28. Breaking News ou la vérité qui brise
— Ne faites pas attention au désordre.
C'était exactement comme dans sa vision. La pièce qu'il avait face à lui était beignée d'une lumière ocre, dans une atmosphère chaleureuse. 712 était émerveillé. Pourtant, c'était un salon tout ce qu'il y avait de plus ordinaire : un canapé brunâtre, faisait face à un écran plat de télévision, les deux objets séparés par une table basse en verre et entouré de deux étagères contenant quelques livres. En réalité, ce qui rendait l'adolescent si heureux, c'était ce sentiment de familiarité et de bien-être qu'il n'avait ressenti qu'en vision, alors qu'il était couché sur le canapé. Enfin, jusqu'à ce que... Il regarda la porte derrière laquelle il se souvenait avoir aperçu la fillette.
— Où est-elle ? demanda-t-il à la femme.
— Qui ça ?
— La petite fille...
— Elena ? Votre sœur est encore à l'école. Je dois aller la chercher tout à l'heure. Oh, d'ailleurs elle a encore laissé la télé allumée ! Je ne sais pas combien de fois je vais devoir lui dire...
Donc en disant « école » les gens ne parlent pas du Programme... Et il avait une autre sœur.
712 avait l'impression d'avoir la tête sous l'eau. Il se sentait submergé par les informations. C'était trop. Il allait se noyer.
— Pourquoi elle n'est pas au Programme ? En fait, pourquoi plein de jeunes ici n'y sont pas ? Pourquoi nous seulement ? Et où est la Société ?
Sa mère le regarda tristement. Pendant quelques secondes, il contempla son visage. Ils se ressemblaient ; ils avaient des traits en commun, le même vert colorant leurs iris...
— Alors vous ne vous souvenez vraiment de rien ? demanda-t-elle.
— Écoutez, dit Exa, manifestement, on nous a effacé la mémoire. Si vous pouviez nous dire ce que vous savez, ce serait bien.
Il avait l'air énervé, mais tous l'étaient. Les évènements n'avaient de sens pour aucun d'entre eux.
Leur hôte soupira.
— Très bien. Si vous insistez... Mais ça ne va pas vous plaire. Et quand je vous aurai raconté...
Elle sembla chercher ses mots, puis les prononça visiblement à contre-cœur :
— Il vous faudra vous rendre.
712 sentit son cœur s'écraser dans sa poitrine.
— Nous rendre ? s'indigna Joker.
— Asseyez-vous. Je vais vous faire un thé. Vous aimez le thé, pas vrai ?
Elle jeta un œil à sa fille avec un mélange de joie et de confusion, encore sous le choc de la voir en vie, puis disparu dans la pièce d'à côté.
Joker s'affala dans le canapé qui couina bizarrement sous son poids.
— J'ai pas pété, hein.
Cendre leva les yeux au ciel tandis qu'elle et Exa prenaient place à côté de lui. Les autres s'assirent parterre.
La télévision était allumée sur une chaîne de dessin animé. Le roux attrapa une télécommande qui traînait sur la table de verre. 712 fronça les sourcils.
— Tu fais quoi ?
— C'est comme avec les télés du Programme, non ?
Il appuya sur un bouton et la chaîne changea. Ce n'était pas comme dans leur internat. Là-bas, ils n'avaient pas la télé de distribution.
— C'est quoi ça ?
« Les fourmis sont des animaux très intelligents... » disait la voix off. Des images de l'insecte défilaient à l'écran.
— C'est vraiment le moment de regarder un documentaire... ironisa 712.
Joker haussa les épaules.
— C'est pas trop le moment de boire du thé non plus, m'enfin personne n'a rien dit à la mama.
712 eut envie de l'étrangler.
— Donne-moi ça.
Il prit la télécommande mais au lieu d'appuyer sur le bon bouton off comme il en avait l'intention, il changea de chaîne.
— Comment on l'éteint ?
— Attends, s'exclama Orage.
Un présentateur derrière un bureau débitait son discours.
« [...] désastre. Hier soir, vers 21 heures, cinq adolescents se sont enfuit du Programme dont l'emplacement exact des bâtiments est aujourd'hui encore tenu au secret confidentiel par les autorités. C'est une première pour ce lieu dont la haute surveillance avait été renforcée encore ces dernières années suite à diverses tentatives d'évasions, dont la plus tragiques concernaient le bâtiment abritant les pensionnaires de sexe féminin. »
On vit une vidéo du bâtiment en feu. Cendre écarquilla les yeux. Une photo d'elle apparu à l'écran. Elle tenait dans la main une pancarte avec son numéro.
Joker se redressa sur le canapé.
— C'est quoi c'bordel ?
— Chut ! intima 712.
« [...] principale responsable de cet incendie. Contrairement aux déclarations qui avait été faites par le directeur du Programme, la jeune fille serait donc bien en vie et ferait aujourd'hui partie du groupe de fugitifs. »
Cette fois, ce fut sa tête que 712 vit à l'écran, au côté de celles des autres. Il ne se rappelait pas du tout avoir pris cette photo. Dessus, il avait l'air sérieux, mais triste. Terriblement triste. C'était pareil pour les autres.
