21. Les incendiaires

  

  712 s'attendait à ce qu'à tout moment la jeune fille éclate de rire et leur assure qu'il s'agissait d'une blague de mauvais goût. Mais elle n'en fit rien. Lentement, elle se détourna d'eux pour fermer son sac et le remettre sur son dos.

  Joker fut le premier à briser le terrible silence qui venait de s'imposer et 712 l'en remercia mentalement.

  — Tu as tués des centaines de filles à toi toute seule ?

  Le roux grimaça devant l'air triste de Cendre. Elle soupira.

  — C'est moi qui ai déclenché l'incendie. J'ai toujours aimé le feu, malgré ce qu'il m'avait fait. J'étais fascinée. J'avais volé un briquet en cuisine, un jour. Je voulais voir de plus près ce qui pouvait rendre une vie si misérable... Une flamme. Puis, j'ai voulu me venger. Je voulais me venger du Programme. Je voulais le brûler comme il m'avait brûlée. Alors, pendant la révolte, j'ai mis le feu à des rideaux, des meubles et un tas d'autres trucs.

  Elle s'arrêta, probablement parce que sa voix commençait à trembler. Ses yeux brillaient dans la pénombre de la pièce, retenant désespérément les larmes qui s'accumulaient au coin de ses paupières.

  — L'incendie a pris une ampleur démesurée. Je voulais abîmer le bâtiment, le matériel, les Comportomètres, mais pas blesser les Examinatrices, et encore moins les Déséquilibrées.

  712 sentait sa gorge se dessécher, et il ne savait pas bien si c'était à cause de la poussière qui s'y engouffrait ou de l'émotion qui le prenait.

  — Quelque chose a explosé, poursuivit la jeune fille. Beaucoup sont mortes dans l'explosion ou d'asphyxie. J'ai vu le corps sans vie de filles qui m'avaient humiliée, mais aussi d'autres que je ne connaissais pas. Je me suis enfuie dans la forêt et quand je suis revenue, des jours après, il n'y avait plus personne.

  — Elles ne sont peut-être pas toutes mortes, avança doucement 712. Il y a un immeuble près du nôtre. On raconte que les filles y sont.

  Cendre baissa la tête.

  — J'espère, murmura-t-elle.

  Elle passa entre les garçons et disparu dans le couloir sans rien ajouter.

  Joker laissa échapper un long soupire.

  — Je savais qu'elle était tarée, mais à ce point...

  — C'est toi qui dis ça ?

  Le roux esquissa un sourire en coin.

  — T'as raison.

  712 désigna la porte.

  — Allons-y.

*

  Orage serra les dents.

  — Ne bouge pas, l'intima Cendre tandis qu'assise parterre elle appliquait une pommade spéciale sur sa brûlure. C'est superficiel. Normalement ça ne laissera pas de cicatrice.

  — Quelle chochotte.

  — Joker, je t'assure que si j'étais debout en ce moment, tu n'aurais plus de dent pour articuler "chochotte" correctement.

  712, toujours pas habitué à un Orage "menaçant", contint son rire avec difficulté. La jeune fille leva les yeux au ciel.

  — Quand j'aurai fini, on pourra manger ce que j'ai récupéré.

  — Au fait, on ne s'est toujours pas présentés, réalisa soudain 712. Je suis Éveil, lui c'est Orage et lui Joker.

  — J'avais cru comprendre.

  Une voix plaintive s'éleva :

  — Il n'y a pas grand-chose...

  Joker avait déjà ouvert le sac de provision et fouillait dedans, deux barres de céréales à la main.

  — Tu pourrais attendre ! s'indigna 712.

  — Non, j'ai la dalle. Et t'as vu c'qu'on a vécu ? J'mérite bien ça.

  Cendre termina le bandage d'Orage.

  — Et voilà !

  Le garçon sourit.

  — Merci.

  — Bon, à table, chantonna Joker.

  Cendre reprit son sac et distribua divers aliments aux garçons, ainsi que des bouteilles d'eau. 712 laissa avec joie le liquide glisser sur sa gorge sèche. N''ayant presque plus rien dans sa gourde, il s'était retenu de boire pendant un moment.

  — Tu ne manges pas ? demanda Orage à Cendre.

  La jeune fille secoua la tête.

  — C'est à cause de ta cicatrice ? lança Joker. Tu n'veux pas enlever ton foulard ?

  Monsieur tact, le retour. Embarrassée, Cendre fixa son regard sur ses chaussures. C'est vrai qu'elle avait failli manger en leur présence, lorsqu'ils étaient dans la grotte, mais elle devait les croire endormis. A présent qu'ils étaient là, bien éveillés devant elle, c'était différent.

  — Regarde, dit Orage, j'ai aussi une cicatrice.

  Il baissa un peu le col de son uniforme pour dévoiler les vestiges d'une blessure profonde, un peu en dessous de sa clavicule et disparaissant derrière le tissu de sa chemise.

  — Elle est très longue, elle descend jusque mes côtes. Ce n'est pas franchement beau à voir.

  — Au moins, ce n'est pas sur ton visage, remarqua Cendre.

  — Non, mais c'était impossible de cacher ça aux cours de natation.

  — Tu t'es fait ça comment ? s'enquit 712.

  Orage passa une main dans ses cheveux noirs, visiblement mal à l'aise.

  — C'est Noise qui m'a fait ça, lâcha-t-il. Avec un couteau.

  Joker écarquilla les yeux.

  — Quoi ? Mais tout le monde dit que t-

  — Que je me suis blessé pour passer des jours à l'infirmerie et pouvoir manquer les cours ? Je sais ce qu'on dit. Mais à quoi ça servirait que je dise la vérité ? Noise m'aurait haï encore plus s'il avait été puni pour ça, et je ne voulais plus qu'il me harcèle...

