56. Révolte
« L'important, c'est de courir. »
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« Est-ce que vous croyez que les bactéries poussent sur les arbres ?
La phrase sonnait mieux avant qu'il ne la prononce. Noël Douglas serra le poing.
— C'est bien gentil, de vouloir arrêter la maladie de Kleen avec une bactérie, mais déjà... un virus serait plus adapté.
— Vous avez la compétence nécessaire pour le faire.
— Nous avons la compétence, mais les moyens pour créer sur mesure...
— Arrêtez de tourner autour du pot, Douglas ! Votre père fondateur, Marc Gérald, comme il le dit si bien, a fait ça en six mois dans son garage ! »
C'était la pire chose à faire que de rappeler à Noël Douglas qu'il n'était qu'un bureaucrate qui avait réussi. Le véritable génie scientifique était derrière lui – dans le passé devenu légendaire de Biodynamics.
« Je vous dis simplement que nous ne sommes pas certains d'arriver à un résultat concluant, haleta-t-il.
— Vous faites pousser des organes humains dans des bocaux, Douglas. Vous produisez quarante millions d'autonomes par an. Ce que vous me dites est tout simplement absurde. »
L'homme, un membre d'une obscure commission dont la seule finalité était de mettre une pression intolérable à BD pour obtenir des actions, prit une expression de cafard, comme s'il faisait quelque chose de désagréable – par exemple, casser en deux un stylet d'artifeuille.
« Mais les organes humains, nous en connaissons déjà le code génétique ; nous connaissons déjà les processus. Nous savons produire les cristaux dans des tubes pour la forme des os, injecter des cellules et des amas de protéines, diriger des cellules-souches humaines dans leur évolution, imprimer en 3D des foies... certains muscles nous échappent toujours, vous l'aurez remarqué.
— Tout ce qui vous échappe, ce sont les domaines dans lesquels vous n'injectez pas assez d'argent en R&D. Vous êtes en train de me dire que vous abandonnez les bactéries ? Mais pour faire quoi ? Les autonomes ? Non, pas de recherche sur les autonomes, ça n'a pas bougé depuis cinquante ans. Mais quoi... ah, non, la médecine. Les rétrovirus.Tous vos chercheurs sont sur ces maudits rétrovirus. »
Douglas s'épongea le front. Il avait peur, non pas de ce petit fonctionnaire débile, mais de tout ce qu'il représentait. Une classe politique, une opinion publique pouvait se retourner en un rien de temps contre ses bienfaiteurs.
« Vous aussi vous aurez deux cancers dans dix ans et vous serez bien content de pouvoir les soigner.
— Seuls dix pour cent des malades ont de quoi se payer un traitement rétroviral de chez vous, Douglas, et comme vous avez tué la recherche publique dans le sujet, personne n'en bénéficiera jamais de la part d'une aide médicale d'État.
— Bof, ça, ça n'existe plus.
— Remettez vos équipes en place et faites vos fichues recherches. Tout ce que vous voulez. Il faut que vous détruisiez la bactérie de Kleen.
— On pourra faire un bactériophage », dit Douglas, sortant le mot le plus gros qui lui venait à l'esprit pour calmer le fonctionnaire.
Il se souvenait pourquoi Biodynamics était dans une situation délicate.
Pour le moment, l'entreprise profitait d'une situation de quasi-monopole. Mais un concurrent s'était présenté. Novum. Et promettait de commercialiser dans un an son premier humanoïde hybride, le remplaçant direct des autonomes.
Le marketing s'était empressé de montrer à quel point c'était idiot parce que les autonomes étaient parfaits. Mais Douglas redoutait ce que les gars de Novum allaient bien inventer. Ils avaient embauché des chercheurs spécialistes des autonomes, virés de BD parce qu'on n'avait plus besoin d'eux, et que les recherches s'orientaient dans la médecine et le vieillissement.
BD commençait à faire circuler des clips agressifs dans lesquels on voyait des gens de Novum essayant de vendre des humanoïdes à trois bras.
Si l'entreprise jouait bien, elle réussirait à réabsorber Novum et bénéficierait de ses avancées. Ce serait déjà fait si les États ne s'en mêlaient pas. Car Novum était une entreprise européenne et les européens, qui avaient laissé passer pas mal de choses depuis un siècle, n'attendaient que cette occasion pour en faire leur boîte attitrée.
Conclusion : si Biodynamics détruisait la bactérie de Kleen, cette rescapée d'expériences biologiques d'origine inconnue – comme toujours – qui tuait une centaine de personnes dès qu'elle apparaissait, on les laisserait s'arranger avec Novum. Si l'entreprise renâclait un peu, on irait chercher du côté de Novum et de son département R&D, et le concurrent pourrait presque devenir sérieux.
