9. Le prix de la vérité
Le grincement strident d'une porte tira 712 de son sommeil.
— Debout, lève-toi !
Une lumière aveuglante pénétra la pièce et le garçon plissa les yeux. Il put tout de même discerner l'imposante silhouette d'un Examinateur.
— C'est l'heure du dîner, annonça-t-il en déposant un plateau de nourriture au sol.
712 le remercia d'un simple mouvement de tête. L'Examinateur fronça les sourcils.
— Tout va bien, petit ? Tu es blême.
— C'est qu'il n'y a pas beaucoup de soleil, dans le coin, répliqua l'adolescent pour écarter la question.
— Si on te laisse dans le noir, c'est pour t'offrir un cadre idéal à la réflexion. Tu dois te concentrer sur tes pensées : balayer les mauvaises, accueillir les bonnes.
Ouais sauf que, là, j'ai vraiment mal au crâne. Réfléchir, ça ne me tente pas trop.
Mais il opina du chef et l'homme sortit, le laissant à nouveau seul dans la pénombre.
La vision que 712 venait d'avoir avait été tout aussi agréable que terrifiante. Chaque fois qu'il essayait de penser à autre chose, les scènes qu'il avait vues lui revenaient avec d'autant plus de force.
Il entendit un autre grincement de porte, provenant cette fois de la pièce voisine. Il fut surpris d'entendre la conversation qui s'y déroulait.
— Ah, tu es réveillé, fit la voix de l'Examinateur. Voilà ton repas, 563.
712 s'immobilisa. 563 ?!
Sa cellule devait être juste à côté de la sienne. Il attendit un peu, afin d'être sûr que l'Examinateur fussent parti, puis appela à voix basse :
— Orage ?
Pas de réponse. Pourtant, le son avait l'air de bien passer. 712 se mit à quatre pattes et inspecta le mur de gauche, songeant qu'il devait bien y a voir un trou ou quelque chose comme ça...
Bingo !
Une grille d'aération communiquait avec l'autre pièce. Le garçon en approcha sa bouche.
— Eh, Orage, tu es là ? murmura-t-il.
Il entendit quelqu'un marcher.
— 712, c'est toi ? demanda Orage tout bas.
— Oui.
— Eh bah...
— Tu n'as pas entendu qu'ils me mettaient en cellule ?
— Non, je passe mon temps à dormir. Mais qu'est-ce que tu fais ici ?
— Noise m'a piégé.
— Piégé ?
— Longue histoire.
Il y eut un silence. 712 était embarrassé. Il ne savait pas quoi dire à propos de l'aide qu'Orage lui avait fournie. Devait-il s'excuser de l'avoir sollicité ? Ou bien devait-il le remercier ? Il s'était pris un méchant coup de poing, tout de même...
— Au fait, commença Orage, je suis désolé de t'avoir frappé... Tu as eu tes antidouleurs, au moins ?
— T'inquiète, le rassura-t-il. Et puis, oui, ça a fonctionné.
712 était soulagé de ne pas avoir eu à faire le premier pas.
— Tant mieux, fit l'autre joyeusement.
— Sauf que je n'ai pas les antidouleurs ici. Ils sont au dortoir. Du coup, en ce moment, je déguste.
— Silence ! ordonna un Examinateur dans le couloir.
Les garçons se turent.
— 712 ? Tu as encore eu une vision ? chuchota Orage après quelques minutes.
— Oui... J'en ai eu une il y a quelques heures. Et je... Je pense que... Enfin, je ne sais plus quoi penser.
— Qu'est-ce que tu as vu ?
— Quelque chose de terrible.
— Vas-y, dis-moi.
— J'ai vu un enfant.
— Un... Enfant ? répéta son camarade sans masquer sa déception.
— Oui.
— Mais qu'est-ce que ça a de si terrible ?
— Tu ne comprends pas. Je n'ai pas vu un enfant dans sa Capsule. J'ai vu un enfant à l'air libre. Je pense que c'était une petite fille. Elle avait l'air vraiment jeune.
—Ouais, ça, c'est bizarre.
— C'est pire que bizarre, Orage. Enfin, réfléchis un peu ! Dès notre naissance, on nous insère dans les Capsules. On y reste plus ou moins jusqu'à l'adolescence et, ensuite, on intègre le Programme. Alors comment un enfant pourrait vivre en dehors ?
— Je n'en sais rien, moi. C'est peut-être différent pour les filles...
— On nous a toujours dit que c'était pareil pour elles.
— Bah, peut-être bien qu'on nous ment, répliqua Orage.
— C'est exactement où je veux en venir.
— Ou alors tes visions sont juste des rêves.
— Non, ce ne sont pas des rêves. Je sais faire la différence, merci ! s'emporta 712.
