24. Trahisons

  712 fixait le plafond de sa chambre. Avec Noise et Joker, ils avaient passé toute l'après-midi à élaborer un plan et celui-ci se répétait en boucle dans son esprit, l'empêchant de dormir.

  Il se redressa pour observer Exa qui, planté devant la fenêtre, fixait un point à l'horizon, et ce depuis un long moment déjà. La lumière de la lune se déposait sur son visage délicat, mais il arborait une expression des plus sombres. Il ne leur avait pas vraiment parlé depuis son retour, et n'avait pas non plus partagé son ressenti quant à leur projet de révolte.

  712 quitta son lit et s'approcha de lui.

  — Ça ne va pas ? chuchota-t-il.

  — Si.

  Son ami lui avait répondu sans quitter la fenêtre du regard.

  — C'est le plan de demain qui te stresse ?

  Enfin, il tourna lentement les yeux vers lui.

  — Disons que vous ne m'avez pas donné la tâche la plus simple. En plus de ça, je croyais que je devais récupérer la confiance des Examinateurs pour vérifier en quoi consistait le Programme avant de lancer un projet aussi énorme qu'une révolte.

  712 acquiesça.

  — C'est vrai. Mais cet endroit est dangereux. Il n'y a plus de temps à perdre. C'est aussi la meilleure option pour toi... Tu sais bien, à cause du peu de jours qu'il te reste...

  — Ne parle pas de ça, marmonna-t-il.

  Tout ce cinéma autours du sujet commençait à taper sur les nerfs de 712.

  — Qu'est-ce qu'il y de si gênant à en parler, à la fin ?

  Exa soupira.

  — Je vais te confier quelque chose que j'ai observé, 712 : en général, les Déséquilibrés ne font pas beaucoup d'efforts pour avoir l'Équilibre. Ils pensent que si un jour ils le veulent, ils l'auront facilement. Alors ils attendent jusqu'à ce qu'ils soient un peu juste niveau temps et puis ils se rendent compte que l'Équilibre est hors de leur portée. Et c'est ce qui rend la chose aussi gênante : tout le monde croit que c'est facile d'obtenir l'Équilibre une fois qu'on le veut, alors ceux qui n'y arrivent pas sont vus comme des incapables. On évite donc de parler du temps restant, parce que le jour où il n'en reste plus beaucoup, tout le monde s'attend à ce qu'on s'arrange pour être diplômé.

  — Et toi, pourquoi tu es encore là ? Tu as aussi trop attendu avant de vraiment essayer de l'avoir ?

  — Oui et non... Je ne sais pas si je l'aurais obtenu en m'y mettant plus tôt, de toute manière.

  — Pourquoi ?

  — Il y a une faille dans le Programme. Je pense que personne ne peut changer profondément sans que ce ne soit un choix qui entièrement volontaire, avec l'envie d'être meilleur. La plupart d'entre nous se force à améliorer ses qualités et ses défauts sans même chercher le sens de tout ça. Il ne s'agit pas de pourcentages, au fond. Il s'agit de nous, de ce que l'on est.

  712 hocha la tête sans grande conviction. Quelques secondes passèrent. Exa le toisait, à présent. Son air devint suspicieux.

  — Pourquoi tu me regardes comme ça tout à coup ?

  — Comment ?

  — Comme si tu doutais de moi.

  L'autre reporta son attention sur l'extérieur.

  — Ecoute-moi bien, 712. On te fait tous confiance ici. Mais après tout, personne ne peut vérifier que tu as bien des visions.

  — Tu penses que je mens ?

  Exa haussa les épaules.

  — Je dis juste que tu as intérêt à dire la vérité, parce qu'on risque gros. On ne sait même pas ce qu'il y a au-delà de la « Muraille » dont vous avez parlé. J'espère que tu sais ce que tu fais. Parfois, j'ai l'impression que...

  — Que ?

  — Que tu fais des choix inconsidérés, voilà. Ramener la fille, c'était une mauvaise idée. En plus, tu as utilisé mon numéro...

  712 roula des yeux.

  — Alors c'est ça qui t'a dérangé ? Il fallait le dire plus tôt.

  — Pas seulement ça.

  Il regarda en direction d'Orage qui dormait à poings fermés.

  — Tu lui as dit ?

  712 fit non de la tête.

  — Mais je suis sûr qu'il s'en sortira très bien.

