen de sortir de son harnais.

— Réponds à la question, Lisa, intima Max d'une voix si autoritaire qu'elle figea la jeune femme sur son siège.

     Le fusil se déplaça. Les articulations de son bras mécanique claquaient dans le silence, comme égrenant les secondes, compte à rebours morbide qui s'arrêta juste devant la poitrine de Lisa. Cette dernière poussa un cri, se tapissant dans le fond de son siège comme si elle espérait le traverser.

— Bordel, réponds à la question, Lisa ! se mit à hurler Max.

— Oui, elle a menti, elle a menti, dit enfin la jeune femme dans un rictus.

     La détonation résonna en écho aux quatre coins de la salle, monstrueuse, dévastatrice, mêlée à l'odeur prégnante de poudre puis à une autre plus ténue, indéfinissable. Les oreilles bourdonnaient, certains toussaient, puis ce fut le silence, un silence tout juste troublé par le chuintement de la trappe qui se refermait sur le fusil.

— Lisa ? chuchota Max.

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