59. Assaut


« Ravi que vous n'ayez pas tout de suite dégainé les armes. »

2102


« Voici comment on déroule. Les insurgés sont prévenus. À douze heures précises, Carlsson entre avec son groupe dans le grand hall. Il discute avec les autonomes. Pendant ce temps, Maxwell fait sauter la porte d'accès au hangar à l'autre bout du bâtiment. Les imageries satellite ne permettent pas de trouver les positions des insurgés et des otages. Dès l'entrée, on envoie des libellules de reco. Vous avancez avec précaution, tout autonome armé est à neutraliser sans sommation.

— On est sur des armes létales, prévint un des chefs d'équipe.

— On n'a pas le temps de prendre des gants, rétorqua le commandant. La priorité est de récupérer les otages et de les faire sortir par l'arrière du bâtiment. La cellule opérations sera en permanence en contact avec vous et ses ordres seront prioritaires sur le déroulement initialement prévu de l'opération.

En particulier, Carlsson, à un certain moment, Maxwell va accrocher les insurgés. On vous donnera alors le feu vert pour attaquer aussi de votre côté. Les loups seront dans la bergerie et nous n'aurons aucun problème pour avancer.

— Le grand hall est trop découvert. Je suppose qu'ils seront sur le balcon.

— Exact, mais nous vous couvrirons. Vous recevrez un signal cinq secondes avant qu'on tire un missile sur le balcon.

— Il passera par où ?

— On aura des Transports Aériens Légers tout autour. Le plan B, si on n'arrive pas à faire sortir les otages par le hangar, c'est de les mettre sur les parcs où ils seront couverts par les TAL et les drones.

— Il y a moyen de faire entrer des drones d'intérieur ?

— C'est prévu aussi, mais c'est la police qui les dirige, alors ne comptez pas trop sur eux. On n'a pas eu le temps de déployer les nôtres.

— Je vous assure que si un de ces engins hésite entre moi et un autonome, je le descends, grogna Naguier, un des chefs d'équipe.

— Pas de question ? dit l'officier.

Carlsson leva ostensiblement la main.

— Il y a dans ce fichu bâtiment deux cent autonomes armés. Et cinq mille autonomes. Ça fait pas deux cent hostiles potentiels, mais cinq mille deux cent. Est-ce que vous en avez tenu compte ?

— En cas de doute, dit le commandant entre ces dents, tirez dans le tas.

— Qu'en dira BD ?

— Ils savent déjà qu'ils ne revendront pas ces autonomes, je pense qu'ils ont fait les comptes. »


***


Le grand hall ressemblait déjà à une zone de guerre. Les débris du plafond s'étaient répandus au milieu, formant une corolle presque circulaire, qui réfléchissait la lumière avec un éclat bien plus pénétrant que le sol synthétique.

« Bonjour numae ! » lança l'autonome à la cicatrice depuis son balcon.

Quelques comparses l'accompagnaient, qui avaient balayé les tables et chaises du restaurant pour faire de l'espace.

« Ravi que vous n'ayez pas tout de suite dégainé les armes. »

Carlsson portait la tenue complète – gilet pare-balles et casque de VA. Il n'avait pas d'arme apparente, mais un couteau était discrètement glissé, invisible, à sa cheville – une lame en céramique qui n'apparaissait pas sur les scans à métaux.

Quelques agents du BIS dans la même tenue le suivaient.

Jetant un coup d'œil, il calcula que le missile devrait traverser un autre pan du plafond. Il fallait prévoir un point de chute, à l'abri des débris de verre.

Impossible de parler tout bas. Grâce à l'acoustique et aux micros directionnels, lui et l'autonome s'entendaient parfaitement.

« Je vous reconnais, dit-il amusé. Vous êtes l'un des gars du clip du BIS, à l'instruction.

— Je suis navré que vous ayez dû voir ça. C'est l'une des plus mauvaises pubs qu'on ait produite ces dernières années et elle a eu un succès planétaire.

— La publicité ne précisait pas que le BIS était l'agence qu'on appellerait pour tuer des esclaves révoltés. Ça enlèverait un peu de son panache.

— Quel est votre nom ?

Mauvaise question, dit le psychologue dans l'oreillette de Carlsson. Leur nom a moins d'importance que pour les humains.

L'agent aurait aimé pouvoir rebrousser chemin, aller au QG et étrangler le petit homme joufflu. Au moins lui gueuler dessus dans son micro.

— Ah, excellente question, dit l'autonome, je suis ravi de l'entendre.

Et pan.

— Mon nom est Jamin. Aucun intérêt en soi, mais ce n'est pas moi qui l'ai choisi. En fait, ce sont les premières lettres de mon matricule. Amusant, non ? Et il n'est consigné nulle part. Le prénom n'est qu'une interface commode pour les humains. Il n'est pas voué à matérialiser une quelconque personnalité. Et vous, agent ?

— Carlsson.

— C'est votre prénom ?

— Je n'ai pas de prénom.

— C'est un choix personnel ?

— Le prénom que l'administration a conservé pour moi est Jim.

— Et pourquoi ne l'avez-vous pas gardé ?

— C'était le prénom de mon père administratif.

Ici Maxwell, on a eu la porte. On entre. Vous allez recevoir les images des drones en VA. »

Les agents avaient découpé la porte à la torche à plasma et poussé les engins de déchargement qui la bloquaient. Personne dans le hangar. Un train de marchandise attendait là ; l'équipe de Naguier se précipita pour le mettre en marche, afin d'évacuer au plus vite les otages.

