23. Visions ou rêves ?
La scène était familière. Pas parce que 712 avait déjà expérimenté ce genre de vision auparavant, mais parce qu'il était certain de bien connaître l'endroit que lui dévoilait son esprit. Il se trouvait assis sur le toit d'un immeuble, les yeux rivés sur les lumières d'une mégapole dont il avait oublié le nom. Les rues en contrebas étaient bruyantes ; des véhicules jouaient de leurs klaxons comme s'il s'était agi d'instruments de musique. Les yeux du garçon se fermèrent. Il écouta, écouta encore. Pour une fois, il n'essaya pas de comprendre sa vision. Il en avait assez de lutter. Alors, il la laissa le guider.
Il y avait quelqu'un a ses côtés, il le savait. Pas parce qu'il l'avait vu, mais parce qu'il savait qu'il ne se rendait jamais là seul. C'est un endroit qu'il partageait, qui n'avait de signification qu'à deux. Il rouvrit les yeux et s'entendit parler :
— Ils vont te trouver.
Il ne regardait toujours pas la personne à qui il s'adressait, et cette dernière ne répondit pas.
— Laisse-les t'emmener. Les fuir rendra les choses encore plus compliquées. Je viendrai te chercher, lâcha-t-il dans un soupire.
— Hors de question.
C'était une voix féminine. Bien sûr, il l'avait déjà entendue, sauf qu'il n'était pas sûr de reconnaître sa propriétaire. Impossible.
Sa tête daigna enfin se tourner vers son interlocutrice :
— C'est trop dangereux. Il faut que tu survives, dit-elle.
Cendre.
*
712 ouvrit les yeux. Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu'il venait vraiment de voir Cendre ? Elle lui était apparue le visage à moitié entouré de bandages... Pourquoi ? Et est-ce que ça signifiait qu'il la connaissait avant le Programme ? Ou est-ce que tout ça n'était qu'un rêve ?
Il se redressa et remarque qu'il était allongé sur un des lits de l'infirmerie. Encore. Son regard croisa celui de Joker.
— Ça va ?
— Moi ? Oui... Ce n'est pas comme si je venais de m'évanouir.
Il s'attendait à ce que Joker entre dans son jeu de sarcasme, mais il resta silencieux. Il avait l'air préoccupé, ce qui était plutôt étrange venant de lui.
— Je vais bien, voulu le rassurer 712.
— Elle montrait quoi, ta vision ?
712 se frotta l'arrière du crâne. Devait-il lui dire la vérité ?
— Je t'expliquerai plus tard. Là, il faut vraiment que je parle à Cendre.
— Ah.
L'expression du rouquin laissait toujours paraître sa gêne.
— Il y a un problème ?
— Non...
— Si. Qu'est-ce qu'il y a ?
— Pendant qu'tu dormais...
Il marqua une pause et regarda autour de lui, s'assurant qu'on ne les écoutait pas.
— Les Examinateurs ont emmené Cendre.
712 se mis debout. Lorsque ses pieds nus touchèrent le sol, il fut pris de vertiges et se rassit aussitôt.
— Doucement ! Mec, calme-toi...
— Où est-ce qu'ils l'ont emmenée ?
— Ils l'ont mise en Isolement, mais Orage les a entendu dire qu'ils la f'ront sortir du Programme demain.
712 serra les poings. Il faut vraiment que je lui parle. Peut-être qu'elle m'a déjà vu dans ses visions, elle aussi.
— Quand Exa est revenu, ils ont compris qu'un intru avait utilisé son numéro. Ils l'ont cherchée partout et... Bah, ils l'ont trouvée. D'ailleurs, Silence aussi est en Isolement, puisqu'il la cachait... Oh, tu aurais dû voir la tête des autres quand ils ont vu qu'une fille était dans le dortoir, c'était hilar-
712 ne l'écoutait plus. Il se sentait mal pour Silence, mais pour l'heure Cendre se plaçait en haut de la liste de ses préoccupations. Il fallait qu'il trouve un moyen de la sortir de là. Il interrompit Joker dans son monologue :
— Ils vont la conduire au Programme des filles ? Il existe encore, pas vrai ? Le bâtiment, à côté...
Joker haussa les épaules en signe d'ignorance.
— On ne peut pas laisser faire ça !
À voix basse, son ami le conseilla de baisser d'un ton. Des infirmiers allaient et venaient non loin d'eux.
— Qu'est-ce'tu veux faire ? ajouta-t-il.
Toute cette histoire commençait vraiment à rendre 712 fou. Il voulait lui aussi quitter le Programme. Cependant, s'il devait partir, ce ne serait pas à la manière des Examinateurs.
— Il faut qu'on se tire tous d'ici. Cet endroit est dangereux, quelqu'un me l'a dit dans ma vision...
Enfin, si c'était bien une vision, et non un rêve, étant donné l'étrange apparition de Cendre. Mais il se garda bien de le dire.
— Quelqu'un ?
712 hocha la tête, sans donner plus de détails.
— C'est bien beau d'dire ça, mais tu veux qu'on s'y prenne comment ?
— En ralliant les autres à notre cause. En déclenchant une révolte.
— Arrête, personne n'voudra nous suivre.
— Pas si on sait s'entourer des bonnes personnes. De personnes qui savent imposer leur loi.
L'adolescent se leva à nouveau, cette fois en se tenant au mur, pour ne pas que les vertiges reviennent. Joker plissa les yeux.
— Tu n'penses quand même pas à...
— Si. Il nous faut l'aide de Noise.