  Exa pinça les lèvres avant de déclarer :

  — Tu vois, pour ça, le Programme n'est pas une si mauvaise chose.

  712 l'interrogea du regard.

  — Il nous permet de faire des efforts d'empathie les uns envers les autres. Je pense que ça ne te ferait pas de mal.

  C'est une blague ? J'ai un plus haut pourcentage que lui...

  Exa lui tourna le dos pour rejoindre son lit.

  — Je me demande comment tu réagirais si c'était toi qu'on manipulait, lâcha-t-il entre ses dents.

  Mal à l'aise, 712 fixa à son tour le paysage qu'offrait l'unique fenêtre de la pièce.

  Je suis vraiment si mauvais ?

*

  Le lendemain, un message circula entre les Déséquilibrés par bouche-à-oreille.

  — Il faudra convaincre tout le monde de se rendre dans le quartier des Examinateurs en début de soirée, avait dit 712.

  Noise avait eu l'air perplexe.

  — Pourquoi en début de soirée ?

  — C'est l'heure où les Examinateurs sont les moins attentifs. Ils viennent de manger, sont fatigués de leur journée...

  — Mais on risque de quitter le bâtiment en pleine nuit...

  — Eh bien oui ! Ce sera plus difficile pour eux de nous poursuivre puisqu'il fera sombre.

  Bien que l'information fût censée circuler au sein de l'ensemble de ses camarades, 712 craignait que les plus jeunes d'entre eux ne manquent de discrétion. Alors, il avait été décidé que seuls les aînés seraient mis au courant et que ceux-ci devraient guider les autres en temps voulu. Les Agents Spéciaux, cependant, resteraient dans l'ignorance jusqu'au dernier moment. Exa essaierait de les convaincre quand la révolte serait déjà lancée.

  La journée parut longue pour tout le monde. À table, on parlait peu, voire pas du tout, et l'on se jetait des regards inquiets.

  — Orage, dit soudain 712.

  Depuis tout à l'heure, son ami déplaçait distraitement ses aliments avec une fourchette sans pour autant mettre quoique ce soit dans sa bouche.

  — Quoi ?

  — Quand le moment sera venu, j'aimerais que tu viennes avec moi pour... (Sa voix se fit murmure.) Pour aller chercher Cendre.

  — Euh, d'accord.

  — J'peux venir aussi, si tu veux, dit Joker.

  — Non, à deux on sera bien assez.

  Le roux ne parut pas convaincu, mais haussa les épaules.

  — Si tu le dis.

  Avant la fin du repas, Exa vint les rejoindre à leur table. Joker esquissa un sourire narquois.

  — Ah tiens ! Te voilà ! Ça t'fait trop bizarre d'être loin de moi depuis qu'on n'a plus cette connexion avec les colliers, c'est ça ?

  Exa leva les yeux au ciel.

  — Mais bien sûr... Bref, je viens pour vous dire que, pour l'instant, tout se passe comme prévu. Les Examinateurs ne se doutent de rien.

  — Super, marmonna 712 en évitant son regard.

  Il lui en voulait pour ce qu'il avait dit la veille. Exa dut le sentir, car il s'éloigna sans rien ajouter. Joker haussa un sourcil, confus.

  — C'est tendu entre vous ?

  — Non, répondit-il sur un ton bourru.

  Ses deux amis échangèrent un regard mais ne cherchèrent pas à en savoir plus.

*

  712 et les autres se rendirent au dortoir une quinzaine de minutes avant que l'horloge ne sonne 20 heures. Si les Déséquilibrés se trouvaient un peu partout dans le bâtiment, tous savaient que 10 minutes plus tard, il faudrait se rendre en courant dans le quartier des Examinateurs et confisquer leurs armes. Ils étaient persuadés qu'ils auraient l'avantage de la surprise et du nombre.

  — Ce n'est quand même pas très réfléchi, releva Orage.

  712 lui accorda, mais ils n'avaient pas eu beaucoup de temps pour mettre le plan en place. Depuis sa vision, il ne voulait qu'une chose : partir le plus vite possible.

  Joker, comme beaucoup d'autres dans la salle commune du dortoir, avait les yeux rivés sur sa montre, observant le clignotement incessant des deux points séparant les heures des minutes et battant la mesure des secondes.