  Après un court silence durant lequel 712 mordit bruyamment dans un biscuit, Orage repris, s'adressant à Cendre avec un sourire réconfortant.

  — N'aie pas peur que l'on voie tes cicatrices. Elles ne doivent pas te faire honte ou te rappeler de mauvais souvenirs. Elles sont la preuve que tu as souffert, mais surtout que tu as survécu. Tout le monde ne peut pas se vanter d'être un survivant, pas vrai ?

  Ces mots semblèrent parler à la jeune fille, car elle porta lentement une main à son foulard et l'abaissa, laissant enfin son visage à découvert.

  — Bon, mangez, marmonna-t-elle, gênée que les autres l'observent.

  Ils s'exécutèrent, manifestement ravis que la jeune fille en fasse de même.

*

  — Je vais vous ramener au Programme, déclara Cendre en se levant.

  Les autres la regardèrent, déconcertés. Elle continua :

  — Ils doivent déjà être en train de vous chercher. Il est possible que vous ayez des problèmes, vu que vous avez assommés deux gardes tout à l'heure.

  — Ils vont encore nous retirer des jours de Programme, pesta Joker en portant machinalement la main à sa montre, laquelle renfermait le fameux compte à rebours.

  712 soupira.

  — Elle a raison. On n'a nulle part où aller, de toute façon.

  — Et la grotte ? demanda Orage.

  Cendre croisa les bras.

  — Certainement pas. Ils vont vous géolocaliser, et ils vous trouveront. Vous êtes sur leur territoire. Je ne tiens pas à ce qu'ils se pointent chez moi parce qu'ils vous traquent.

  — Ils ne t'ont jamais trouvée, toi, observa 712.

  — Personne ne me cherche. On me croit morte dans l'explosion. En plus, ma montre s'est cassée à ce moment-là, alors ils ne peuvent pas me géolocaliser.

  — Oh...

  — Quelle explosion ?

  712 agita la main en direction de son ami, comme s'il voulait chasser un moustique.

  — On t'expliquera plus tard, Orage.

  Les adolescents reprirent leurs affaires et entreprirent de traverser la forêt en sens inverse, Cendre ouvrant la marche et Joker la fermant.

  712 se demanda comment la jeune fille faisait pour ne pas se perdre dans une forêt mouvante et lui posa la question.

  — Certaines choses ne change pas, expliqua-t-elle. Quand on a passé beaucoup de temps dans cette forêt, on finit par repérer les éléments immobiles.

  Ils marchèrent ensuite dans un silence quelques fois brisé par les plaintes de Joker au sujet de douleurs podales.

  Après une trentaine de minutes, 712 sorti de son mutisme, s'adressant une fois de plus à l'adolescente qui avançait à ses côtés.

  — Tu devrais revenir avec nous. Peut-être qu'ils accepteront de te reprendre dans le Programme des filles.

  Elle s'immobilisa et les autres l'imitèrent.

  — Hors de question.

  Son regard perça la rétine de 712. Il leva les mains en signe d'apaisement.

  — C'était juste une proposition...

  Elle se remit en marche, lui tournant le dos.

  — Mais tu sais, reprit le garçon tandis qu'il la rattrapait, tu ne peux pas rester indéfiniment dans les bois... Ce n'est pas une vie.

  — Parce que le Programme c'est une vie, peut-être ?

  — Viens avec nous. On te cachera et on trouvera un moyen de s'enfuir.

  — Me cacher ? railla Cendre. Et je peux savoir comment tu comptes faire ça ?

  — On peut te déguiser, suggéra Orage.

  — C'est quoi ton problème avec les déguisements ? lança Joker en songeant à leur dernière ruse avec le drap pour duper les Examinateurs.

  Orage haussa les épaules.

  — Non, attend ! Finalement, c'n'est pas une mauvaise idée ! On pourrait la déguiser en garçon. Après tout, on a tous cru qu'elle en était un, au début.

  Cendre toisa Joker, mais le il ne parut pas regretter ses paroles.

  — Ce serait jouer avec le feu. Même si les Examinateurs croyaient que c'était un garçon, ils lui feraient passer un interrogatoire et s'apercevrait que c'est une fille.

  — Ne vous en faites pas pour moi, souffla Cendre. Je m'en suis toujours bien sortie.

  Le silence revint. Pesant, cette fois.

*

  Ils arrivèrent enfin à l'orée de la forêt. Les clôtures donnant accès au bâtiment du Programme étaient ouvertes. Un Examinateur était devant et leur fit signe d'approcher.

  Cendre, cachée derrière un arbre esquissa un faible sourire.

  — Vous devriez y aller.

  Les autres l'observèrent sans mot dire, comme s'ils attendaient qu'une solution miracle ne leur tombe du ciel.

  — Alors... Salut ? Risqua Orage.

  Cendre hocha la tête puis se détourna et jeta un oeil à la silhouette de ce que tout le monde croyait être le bâtiment des Déséquilibrées.

  L'estomac noué, 712 se laissa entraîner par Joker vers les clôtures du Programme.

  Il fit quelques pas dans leur direction. Ses idées tournaient à toute vitesse dans sa tête et pourtant il ne comprenait plus un mot de ce qu'elles lui criaient.

  Puis, sans vraiment être sûr de ce qu'il faisait, il attrapa le poignet de Cendre et la tira de sa cachette.

  — Qu'est-ce que tu fiches ? S'exclama-t-elle à mi-voix.

  Ses yeux voyageaient nerveusement des clôtures au garçon qui la forçait à présent à le suivre. Elle essaya de se dégager mais il serra davantage son étreinte.

  — Fais-moi confiance, murmura-t-il alors qu'ils arrivaient face à l'Examinateur.




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