Il s'avança vers l'entrée de l'infirmerie, mais Joker le retint par le bras.
— Qu'est-ce qui t'prends, Éveil ? T'as grillé un neurone ou quoi ? Jamais Noise n'acceptera de nous donner un coup de main !
— Je dois essayer. Si on n'a pas son aide, ça ratera. Et on veut tous la même chose : partir d'ici.
Joker fit la moue.
— Quoi ?
— Rien.
712 se rappela soudain que Joker ne voulait pas obtenir l'Équilibre, et par conséquent, n'avait jamais eu en tête de partir. Il voulait attendre que son temps soit écoulé, persuadé de retrouver son meilleur ami Smile.
— Il faut qu'on parte, Joker, dit-il en le prenant par les épaules. On ne trouvera pas de réponse ici, et cet endroit n'est pas sûr. D'après ce que j'ai compris, ces gens qui nous ont amené dans le Programme l'ont fait contre notre gré, après nous avoir traqués. Qui sait ce qu'ils comptent faire de nous...
Joker hésita mais finit par accepter, non sans lâcher un long soupire. Ils se dirigeaient vers le couloir quand un infirmier les arrêta.
— 712, déjà debout ? Tu peux encore te reposer un peu ici, si tu le souhaites.
— Ça ira, répondit-il sèchement.
Une haine profonde envers tout membre du personnel du Programme commençait à prendre possession de lui.
*
— Au fait, lança Joker tandis qu'ils entraient dans leur dortoir, on est puni.
— Pour quoi cette fois ?
— À cause de ton plan avec Exa. J'pense qu'il a plus ou moins regagné la confiance des Examinateurs en nous accusant d'l'avoir laissé seul, mais du coup on a encore des heures de retenue. En plus, quelqu'chose me dit qu'ils vont finir par découvrir qu'c'est nous qui nous sommes battus avec certains des leurs près de la Muraille... On risque vraiment gros.
— Raison de plus pour se tirer d'ici. Où est Orage ?
— Il s'repose... Sa brûlure lui faisait mal et il ne pouvait pas aller se plaindre à l'infirmerie... Ils auraient posé des questions...
712 hocha la tête.
— De toutes façons, Noise le déteste, alors mieux vaut ne pas aller avec lui pour parler...
Les deux garçons se rendirent devant la porte de la brute et 712 frappa. Ils attendirent, mais personnes ne vint leur ouvrir.
— C'est moi que vous cherchez ?
Surpris, ils se retournèrent pour voir Noise qui les toisait, bras croisés.
— Qu'est-ce que vous fichez ici ?
— On peut te parler ?
Derrière Noise, ses deux acolytes les foudroyaient du regard.
— En privé, ajouta 712 en leur rendant la pareille.
Noise demanda à ses amis de partir et fit signe aux autres de le suivre dans sa chambre. Elle ressemblait à la leur, si ce n'est qu'il y régnait une épouvantable odeur de transpiration.
Leur hôte ferma la porte derrière lui et les observa sans leur proposer de s'asseoir.
— Bon, crachez le morceau, j'n'ai pas que ça à faire.
712, pressé de lancer sa révolte, alla droit au but :
— On a besoin de ton aide.
Au départ, le visage de Noise resta impassible, puis il s'esclaffa, un rire bruyant et sincère. Ce son parut étrange aux oreilles de 712. Il fronça les sourcils, tandis qu'à côté de lui Joker serra les poings.
— Je suis sérieux, ajouta le brun avant que son ami ne s'emporte.
Noise cessa de rire et haussa un sourcil.
— Dans vos rêves. Maintenant, tirez-vous.
— Attends ! Ça pourrait vraiment t'intéresser.
— Ça m'étonnerait.
— Mettre fin au Programme, ça te dit ?
Noise les dévisagea tour à tour.
— Vous, vous voulez mettre fin au Programme ?
— Ouais, qu'est-ce t'as pas compris ? s'énerva Joker.
712 leva la main dans un geste d'apaisement tout en lançant un regard significatif au rouquin. Puis il se tourna à nouveau vers Noise.
— On a besoin de ton aide pour rallier les autres et créer un genre de... révolte.
— Ah, je viens de comprendre. Ç'a un lien avec tes soi-disant visions, c'est ça ?
712 se figea.
— Quoi ? Comment tu sais pour les visions ?
— Je t'ai entendu en parler avec Exa l'autre jour, dans les toilettes.
— Oh...
Bon, autant tout lui dire.
— Eh bien oui, c'est ça. Mes visions m'ont montré que-
Je n'ai pas dit que je te croyais, nourrisson.
712 serra les dents.
— Très bien, oublie les visions. Qu'est-ce que tu veux ?
Noise sourit.
— Si on fait cette petite révolte, je veux que vous m'obéissiez aux doigts et à l'œil. Vous serez de gentils toutous.
Joker fit un pas un avant.
— Qui tu traites de toutous ?
Noise rit à nouveau, d'un rire mauvais, cette fois.
— Marché conclu, dit 712.
De toutes façons, une fois sortis d'ici, on sera débarrassé de toi.
Joker écarquilla les yeux devant la réponse de son ami.
— T'es timbré ou quoi ?
Mais 712 l'ignora. Il tendit la main pour celer un pacte avec le plus cruel des Déséquilibrés. Ce dernier la regarda sans bouger, puis la serra.
— Ah, et Orage...
712 eut un mouvement de recul, mais Noise ne lâcha pas sa main.
— Quoi Orage ?
— Je veux que vous me laissiez lui rendre la monnaie de sa pièce.
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