— Ça va, je disais ça comme ça, bougonna Orage.
À ces mots, 712 continua sur un ton plus calme :
— J'ai aussi entendu le mot "frère", dans ma vision.
— Ça, par contre, c'est possible. De vivre avec sa famille, je veux dire. Il parait qu'on peut la retrouver, à la sortie du Programme.
— Vraiment ?
— Oui... Enfin, ce n'est qu'une rumeur.
— Mais comment je pourrais savoir des choses sur ma famille ? Je ne suis encore jamais sorti du Programme.
— Toi non.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'enquit 712.
— Ce n'est peut-être pas ta vie que tu vois.
— Hein ?
— Tu es peut-être relié au cerveau d'une autre personne, suggéra Orage.
— Tu pousses un peu trop loin le délire...
— Ce n'est pas plus dingue que tes visions.
712 secoua la tête.
— En tout cas, je ne peux plus attendre pour découvrir ce qui se passe, déclara-t-il. Il faut que je sache si j'ai bel et bien eu une vie avant la Capsule. Je dois mettre la main sur les informations des Examinateurs.
— Tu veux entrer dans leurs quartiers ? s'étonna Orage.
— Exactement. Joker a accepté m'aider, mais il nous faut un plan.
— Ce n'est pas un peu risqué ?
— Rien ne t'oblige à venir.
— C'est vrai... Mais... C'est ce que font les amis, non ?
« Amis » Nul doute qu'Orage n'en avait jamais eu beaucoup.
— Oh ! Je crois que j'ai une idée. Enfin, si tu veux...
— Ouais euh... C'est quoi ce plan ? Parce que si ça inclut un second œil au beurre noir, non merci.
Orage sourit.
— Ne t'en fais pas.
*
La punition d'Orage se termina le lendemain et 712 se retrouva seul avec lui-même. Son mal de tête s'était quelque peu calmé, mais lorsqu'il fermait les yeux, il revoyait le visage de cette fillette.
Où est la vérité dans tout ça ? Où commence le mensonge ? Qui sont vraiment les Examinateurs ?
Ces questions tournaient en boucle dans son esprit, jusqu'à devenir une obsession. Ça ne pouvait plus durer. Il fallait qu'il sorte de là. Les Examinateurs avaient raison : seul dans le noir, on est piégé avec ses pensées. Mais à trop réfléchir, on devient fou.
Il entendit des voix dans le couloir. On venait sûrement lui apporter son repas.
— 712, tu es libre, annonça un Examinateur en entrant dans la pièce.
— Pour de vrai ? s'étonna le garçon.
Il se leva immédiatement de sa couchette.
— Pour de vrai, confirma l'homme. Un de tes camarades a insisté pour que nous visionnions les enregistrements des caméras de surveillance installées dans la salle de retenue et nous avons constaté que tu étais innocent dans cette affaire. Ta punition est levée.
Mouais. Enfin, je troque une prison pour une autre.
712 sortit dans le couloir. Il vit le trio anti-Orage entouré d'Examinateurs. À leur tour de goûter l'Isolement. Noise lui lança un regard plein de rage que 712 soutint sans ciller. C'est alors que le garçon songea qu'il y avait peut-être bien un peu de justice, dans ce Programme. Mais juste un peu.
*
— Tiens, un revenant ! s'enthousiasma Joker en voyant 712 entrer dans leur chambre.
— Ce Noise, quelle calamité... se plaignit Exa.
Orage, assis sur son lit, lui adressa un sourire avant de replonger son nez dans un petit carnet.
— L'un de vous a dit aux Examinateurs de regarder les vidéos de surveillance ?
Personne ne se désigna.
— Non ?
— De quoi tu parles, Éveil ? demanda Exa, perplexe.
— Éveil ? C'est son surnom ? s'informa Orage.
— Ouais. C'est moi qui l'a trouvé, précisa Joker fièrement.
— C'est moi qui l'ai trouvé, rectifia Exa.
— Si ce n'est pas vous, alors qui ? murmura 712 pour lui-même.
La cloche annonçant le dîner retentit. Le duo Joker-Exa quitta la chambre. 712 allait faire de même quand Orage lui tendit son carnet.
— C'est mon plan pour découvrir ce que nous cachent les Examinateurs. J'ai essayé d'en parler avec Joker, mais il est toujours collé à Exa.
— Je sais bien. Exa m'a dit qu'ils étaient obligés de se fréquenter, sans plus de détails.
— On ne peut pas discuter du plan avec lui. Il a une confiance totale en les Examinateurs.
— Dans ce cas, il faut trouver un moyen de les séparer.
712 jeta un œil au carnet et lu les grandes lignes du plan.
— C'est vrai que c'est risqué...
Orage prit un air sérieux.
— C'est le prix de la vérité.
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