Les libellules s'envolèrent dans les couloirs du centre.

« Personne pour l'instant, dit Maxwell.

— Arrêtez de vous concentrer sur ce qu'ils disent dans vos oreilles, dit Jamin. Venez plutôt monter sur le balcon, nous serons mieux pour discuter.

À quoi joue-t-il ? dit le commandant, depuis le centre opérations.

Jamin fit un signe à ses comparses. Ils durent actionner manuellement les électroaimants, car la porte coupe-feu se débloqua dans un claquement net, qui parcourut l'ensemble du grand hall.

C'est un piège. Attendez le missile. On va pulvériser le balcon et la porte en même temps, vous pourrez avancer autant que vous voulez. »

Fermez-la, pensa Carlsson.

Il aurait aimé un moniteur mental pour leur transmettre ses impressions – mais un trou dans le crâne pour implanter une puce sur le cortex, non merci.

Carlsson avança et ses agents restèrent interdits, partagés entre ce que disait le commandement et ce que faisait leur supérieur direct, conscients que tout faux pas renseignerait les autonomes sur leur plan.

« Toujours personne, dit Maxwell.

On n'attend plus pour l'assaut, rugit le commandant. Ils nous narguent. Ils ont du se retrancher dans les étages inférieurs. »

Les autonomes avaient quitté le balcon.

Carlsson jura et se mit à courir en direction de la porte blindée, tandis que ses agents s'égaillaient.

« ... huit... sept... six... cinq... »

Il sentit ses jambes se fatiguer, son corps renâcler sous l'effort. Sa seule chance de survie était d'atteindre la porte. Derrière un nuage de coton, Maxwell parlait d'un accrochage, le commandant hurlait des ordres confus.

Carlsson poussait son organisme malade au maximum, l'instinct de survie arrachant ses dernières ressources, sa dernière course peut-être.

« ... quatre, trois, deux... »

La porte coulissante était à peine entrouverte. Il se glissa, trébucha, chercha une commande de fermeture, ne parvint finalement qu'à dévaler en tombant les marches d'un escalier, se mettre à l'abri d'un mur, se glisser sous une table translucide, entouré de visages. Une galerie d'affichages commerciaux promettant des autonomes encore moins chers.

« ... un... »

Le réducteur de bruit fit son œuvre, mais tous les murs oscillèrent sous l'onde de choc. Elle lui aurait peut-être brisé les dents s'il n'avait pas serré la mâchoire. Des pans de faux plafond tombèrent, emportant des câbles. Un éclairage de secours se mit automatiquement en place, et la VA, la caméra thermique et le radar à ultrasons lui fournirent une vue acceptable maintenant qu'il était dans le noir.

« Centre opérations, le missile a été tiré, l'assaut commence.

Maxwell, on a accroché des autonomes, pas de trace des otages.

— Carlsson, je suis sous le balcon, haleta-t-il en cherchant son couteau.

Carlsson ! beugla le commandant. Ne bougez pas. On monte sur ce qui reste du balcon.

— Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?

— Vous allez bien ? » demanda Jamin, le tirant du monde virtuel.

Carlsson s'adossa au mur, éberlué. Ils avaient vu venir le coup et ils étaient descendus eux aussi à l'étage inférieur.

« Ça vous dit d'être pris en otage ? lança-t-il, badin. Figurez-vous qu'il y a peu, j'ai découvert que le fusil d'assaut vous donnait une prestance incroyable. Celui-ci est chinois, il a cinquante ans et il fonctionne encore parfaitement bien. Regardez. »

Le tenant d'une seule main, il le dirigea vers un écran 3D transparent encore connecté au réseau électrique, par miracle, qui vantait les bienfaits d'une crème anti-âge, et tira une rafale.

« Ici Lewis, on a des coups de feu à l'étage en dessous.

Carlsson, répondez.

— Je suis là, dit-il.

— Dites-leur que vous êtes otage, dit Jamin.

— Opérations, vous avez encore l'image de ma caméra ? tenta-t-il d'un air soupçonneux.

Négatif, la technique a coupé les caméras.

Ici Maxwell, les insurgés ont reculé, pas de pertes de notre côté.

— Pourquoi la technique a coupé les caméras ?

On m'a dit qu'elles ne fonctionnent plus, dit l'officier de commande. Vous allez bien ?

— Je suis pris en otage, dit-il en regardant Jamin.

Essayez de négocier, tenta le psychologue.

— Ça ne servira à rien.

Gagnez du temps, Lewis est en train de descendre.

— Non, ça ne servira à rien, car ce n'est pas une prise d'otages.

— Ah, agent Carlsson, dit Jamin en souriant, vous me rassurez. Vous relevez le niveau. »

Lui et les autres s'engouffrèrent dans le couloir dévasté, théâtre de clignotements rouges invitant à évacuer vers les parcs.

Carlsson eut à peine le temps de se relever et de souffler, que Lewis arrivait avec son équipe pour lui mettre un pistolet dans les mains.

« Ils sont partis par où ?

Il désigna le couloir.

— OK, c'est parti. Carlsson, il faut que tu rejoignes la cour intérieure. Retrouve Maxwell. Il faut descendre plus bas.

Centre opérations, à toutes les équipes. On a retrouvé les otages. Ils sont sur les images des drones.

Puis après un instant de réflexion :

Mais qu'est-ce que c'est que... »


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Le Bureau.

Son professionnalisme.

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