« Eh bien, faites votre bactériophage, et qu'il soit efficace. »
***
Les hauts-parleurs directionnels accrochés au plafond par batteries entières annulaient le bruit dans le hall du comptoir des ventes de Londres. Malgré la présence d'au moins deux mille personnes qui venaient de passer les contrôles à l'entrée, il y régnait un agréable silence, à peine troublé par un murmure ambiant. Localement, chacun pouvait poursuivre sa conversation sans que les oreilles bourdonnent.
Derrière l'écran virtuel géant, qui semblait suspendu dans les airs, un balcon s'étendait sur toute la largeur de la salle, courbé en arc de cercle, culminant à dix mètres. Le petit monde de la vente des autonomes valait bien qu'on s'y attarde une journée complète, aussi les clients pouvaient-ils se reposer et profiter du restaurant avant ou après leurs achats.
Iruka fut surprise de voir tant de personnes arrêtées, certaines assises par terre, tandis que le restaurant sur le balcon semblait vide, alors qu'on pouvait y prendre un petit-déjeuner hors de prix mais correct.
« Ils ont fermé les portes d'accès à six heures du matin et ne les ont pas rouvertes. »
Le seul rôle des portes coupe-feu était sécuritaire. En cas d'incident, ou d'incendie, l'évacuation du grand hall se faisait par l'entrée et l'intérieur du bâtiment était évacué sur les côtés, sur les esplanades extérieures. Les jours de beau temps, on y réalisait des ventes, des expositions et des événements, entre deux aires de jeu pour enfants.
L'écran virtuel affichait toujours la même publicité. Iruka attendit presque un quart d'heure avant que l'image disparaisse.
Quelqu'un s'était accoudé au bord du balcon, et comme il était seul visible, la foule des visiteurs concentra ses regards sur lui.
« Bonjour à tous », dit-il en faisant quelques signes.
Amplifiée par les hauts-parleurs, sa voix assurée se déversait dans le hall, bien que personne ne le voie nettement. C'était un autonome, en tête d'un groupe. Mettant un objet cylindrique sur son épaule, il indiqua :
« Je vous conseille de reculer vers la sortie et d'enjamber les barrières de sécurité pour fuir. Je pense d'ailleurs que le service d'ordre de Biodynamics vous laissera faire. Allez-y, dépêchez-vous.
Puis, d'un ton tout à fait naturel :
— Pour ceux qui ne voient pas, ceci est un lance-fusées MK60. Je suppose que vous vous fichez de savoir où je l'ai eu. L'important, c'est de courir. »
Quelques personnes bien portantes et avec un temps de réaction faible se ruèrent vers les couloirs d'accès qu'elles venaient d'emprunter.
Iruka Hidan resta hébétée, comme une majorité du public. Ce n'était pas qu'iel croyait à une blague. C'était même pire que cela. Iel se situait dans un état second, inatteignable par ce qui était en train de se passer, incapable de se convaincre que c'était la réalité.
Deux des grandes vitres du plafond, solidement fixées à des poutres d'acier, malgré leur épaisseur, explosèrent dans un vacarme infernal. D'épais morceaux de verre tombèrent en une pluie d'or, sublimée par le soleil à peine levé. Les réflexes de survie reprenant le dessus, la foule s'écarta vivement, certaines personnes plus fragiles tombant à terre et manquant de se faire écraser. Les éclats de verre n'étaient pas encore tombés que deux drones descendaient de l'ouverture béante, que l'autonome visa aussitôt avant de faire feu. Un sifflement assourdissant, une traînée de fumée, la fusée incurva sa trajectoire avant d'aller frapper un des deux arrivants, n'explosant pas mais arrachant une hélice à son passage.
Nouveau mouvement de foule tandis que le drone traversait la baie vitrée de droite dans un nouveau déluge de verre, s'abîmant à l'extérieur.
Le deuxième eut le temps de faire feu – à projectiles réels – en direction du balcon. Les autonomes s'étaient mis à l'abri, sauf celui qui portait le lance-fusées, qui tira alors une seconde fois. La fusée percuta le drone avec tant de violence qu'elle lui fit retraverser le plafond de verre, écrasant au passage son blindage et chiffonnant son armature métallique.
Les visiteurs du comptoir des ventes avaient déjà libéré la moitié du hall lorsque le petit groupe d'autonomes disparut du balcon.
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Oui, un lance-fusées, parce que.
Ha !! Je vous l'avais promis !! Vous l'aviez oublié !! Voilà de l'action ! Hum.
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