Le visage d'Orage apparut en grand.
— Les gars... Je crois que je commence à comprendre, dit-il, la voix tremblante.
« [...] trois ans de cela. Suite à une dispute, le champion régional de karaté avait violemment agressé un élève de son école, le poussant ensuite dans les escaliers. La chute de ce dernier l'avait gravement blessé. »
712 aussi, commençait à comprendre. Son cœur battait à toute vitesse. Il pouvait l'entendre. Ce n'était plus un organe, c'était un tambour, comme ceux sur lesquels on s'imagine taper lorsqu'on veut marquer un suspense. Mais d'habitude, on est pressé de savoir. Cette fois, 712 voulait juste que le roulement de tambour continue sans rien révéler.
Vint le tour de Joker. Le journaliste leur appris dans son monologue monotone que l'adolescent fréquentait un gang dont les membres vendaient des substances illicites à des collégiens. Le rouquin les aidait à trouver des clients.
L'homme continuait, débitant ses paroles sans émotions, détruisant calmement tout ce que 712 avait cru savoir des autres et de lui-même. Il sentit la peur lui dessécher la gorge quand sa propre photo fut agrandie à l'écran. Qu'avait-il fait ? Qui était-t-il ? Un tueur ? Un dealeur ? Il essayait tant bien que mal de se remémorer ses visions, à la recherche d'un indice... Mais plus rien ne venait. C'était comme si son cerveau ne répondait plus. Tout était noir en lui. Il vit son reflet dans l'écran de la télévision.
Exa se leva.
— Qu'est-ce que tu fiches ? s'écria-t-il. Rallume !
Il rejoignit Cendre à l'autre bout de la pièce. 712 ne l'avait même pas vue s'éloigner. Elle tenait la télécommande, la main tremblante.
— Hors de question.
— Fais ce qu'il dit, s'il te plait, dit calmement 712.
Il fut surpris de voir qu'il pouvait encore parler.
— Mais...
Il lui lança un regard glacial.
— S'il te plait.
La jeune fille ralluma et ferma les yeux.
« [...] pour vol en bijouterie, avec l'aide de quelques camarades de classes dont il avait refusé de fournir les noms. »
En entendant ça, des flashs vinrent à l'esprit de 712. Il se focalisa dessus, oubliant les dires du journaliste.
Cendre, sa sœur, gravement brûlée après avoir incendié la maison de la fille qui la martyrisait à l'école.
Cendre poursuivie en justice.
Cendre emmenée au Programme.
Le dédommagement que leur mère devait aux victimes, les faisant crouler sous les dettes.
Lui, enchaînant les petits boulots pour aider sa famille, mais ne sachant les garder à cause de la réputation que Cendre leur avait laissée.
Dans sa classe, un groupe d'amis acceptant de participer au vol d'une petite bijouterie de son quartier.
Lui, essayant de se déculpabiliser : « Arrête, ce n'est pas vraiment du vol, ils n'en ont pas spécialement besoin ».
La main dans sa poche, un collier en or.
La police...
L'écran de télévision lui parut flou et lorsqu'il cligna des yeux, il comprit qu'ils étaient emplis de larmes.
On avait zoomé sur le visage d'Exa.
« [...] l'adolescent avait assassiné toute sa famille quelques années auparavant. Malgré les protestations de la population, et plus particulièrement des familles des Déséquilibrés craignant pour la sécurité de leurs enfants, il avait été décider qu'il intégrerait le Programme. Rappelons que ce dernier se base sur le postulat que les souvenirs font de nous ce que nous sommes et qu'en effaçant ceux des jeunes criminels, ils peuvent adopter une nouvelle personnalité, plus seine, et reprendre la vie normalement. Le Programme et le certificat d'Équilibre qui se trouve à la clef sont des éléments qui, jusqu'à présent, ont remplacé les maisons de correction traditionnelles. Voici maintenant le portrait de ces jeunes qui ont réussi à se réinsérer correctement dans la société grâce au Programme. Un reportage d'Anissa Benaissa et de Camille Lejeune. »
Cette fois, ce fut la mère de 712 qui intervint. Elle pausa son plateau encombré de tasses de thé fumant et éteignit la télévision.
Exa recula, terrifié. Déjà, des larmes roulaient le long de son beau visage.
— Tout est de ma faute...Tout est de ma faute !
Les autres se tournèrent vers lui.
— Mec, commença Joker. Essaie de garder ton...
— Ils sont morts ! l'interrompit Exa dans un cri qui se répercuta contre les murs de la pièce.
Un silence pesant suivit. Puis vint la terrible, l'écrasante culpabilité.
Ils avaient fait de mal à tant de personne pour arriver là ; attaqué tant d'Examinateurs qui ne faisaient que leur travail : celui de garder une bande de Déséquilibrés. Ils avaient risqué les vies de leurs camarades, leur promettant justice et liberté.
Ils croyaient être victimes, ils étaient les criminels.
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