  Quand la montre afficha « 19 : 59 », les garçons se dirigèrent vers la porte. Alors que 712 atteignait le couloir, quelqu'un cria : « 20 heures ! », et tous se mirent à courir. Un problème surgit : certains avançaient plus lentement que d'autres, ce qui provoqua bousculades et disputes. Bientôt, des Examinateurs arrivèrent, l'air sous le choc.

  — Qu'est-ce qu'il se passe ? Que tout le monde se calme !

  Des Déséquilibrés se mirent à plusieurs pour tenter de prendre les armes qu'ils pointaient sur eux. On entendit des bruits de tir et 712 vit quelques-uns de ses camarades au sol, se tortillant de douleur. Certains de ceux qui se ruaient encore dans le couloir trébuchèrent sur leurs corps ou les piétinèrent. 712 fut poussé vers l'avant par la masse de personnes se trouvant derrière lui.

  — C'est un carnage, lui cria Orage par-dessus les bruits de l'émeute.

  712 fit la grimace.

  — Je l'ai !

  Un Déséquilibré avait réussi à s'emparer d'une arme et la pointa vers un Examinateur, déjà attaqués de toute part. 712 ouvrit la bouche en voyant qu'il visait la tête. Il est fou ! Mais avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit, le garçon avait déjà tirer et l'homme tomba sur le sol, la tête à moitié brûlée par le liquide bleuâtre.

  712 détourna les yeux à la vue de cette scène cauchemardesque. Qu'est-ce que je viens de déclencher ? Il y avait une chose à laquelle il n'avait pas pensé : les Déséquilibrés portaient assez bien leur nom. Si le Programme ne lui semblait pas sûr, il était certain que ses camarades étaient eux aussi dangereux, en tout cas pour la plupart. N'était-ce pas bien pour cela qu'ils n'obtenaient jamais l'Équilibre ?

  Il continua d'avancer, enjambant quelques corps tant bien que mal et essayant de chasser les pensées lui hurlant toute la responsabilité qu'il avait dans ce désastre. Il avait l'impression qu'il comprenait Cendre, à présent. Cendre. Il regarda autour de lui et repéra Orage à quelques mètres.

  — Viens, dit-il en lui attrapant le bras.

  Il le tira dans un couloir opposé à celui dans lequel s'engouffraient les autres.

  — On doit aller chercher Cendre.

  Ils avancèrent en silence vers le lieu de l'Isolement. Aucun Examinateur ne rôdait. Ils devaient tous être en train d'essayer de maîtriser la révolte.

  — Je suis content qu'on ne les suive pas, dit soudain Orage, ma jambe me fait super mal... Je ne sais pas si j'aurais pu continuer d'avancer à ce rythme...

  712 baissa les yeux vers le mollet de son ami. C'est vrai qu'il est blessé, j'avais oublié ce détail... Il s'arrêta en plein milieu du couloir.

  — Tu sais quoi ? Finalement, tu devrais me laisser y aller seul et retourner avec les autres.

  — Quoi ?

  — Ou alors retourner au dortoir, le temps que ce soit finit.

  — Qu'est-ce que tu racontes, Éveil ?

  Orage désigna le bout du couloir.

  — Allons au moins chercher Cendre avant, on est tout près...

  712 le suivi, bien que son anxiété ne fît qu'accroître à mesure qu'ils approchaient de la porte menant à l'Isolement. Ils la trouvèrent ouverte.

  — Tiens ? Les Examinateurs ont peut-être oublié de la fermer en partant ?

  Je n'aurais pas dû faire ça, se reprocha 712, trop préoccupé pour répondre à son ami. Ils pénétrèrent dans le couloir sombre dévoilant des rangées de cellules.

  — Cendre ? appela Orage.

  Une exclamation de surprise lui échappa lorsqu'il perçu le mouvement d'une silhouette au fond du couloir.

  — Merci de me l'avoir amené, 712.

  Les garçons reconnurent tout de suite cette voix.

  — Noise ?

  Orage fronça les sourcils, pris au dépourvu. 712 décida de prendre les devants.

  — Écoute Noise, je sais que j'avais dit que vous pourriez vous battre, mais finalement je ne pense pas que ce soit vraiment le moment.

  — Ah ? Mais, de toutes façons, j'ai un meilleur marché à te proposer...

  La forme massive de Noise se rapprocha d'eux et, bientôt, les deux autres virent qu'ils n'étaient pas seul. D'une main, il serrait le poignet de sa victime et, de l'autre, il tenait un couteau qu'il menaçait de presser contre son cou.

  — Vous allez me laisser la fille.

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